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« Black Dog » de Guan Hu : superbement noir

par Brigitte Duzan, 3 septembre 2024

 

 

Black Dog, affiche pour la sortie en Chine

 

 

Avec « Black Dog » (《狗阵》), réalisé après les deux superproductions sorties en 2020, « Les 800 » (《八佰》) et « The Sacrifice » (《金刚川》)[1], Guan Hu (管虎) renoue avec un style satirique plus personnel, plus intérieur, qui renvoie à la fois à « Cow » (《斗牛》) et à « Mr Six » (《老炮儿》).

 

Sorti au festival de Cannes en mai 2024, le film y était présenté dans la section « Un certain regard » dont il a obtenu le prix. Il est sorti sur les écrans chinois le mois suivant et devrait sortir en France en janvier 2025.

 

Amitié, rédemption et retour à la vie

 

Un bus roule sur une route déserte, dans un paysage lunaire en bordure du désert de Gobi, dans le nord-ouest de la Chine, quand soudain déboulent de tous côtés des hordes de chiens comme les Xiongnu autrefois. Le chauffeur cherchant à les éviter, on voit le bus zigzaguer et finir par se renverser, ou plutôt se coucher sur le côté : les passagers sortent sans trop de problèmes, plus de peur que de mal, même si l’un d’eux hurle qu’on lui a fauché son argent… 

 

 

Homme et chien

 

 

Originale entrée en matière pour nous présenter l’un des passagers du bus : un dénommé Erlang (二郎) qui rentre chez lui après avoir passé dix ans en prison, accusé d’homicide. Il revient dans une ville délabrée, où les industries ont fermé leurs portes, où sa mère est morte, et où son père continue de vivre dans le zoo décrépit dont il continue de nourrir les animaux, mais qui va lui aussi être détruit, car la ville est en plein chamboulement, comme la Chine entière : nous sommes à la veille des Jeux olympiques de Pékin, en 2008.

 

 

Le paysage, à l’infini

 

 

Le problème à résoudre dans l’urgence, dans cette ville, est celui des chiens errants qui sont restés quand les gens qui travaillaient dans les usines sont partis. Une équipe de volontaires est organisée pour les pourchasser et les capturer. Erlang est embauché. Mais il se prend d’amitié pour un chien et le prend sous son aile. Un chien famélique que l’on pense être atteint de la rage…  Pendant ce temps, l’oncle du jeune garçon dont Erlang a (sans doute involontairement) causé la mort cherche à venger son neveu, le zoo ferme ses portes, ou plutôt les ouvre en libérant singe, tigre et chameau, et le père d’Erlang est hospitalisé, entre la vie et la mort…

 

 

Les meutes de chiens

 

 

Erlang obtient sa rédemption, mais la vie est aussi difficile pour l’homme que pour l’animal, dans une ville livrée aux bulldozers, aux confins du désert. La retransmission de l’ouverture des Jeux olympiques à Pékin suscite un instant un enthousiasme incongru, totalement décalé par rapport à la réalité. Mais la vie continue malgré tout…

 

Satire sociale, critique politique, non sans humour

 

« Black Dog » est un film aussi noir que le chien, ou qui se veut tel, mais avec l’humour de Guan Hu en prime, celui de « Cow », mais ici, signe des temps, avec un zeste de douloureuse amertume. Tout est symbolique dans ce paysage lunaire et cette ville à l’abandon. La ville s’appelle Chixia (赤峡镇), c’est écrit en toutes lettres à l’entrée du zoo, comme une proclamation - cela signifie « la gorge rouge » comme la fameuse « Falaise rouge » de la bataille éponyme des Trois Royaumes, restée synonyme de déroute magistrale, ou encore « la gorge dénudée », déserte , et c’est à cette signification-là que l’on pense plutôt en voyant le paysage.

 

 

Le zoo dans la ville, ou une ville comme un zoo

 

 

Ce n’est qu’un mince élément symbolique, pas forcément évident, il y en a bien d’autres : les chiens survivants de la crise industrielle et de la fermeture des usines locales comme autant d’âmes errantes ou de ces vagabonds que le pouvoir chinois a toujours redoutés et pourchassés pour être des rebelles en herbe et des facteurs potentiels de trouble ; le chien soupçonné d’avoir la rage, avec risque de contagion ; le zoo dans la ville, avec ses animaux étiques que l’on peine à nourrir, mais aussi bien la ville comme zoo, avec ses mafieux reconvertis en chasseurs de chiens errants, et son boucher devenu, lui, vendeur de venin de serpent, autre zoo, dangereux celui-là, mais on n’a rien pour rien….

 

 

Jia Zhangke en chef de gang

 

 

La vie semble avoir déraillé, dans l’une des tempêtes de sable qui émaillent le film en renversant les voitures. Le passé s’est figé dans des usines en ruines et des maisons abandonnées. Alors autant les détruire pour tenter de recommencer, sur des bases toutes neuves, avec l’enthousiasme des pionniers de la révolution, ou simplement celui des spectateurs de la retransmission à la télévision de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, à des milliers de kilomètres de là, dans un décalage lui aussi symbolique entre les images télévisées et la réalité locale, entre le discours triomphaliste de Pékin et la survie au quotidien dans ce désert qui n’attire même pas les touristes, sauf exception - il faut pour cela une éclipse solaire, et on a alors l’impression d’un film de science-fiction dans ce paysage, voire, autre allégorie, d’une adaptation du roman de Yan Lianke « La mort du soleil » (《日熄》).

