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« Stratum I : the Visitors » : un poème nocturne sur la mémoire des ruines par Cong Feng

par Brigitte Duzan, 25 novembre 2014  

 

Quatrième long métrage de Cong Feng (丛峰) qui n’avait tourné que des documentaires jusqu’alors, "Stratum 1: The Visitors" (《地层1:来客》) se présente comme un exercice bien plus complexe, mêlant documentaire et fiction dans un style à la limite de l’expérimental, parfaitement adapté à son sujet : une vision onirique de la réalité urbaine dans la Chine d’aujourd’hui, et une réflexion empreinte de tristesse sur l’éradication de la mémoire que préservent les pierres.

 

C’est ce style, lié à la photographie et à la musique, qui fait toute la valeur de ce film de Cong Feng : ce n’est pas un énième documentaire sur la disparition des vieux quartiers dans les villes chinoises, c’est un film de poète qui procède par allusions et fulgurances, et finit par s’imprimer et s’exprimer dans la durée.

 

Stratum 1 : The Visitors

Deux parties opposées comme le vide et le plein

 

1ère partie 

 

Deux « visiteurs » se promènent de nuit dans les ruines de bâtiments abandonnés, qui vont être détruits. Ils n’errent pas, ils visitent, ou plutôt revisitent leur passé, qui semble remonter des ruines éclairées de façon fugace, sur leur passage. Les souvenirs sont douloureux, mais exprimés sans pathos : une mère devenue folle, et un enfant qui subit ses accès de démence sans trop comprendre ; la Révolution culturelle est tout juste évoquée, comme une cause plausible, mais une cause comme une autre (1). Mémoire en ruines comme les lieux autour d’eux.

 

Ils quittent finalement cet endroit fantomatique pour s’éloigner, par d’autres paysages similaires, et, marchant toujours, atteindre une immense colline de gravats au sommet de laquelle travaillent des engins de chantier dans un halo de poussière éclairé on ne sait d’où : vision dantesque ; vision fantastique, aussi, avec ces engins monstrueux évoquant les animaux chimériques du Classique des montagnes et des mers (山海经), expressément cité. (2)

 

Quand ils atteignent le sommet, on se rend compte qu’ils sont en bordure de la ville, qui pourrait être n’importe quelle ville chinoise aujourd’hui, elles sont toutes prises dans la même folie destructrice. Au loin passe un train, comme une chenille lumineuse dans la nuit, qui continue de relier la ville au village d’antan, un lien, encore, avec les souvenirs…

 

2ème partie 

 

Un visiteur

 

Les deux visiteurs nocturnes assistent à la destruction des bâtiments de la première partie, scène diurne, cette fois, et documentaire. Le temps n’est plus parcellaire, et la vision limitée à la lumière de la torche électrique. Cong Feng travaille ici sur l’espace et la durée. Un espace qui, peu à peu, systématiquement, s’aplanit, se vide de ses derniers gravats, jusqu’à ses derniers vestiges

métalliques qui sont consciencieusement ramassés pour être recyclés par une horde de dérisoires petites ombres noires munies d’appareils de détection de métaux. Et un espace parfaitement aplani qui prend forme dans la durée, inexorablement.

 

Documentaire, certes, mais le documentaire est ici travaillé pour apparaître comme une fiction, avec cet enfant qui « visite » lui aussi les ruines en voie de disparition, comme l’âme du premier visiteur se remémorant son enfance, dont l’apparition semble suscitée par ses souvenirs. Souvenirs auxquels revient Cong Feng à la fin, en une dernière séquence en boucle, la seule où affleure une émotion

 

Et l’autre

perceptible, devant l’ultime carré de pierres résistant encore à l’assaut des engins du chantier, comme le dernier carré de braves d’un combat déjà perdu. Combat de la mémoire contre le vide, de l’histoire contre le néant. 

 

Scénario, photo et musique de Cong Feng

 

C’est Cong Feng qui a conçu le scénario, mais il ne l’a que partiellement écrit : dans toute la première partie, les dialogues ont été improvisés, laissant aux deux acteurs le soin d’évoquer leurs souvenirs, ce qui donne un aspect documentaire à la fiction, ou plutôt brouille la différence entre les deux.

 

C’est lui aussi qui a signé la photographie et la musique. La photo est nettement différente dans les deux parties, adaptée à chaque vision : caméra portée, plans rapprochés, angles restreints, zooms sur les visages, images comme captées à l’insu des personnages ; plans d’ensemble du paysage de ruines en train d’être aplanies, caméra fixe, comme imperturbable, filmant de haut, avec la distance qui sied à une vision « objective » des choses…

 

Dans la première partie,la musique vient renforcer l’originalité de l’image à certaines séquences clés ; ce sont des moments musicaux superbes. Elle disparaît dans la seconde partie, le style documentaire étant logiquement accompagné des bruits du chantier.

 

Il faut noter cependant que, lors de la cérémonie de clôture du 10ème festival du cinéma indépendant de Pékin, en 2013, Liu Sola (刘索拉) a été invitée à improviser avec l’un des musiciens du groupe Tang Dynasty (唐朝乐队), Liu Yijun (刘义军), dit Lao Wu (老五). Pendant qu’ils jouaient était projetée la seconde partie du film de Cong Feng : ils ne la connaissaient pas, mais leur improvisation était en parfait accord avec le film. La musique a été enregistrée… dommage que l’on n’y pense pas quand on projette le film (3).

 

 

Notes

(1) On ne peut s’empêcher de penser à la mère de la nouvelle de Ye Mi (叶弥) qui a inspiré la première partie du film de Jiang Wen () « Le soleil se lève aussi » (《太阳照常升起》) : « Velours » (《天鹅绒》).

Sur cette nouvelle, voir :

www.chinese-shortstories.com/Nouvelles_recentes_de_a_a_z_YeMi_Velours.htm

(2) Evoquant aussi la vision de ce classique par Qiu Anxiong (邱黯雄) dans son film d’animation « Le nouveau livre des montagnes et des mers » (《新山海经》).

(3) Liu Sola est l’une des compositrices et musiciennes chinoises les plus géniales du moment. Voir :

www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_Liu_Sola.htm

 

Festival Shadows, 23 novembre 2014.

 

 

 

 

 
 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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