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« We Girls » : la sortie de prison, pour les femmes, vue par Feng Xiaogang

par Brigitte Duzan, 7 septembre 2025

 

Après un troisième volet de sa série « If You Are the One » (《非诚勿扰III) qui a fait un flop au box-office en 2023 [1], Feng Xiaogang (冯小刚) est revenu en 2025 vers la veine de satire sociale qui lui a réussi jusqu’ici : sorti en avril 2025, « We Girls » (《向阳花》) est l’histoire de deux jeunes femmes qui se sont connues en prison et qui, libérées après avoir purgé leur peine, doivent affronter la dure réalité à l’extérieur, pour tenter de se refaire une vie sans retomber dans les mêmes ornières que dans le passé.

 

 

Lancement du film le 4 avril 2025

 

 

Le film a un cachet d’authenticité, et d’abord parce qu’il est adapté d’une nouvelle d’un ancien détenu qui s’est mis à écrire après être sorti de prison, comme une sorte de rédemption. Dans un contexte où le thème est devenu courant, tant au cinéma qu’en littérature, son originalité tient au choix de le traiter sous l’angle féminin. Cela n’adoucit pas les angles, mais c’est une manière d’aborder la situation des femmes dans la société chinoise actuelle sans tomber dans les sujets rebattus, shengnü (剩女) et autres, qu’on a vu fleurir au cinéma dans une série de films culminant avec souriant « Her Story » (《好东西》) de Shao Yihui (邵艺辉), promu « blockbuster féministe ».

 

À travers l’histoire des femmes du film de Feng Xiaogang, en revanche, c’est tout un pan de la société qui se révèle sous ses aspects les plus sombres, et les plus durs pour les femmes en particulier, comme si, mariage ou prison, c’est finalement toujours la même difficulté de s’affranchir du carcan de la tradition patriarcale et des préjugés qui en découlent.

 

Un scénario adapté d’une nouvelle d’un ancien prisonnier

 

o    Le scénario

 

Le film commence pendant l’été 2012 [2] : douze détenues d’une prison de femmes sont sélectionnées pour participer à un spectacle qui sera donné le jour de la visite des familles pour la fête de la mi-automne. Elles forment ainsi une petite équipe nommée « Troupe des Tournesols » (向阳花演出队) et sont assignées à la cellule 9, sous la supervision de la responsable Deng Hong (邓虹).

 

 

Les Tournesols de la cellule 9

 

 

Lors de leur première réunion, dans une ambiance quasi militaire, celle-ci désigne Hu Ping (胡萍) pour être chef du groupe. Hu Ping a été condamnée pour trafic de drogue ; elle est violente et cherche tout de suite à imposer sa loi, provoquant un conflit avec les deux autres détenues qui vont être au centre de l’histoire : Gao Yuexiang (高月香), 28 ans, qui a été condamnée pour faire de la porno en ligne afin de gagner sa vie, et la jeune Mao Amei (毛阿妹), 18 ans, qui a grandi dans un gang de voleurs de rue où elle a été élevée en apprenant à voler et qui s’est fait prendre. Amei est sourde-muette, et Yuexiang se porte volontaire pour lui servir d’interprète car elle a une petite fille elle-même sourde, et elle a donc appris le langage des sourds-muets. C’est d’ailleurs cette petite fille qui est l’unique préoccupation de Yuexiang et sa seule motivation dans la vie : il lui faut gagner l’argent et un statut social respectable pour pouvoir la récupérer alors qu’elle a été abandonnée par son père infirme et qu’elle se trouve dans un orphelinat.

 

On a tout de suite des caractères féminins très bien typés, mais dont les problèmes, finalement, se recoupent : c’est l’abandon initial qui les caractérise et les a poussées dans la marginalité, Yuexiang en particulier, qui a été vendue par ses parents à un mari indigent incapable de gagner sa vie et d’être un quelconque soutien. Quant à Amei, à défaut de famille, son lien avec le gang est à la fois affectif et matériel, et quasiment organique. Dans ces conditions, difficile de gagner son autonomie, à commencer par l’indépendance financière : comment trouver un travail honnête quand on a un casier judiciaire qui suscite la méfiance ?

