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« Searching for Lin
Zhao’s Soul » : un tournant dans la filmographie de Hue Jie
par Brigitte Duzan, 15 décembre 2014
« Searching for Lin Zhao’s
Soul » (《寻找林昭的灵魂》)
est le documentaire qui a soudain rendu
Hu Jie (胡杰)
célèbre, en 2004, mais c’est en fait son sixième
film.
Il avait
réalisé jusqu’alors des documentaires sur des sujets
sociaux d’actualité. C’est alors qu’il travaillait
sur des courts métrages sur les travailleurs
migrants qu’il a commencé à s’intéresser à
l’histoire. Or, au cours d’une réunion avec des
amis, l’un d’entre eux a laissé tomber dans le
courant de la conversation que ses parents avaient
été des camarades de classe de Lin Zhao (林昭).
Hu Jie n’avait jamais entendu ce nom, il demanda de
qui il s’agissait. On lui expliqua alors qu’elle
était étudiante à l’université de Pékin dans les
années 1950 et avait été arrêtée et mise en prison
pour avoir écrit des articles critiquant le régime.
Elle avait continué à écrire des poèmes en prison,
et, comme elle n’avait pas d’encre, elle avait écrit
avec son sang. |
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Lin Zhao en 1950, au
moment de la Réforme agraire |
Frappé par cette
histoire, Hu Jie commença à rassembler toute une
documentation sur le sujet. Plus il avançait, plus il était
fasciné par la personnalité de Lin Zhao. Cependant, il
travaillait alors à l’agence Chine nouvelle, depuis un peu
moins de trois ans. Un jour, son chef le fit appeler pour
lui annoncer qu’il devait renoncer à son poste ; de toute
évidence, il avait reçu des ordres « d’en haut ». Plutôt que
d’être licencié, Hu Jie préféra démissionner… et continua
ses recherches sur Lin Zhao.
Le résultat est un
film qui restera dans les annales du cinéma chinois, et qui
peut être considéré comme le précurseur du documentaire sur
la mémoire orale qui est en train de se développer en Chine,
pour pallier les immenses blancs et tabous de l’histoire
officielle.
Lin Zhao : une
victime inébranlable
Il retrace
l’histoire de cette jeune étudiante, née en 1932 dans une
famille « bourgeoise » de Suzhou, et qui, à dix-sept ans,
trois mois avant la proclamation de la République populaire,
quitta sa famille pour aller s’enrôler dans l’école de
journalisme du Parti. Pendant l’été 1950, elle participa à
la campagne de redistribution des terres dans les campagnes,
une campagne violente qui fit quelque deux millions de
morts ; elle-même fit preuve d’une extrême dureté envers les
propriétaires terriens expropriés. Hu Jie a découvert des
lettres dans lesquelles elle se vante d’avoir ressenti « un
bonheur cruel » en entendant crier un propriétaire plongé
dans une bassine d’eau glacée ou d’avoir assisté sans
broncher à l’exécution d’un autre ; elle y désigne Mao comme
« une étoile rouge dans son cœur ».
Etudiante à Pékin avec
ses camarades |
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Le travail
de Hu Jie a consisté d’abord à comprendre, pour
pouvoir l’expliquer, comment une disciple aussi
fervente a pu en arriver à critiquer le Parti au
point d’être arrêtée. Il a pour
cela mené
une enquête minutieuse et approfondie pour retrouver
tous les gens de son entourage capables de
l’éclairer sur cette énigme.
En fait,
en 1957, comme beaucoup d’intellectuels à l’époque,
elle se laissa entraîner à critiquer les excès
d’autoritarisme du Parti dans le cadre de la
campagne des « Cent Fleurs » alors lancée par Mao,
invitant à critiquer le Parti et le régime pour en
corriger les erreurs. On ne saura jamais s’il
s’agissait d’un piège délibéré, ou si Mao se
retrouva sans l’avoir prévu devant une vague de
polémiques incontrôlables ; ce qui est certain,
c’est qu’il déclencha alors une nouvelle campagne,
dirigée cette fois contre les « droitiers », les yòupài (右派),
qui lui permit d’éliminer les imprudents qui
s’étaient aventurés |
innocemment à le
critiquer. C’est l’une des campagnes les plus meurtrières du
régime maoïste, dont les conséquences ont été
dévastatrices.
Lin Zhao fut
condamnée. Mais elle refusa de se soumettre et de faire son
autocritique. Elle fut finalement arrêtée et condamnée à
trois ans de travaux forcés. En prison, elle continua à
écrire, avec son sang à défaut d’encre. Elle fut finalement
exécutée, le 29 avril 1968, à l’âge de 35 ans. Elle a été
réhabilitée seulement en 1981.
Hu Jie : des
recherches minutieuses
Le film a
vraiment pris forme lorsque Hu Jie retrouva
miraculeusement ces désormais fameux écrits de Lin
Zhao. Il a retrouvé l’un de ses anciens compagnons,
bibliothécaire aujourd’hui à la retraite, un petit
homme de près de ses soixante-dix ans maintenant,
Gan Cui. Après la campagne « anti-droitiers », il
avait été assigné avec Lin à travailler dans une
bibliothèque ; ils tombèrent amoureux, mais le Parti
leur refusa l’autorisation de se marier, et envoya
Gan, à la place, se faire réformer dans un laogai
du Xinjiang. Il y passa les vingt années suivantes,
et, quand il revint à Beijing en 1979, il apprit que
Lin Zhao avait été exécutée. Il s’est ensuite marié,
a eu un fils, mais il a toujours gardé au fond du
cœur son amour de jeunesse.