 

 

Esthétique de ruines

 

 

Un film noir, mais hors clichés

 

Il faut saluer l’originalité de ce film, malgré le phénomène de mode : film noir, si on veut, mais sans les clichés devenus récurrents dans le genre en Chine, ou plutôt en s’en jouant. Le film dit noir ayant pris son envol en Chine sous l’égide de Diao Yinan (刁亦男), après le succès de « Black Coal » (《白日焰火》) en 2014, l’une des lois du genre est que l’histoire se passe dans les paysages glacés du nord-est, et de préférence en hiver – cadre dont Diao Yinan a tenté lui-même de s’évader en allant dans le sud tourner son film suivant, « Le Lac aux oies sauvages » (《南方车站的聚会》).

 

 

Des ruines industrielles irréelles

 

 

En fait, « Black Dog » fait plutôt penser au film injustement méconnu de Dong Yue (董越) « Une pluie sans fin » (《暴雪将至》) qui commence, justement, en 2008 alors que sort de prison un homme qui vient de passer dix ans derrière les barreaux. L’intrigue et l’atmosphère sont fondées sur l’image sombre de la Chine de la fin des années 1990, sur fond de crise industrielle et de bouleversements sociaux – évoqués en toile de fond dans « Black Dog ». Mais, en outre, le film de Dong Yue est inspiré d’un fait divers qui s’est passé dans le Gansu, donc dans le nord-ouest de la Chine, comme le film de Guan Hu. Tout cela de manière d’autant plus emblématique que l’on est là aux abords de la Route de la soie, mais dans des paysages essentiellement désertiques et dans une symbolique de décadence économique et sociale à l’opposé du flamboyant discours officiel.

 

 

Du passé faire table rase

 

 

Brillant, mais …

 

« Black Dog » est brillamment écrit, filmé et interprété. Le scénario a été écrit avec deux co-scénaristes : Ge Rui (葛瑞), qui a également travaillé avec Guan Hu sur ses quatre précédents films, et Wu Bing (吴兵) qui a co-écrit avec Guan Hu le scénario du biopic « The Pioneer » (《革命者》) [2] réalisé par Xu Zhanxiong (徐展雄) et sorti en 2021..

 

 

L’éclipse dans le désert, comme un film de science-fiction

 

 

La photo est tout particulièrement réussie, avec ses grands panoramiques de paysage qui font presque de celui-ci un personnage à part entière, tout comme le décor urbain, dans les mêmes nuances de gris, parfois légèrement bleuté. Elle est signée Gao Weizhe (高伟喆) qui a aussi travaillé sur la photo de « The Sacrifice » et de « The Pioneer ».

 

Quant aux acteurs, ils sont particulièrement bien choisis, à commencer par Eddie Peng (彭于晏), mutique à souhait, dans le rôle principal, mais aussi le chien noir [3]

Eddie Peng 彭于晏               Er Lang 二郎

Tong Liya 佟丽娅                Grape 葡萄

Jia Zhangke 贾樟柯             Oncle Yao 耀叔

Zhang Yi 张译                    Le chef d’équipe…

… et Xin 小辛                     le chien noir

On remarquera au passage que l’actrice Tong Liya est d’origine ouïghoure, ce qui peut suggérer une autre valeur symbolique au personnage et à ses difficultés d’intégration, dans un cirque condamné à l’errance…

 

 

Eddie Peng dans le rôle d’Er Lang

 

 

Le film est brillant, mais il y a une ombre au tableau : il pêche par un excès de longueur. C’est le cas de beaucoup de films chinois ces dernières années, mais les séquences finales du « Black Dog » sorti en Chine donnent l’impression d’être surajoutées, comme des images de film d’animation en stop-motion. On a l’impression plusieurs fois que le film est terminé, mais il reprend mordicus. Et quand on compare les longueurs, on voit effectivement que le film présenté à Cannes faisait 106’, mais la version qui est sortie en Chine en fait dix de plus (116’). Cette version-là semble avoir ajouté le message supplémentaire que tout va bien, la vie continue, comme dans un bon vieux mélo.

 

 

La vedette : le chien fatal

 

 

« Black Dog » reste malgré tout l’un des meilleurs films qui nous soit venu de Chine ces derniers temps, confirmant que Guan Hu est décidément l’un des meilleurs réalisateurs chinois du moment, capable de se sortir avec brio des tentacules d’une censure qui en étouffe plus d’un.

 

 
Black Dog, trailer

 

 


 


[1] Ce deuxième film a pour thème un épisode de la guerre de Corée tout aussi dramatique que l’histoire des « 800 », mais, n’échappant pas aux clichés, il n’a pas la force du premier. Guan Hu a atteint là les limites de ce qu’il pouvait faire sur un tel sujet.

[2] Un biopic sur la vie de Li Dazhao (李大釗), l’un des fondateurs du Parti communiste chinois.

[3] Chien aussi fatal qu’une femme fatale pour paraphraser la critique de Variety.

 

 

     

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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