 

Les deux jeunes femmes sortent de prison en même temps et vont tenter de résoudre ces problèmes ensemble en se serrant les coudes, dans une sorte de solidarité sororale qui rappelle la fraternité jurée des héros des « Trois Royaumes » et de ceux d’ « Au Bord de l’eau », mais plus encore dans sa version japonaise au féminin [3].

 

o    Adaptation d’une nouvelle de Chong An

 

Le film est adapté d’une nouvelle de Xia Longlong (夏龙龙), alias Chong’An (虫安), qui est lui-même un ovni sur la scène littéraire chinoise : à l’âge de 18 ans, il a arrêté ses études et a fréquenté un groupe de jeunes hooligans très typés - tête rasée, boucles d’oreilles, collier en or, T-shirts sport de marque – avec lesquels il a traîné dans les bars et les discothèques. L’un de ses amis travaillant dans un hôtel où il emmenait souvent ses copains boire, un jour qu’ils volaient de l’alcool dans la réserve de l’hôtel, ils se sont fait prendre par le directeur de l’hôtel. Pour se venger, Xia Longlong est allé cambrioler la famille du directeur et a écopé d’une peine de prison de dix ans et six mois, finalement réduite à sept ans. Et une fois sorti, il avait tellement d’histoires à raconter qu’il s’est mis à écrire.

 

Le film de Feng Xiaogang est adapté de l’une de ses premières nouvelles publiées, en 2016, sur la plateforme Renjian de NetEase (网易人间写作平台) : « Tournesols dans une prison de femmes, floraison hors des hauts murs d’enceinte » (《女监里的向阳花,开出高墙外》). Écrite sur la base de son expérience d’ancien détenu, elle est considérée comme représentative de ses récits. Il s’agit de réflexions sur le système carcéral, sur les raisons pour lesquelles les détenus sont condamnés, sur le mécanisme de rédemption que peut offrir la prison pour des jeunes dont beaucoup ont été victimes d’abandons et de violence, domestique et sociale,  mais aussi sur les difficultés de réinsertion après la prison.

 

 

Les tournesols selon Chong’An

 

 

C’est ce thème de la difficile réinsertion sociale des détenus libérés de prison qui a attiré Feng Xiaogang, surtout s’agissant de femmes. Il aborde donc le sujet dans un objectif presque documentaire, à la différence de Guan Hu (管虎) dans « Black Dog » (《狗阵》), ou de Zhang Guoli (张国立) dans « Strangers When We Meet » (《朝云暮雨》) [4], l’un tourné dans un style satirique et symbolique très personnel, l’autre tout en demi-teinte, avec un élément de suspense qui n’est levé qu’à la fin. Feng Xiaogang, lui, reste dans le réalisme, sans éviter la violence : une violence qui pèse sur tout le film, c’est celle dans laquelle vivent les personnages et qui éclate dès la première séquence. C’est l’univers de « Mr. Six » (《老炮儿》), film de Guan Hu, certes, mais aussi formidable numéro d’acteur pour Feng Xiaogang : « We Girls » apparaît de même comme une satire socio-politique avec, à la fin, comme un rappel de film d’action.

 

 

La lutte pour la vie

 

 

Un monde sans pitié

 

La société chinoise d’aujourd’hui apparaît dans ce film sous un jour très noir, sans aménités, bien loin du « monde sans voleurs » (《天下无贼》), plein d’humour et d’humanité malgré tout, dépeint par Feng Xiaogang en 2004. C’était il y a vingt ans et on mesure combien d’eau a coulé sous les ponts depuis lors. Ne serait-ce que par la séquence et la note finales qui viennent en totale contradiction avec ce qui précède et montrent à quel point la censure s’est rigidifiée ; on devine qu’il aura fallu une bonne dose de compromis pour la dorer, cette pilule finale, et terminer sur une note souriante pour satisfaire les censeurs. Mais justement, rien n’est souriant dans le monde actuel [5].