Hu Jie
aimait aller discuter avec le vieil homme. Un jour,
environ un an après leur première rencontre, Gan Cui
finit par lui révéler un secret : il possédait une
bonne partie de ce que |
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Lin Zhao étudiante
rebelle |
Lin Zhao avait
écrit en prison, quelque 140 000 caractères ! Après la
Révolution culturelle, un officier de police avait remis les
écrits à sa sœur, et il en avait finalement hérité. Et, sous
les yeux éberlués de Hu Jie, il sortit d’un vieux sac Adidas
bleu une liasse de papiers attachés par une ficelle et pliés
dans du papier d’emballage brun : 500 pages jaunies
couvertes de caractères.
Hu Jie commença à
lire : une lettre au Quotidien du Peuple condamnant la
campagne « anti-droitiers » et accusant le Parti d’avoir
honteusement profité de l’idéalisme de sa génération ; elle
décrivait aussi les mauvais traitements subis en prison, et
comment elle s’était mise à écrire avec son sang quand les
autorités de la prison lui avaient confisqué son stylo… Par
la suite, ces mêmes autorités lui donnèrent du papier et un
stylo pour qu’elle recopie ce qu’elle avait écrit, et ce fut
utilisé contre elle.
Une page de ses écrits
en prison |
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Le film
fait alterner, avec les citations des écrits,
témoignages et documents d’archives ; la
confrontation entre les deux prend souvent une
connotation qui pourrait être ironique si le sujet
n’était pas aussi dramatique. Car l’histoire de Lin
Zhao recoupe les grandes étapes de la construction
du maoïsme, et en particulier la triste période du
Grand Bond en avant et la famine qui s’ensuivit. Hu
Jie fait défiler les images d’archives des paysans
coulant en masse l’acier dans leurs fours de
fortune, organisant les cantine populaires, montant
à l’assaut de pentes à défricher, et tout cela sur
fond de cantate a |
cappella qui donne
à ces images l’aspect d’un immense élan mystique, un
mouvement de l’ordre du religieux scandé par les annonces
victorieuses des fabuleux chiffres de production du pays.
Le plus terrible
est le témoignage de deux professeurs racontant la famine du
début des années 1960, les cris, la nuit, des gens qui
mouraient, les jambes qui enflaient, premier signe d’une
mort imminente… Il y a maintenant de très nombreux documents
sur la famine de ces années-là, on sait qu’elle a fait
quelque 40 millions de morts. Mais jamais on n’en avait
parlé de la sorte au cinéma. Et, dans ce contexte,
l’attitude de contestation sans rémission de Lin Zhao en
fait presque une sainte.
Certaines
séquences sont particulièrement poignantes. Celle,
par exemple, où l’un de ses anciens amis, Zhang
Yuanxun, réussit à lui rendre visite en prison. Il a
travaillé avec elle comme éditeur du magazine
littéraire de l’université. Il était au cœur du
mouvement des Cent Fleurs, mais confessa ses fautes,
ce que refusa de faire Lin Zhao. Il passa les
vingt-deux années suivantes dans une ferme au sud de
Pékin. En sortant, il alla voir Lin Zhao. Il raconte
comment, à la fin de leur court entretien, elle
avait sorti un cadeau pour lui d’un petit paquet, un
minuscule bateau en papier découpé, avec deux vers
de Li Bai inscrits |
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Une autre page |
derrière, qu’il a
soigneusement conservé tout au long de ces années et qu’il
sort de sa poche devant la caméra, la caméra qui n’en finit
pas de filmer cette petite chose qui tourne lentement autour
de son fil, et donne un léger sentiment de nausée… Ou cette
brève séquence, aussi, où la sœur de Lin Zhao raconte
comment sa mort a été annoncée à sa mère : un policier est
tout simplement venu lui réclamer les 5 centimes qu’elle
devait pour la balle qui avait tué sa fille…
Un témoignage
poignant
Enfin, en
conclusion, Hu Jie nous emmène à l’endroit où a été déposée
son urne (et qu’il a découvert après de longues recherches).
Et là, tout doucement, il ouvre le couvercle : à
l’intérieur, la caméra découvre un morceau de papier journal
tout froissé, qui laisse apparaître, une fois déplié,
quelques malheureuses mèches de cheveux… Tout ce qui reste
de Lin Zhao, outre quelques cendres.
Sa tombe |
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Ou plutôt
tout ce qui reste de sa dépouille mortelle. Car ce
qu’elle nous a légué, et qui n’a pas de prix, ce
sont ces textes et ces poèmes écrits avec son sang
qui témoigneront à jamais d’un esprit indomptable,
capable de se sacrifier pour faire évoluer les
choses. C’est aussi un document littéraire qui a été
analysé par un professeur venu témoigner devant la
caméra : il dit que les écrits de Lin Zhao révèlent
une pensée très profonde, et que ses propositions,
pour beaucoup, recoupent les réformes réalisées
depuis la mort de Mao. Elle dit que lutter contre
une dictature ne justifie pas que l’on en crée une
autre… On n’a pas fini de parler de Lin Zhao.
Hu Jie lui
a rendu le plus bel hommage qui soit. Hommage qu’il
a sciemment étendu, à travers elle, à l’esprit du
peuple chinois. Car il a dit qu’il avait bien sûr
voulu montrer les traitements barbares auxquels les
gouvernants avaient soumis le peuple chinois dans le
passé, mais qu’il avait voulu avant
|
tout
montrer de quoi celui-ci
était capable dans les situations les plus difficiles, les
plus tragiques.
Message que l’on
retrouve dans son documentaire suivant, sorti en 2006 :
« Though
I’m Gone » (《我虽死去》)…
Le film (en
chinois avec sous-titres chinois)
Introduction de Hu
Jie (avec sous-titres anglais)
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