 

 

La prison : l’ordre

 

 

Le monde que trouvent les deux femmes à leur sortie de prison est une image emblématique de ce qui attendent les jeunes aujourd’hui, à la sortie de l’école comme à la sortie d’un autre monde carcéral. Tant qu’on est dedans, tout va bien, les problèmes commencent quand on en sort, car on ne peut compter sur personne si on n’a pas des parents aisés qui ont l’argent et les relations pour vous trouver un job, et c’est vrai pour les filles encore plus que pour les garçons. Il est frappant de constater que les détenues viennent de milieux dits défavorisés, qu’elles ont dans leur ensemble subi des sévices dans l’enfance, voire ont été abandonnées. Dans ces conditions, livrées à elles-mêmes, elles doivent « se débrouiller » pour vivre.

 

 

La solitude aux marges de la ville

 

 

On retrouve là le véritable anathème lancé par Lu Xun dans sa conférence de décembre 1923 à l’Université normale de femmes de Pékin, évoquant la pièce d’Ibsen : Qu’arrive-t-il à Nora une fois sortie de chez elle ? (娜拉走后怎样). En gros, selon lui, soit elle se prostitue soit elle rentre chez elle car il élimine d’emblée la possibilité qu’elle puisse trouver un emploi [6]. Ce qu’il voit comme solution, c’est une révolution radicale de la société, qui instaure une véritable indépendance économique pour la femme, premier pas vers son émancipation. Mais cette émancipation est toujours aussi difficile aujourd’hui. Le mariage reste la prison dorée dont parlait Qian Zhongshu (钱钟书) dans sa « Forteresse assiégée » (Wéichéng《围城》). Prison dorée qui couvre toutes les maltraitances et violences domestiques usuelles dont on ne parle pas et que ne peut éviter la loi pourtant votée en 2014 mais inapplicable dans les faits.

 

Le film de Feng Xiaogang pèche finalement par une excessive dramatisation des situations des deux détenues, ce qui tend à impliquer que tout est d’autant plus difficile pour elles, mais que ce sont deux cas extrêmes. Pourtant, leur situation familiale ne l’est pas, même si, là aussi, la visite aux parents de Yuexiang tient d’une peinture des bas-fonds de la Chine « féodale » : c’est du pur mélodrame [7].

 

On retiendra la très belle interprétation des actrices :

Zhao Liying 赵丽颖 dans le rôle de Gao Yuexiang 高月香

Lan Xiya 兰西雅 dans celui de Mao Amei 毛阿妹 (son premier rôle)

Naomi Wang / Wang Ju 王菊  en Hu Ping 胡萍

Et Chuai Ni 啜妮dans le rôle de Deng Hong 邓虹 [8].

 

 Le film sous-titré : https://www.dailymotion.com/video/x9kbwwa

 


 

[1] Ce qui n’est pas en soi preuve que le film soit mauvais ; en l’occurrence, le film est juste un trou d’air dans une filmographie qui a vu mieux.

[2] Ce qui, par une coïncidence qui n’en est pas une, est l’année de l’arrivée au pouvoir de Xin Jinping.

[4] Film adapté d’ailleurs d’une autre nouvelle du même auteur.

[5] La seule personne apportant un peu de réconfort et de chaleur humaine est Deng Hong, la gardienne de prison, mais c’est parce que, elle aussi, a eu une enfance difficile.

[7] Que souligne la photo de Florian Zinke.

[8] D’autant mieux interprété que Chuai Ni a en réalité deux ans de moins que Zhao Liying – actrice qui interprétait le rôle de la mère sourde-muette dans le film de Zhang Yimou sorti en 2024 : « Article 20 » (《第二十条》).

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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