« Journey to
the West » de Kong Dashan : histoire d’une passion
par Brigitte Duzan, 11 février 2023
Journey to the West
Sorti en première mondiale en 2021 au festival de Pingyao où
il a décroché le prix Fei Mu du meilleur film, puis remarqué
dans divers festivals dont celui de Rotterdam en 2022,
« Journey to the West » (《宇宙探索编辑部》)
a été le film d’ouverture de la
5ème édition du Festival du cinéma d’auteur chinois
en février 2023. Sa
sortie sur les écrans chinois est annoncée pour avril 2023.
Il
s’agit du premier long métrage de Kong
Dashan (孔大山),
jeune réalisateur frais émoulu de l’Institut du cinéma de
Pékin.
Un doux rêveur à la recherche d’extra-terrestres
Le
titre international « Journey to the West » n’a rien à voir
avec le titre chinois qui signifie : « Comité de rédaction
de la revue
Exploration de l’espace ».
Mais les deux titres évoquent bien le sujet du film, le
titre anglais le faisant de manière plus symbolique.
Histoire d’un périple vers l’ouest
Le
personnage principal, Tang Zhijun (唐志军),
apparaît comme un adolescent attardé qui a gardé toutes ses
illusions, un doux cinglé qui conserve entière sa passion
pour les extra-terrestres et les ovni. Il a passé sa vie à
en rechercher des manifestations, et continue de publier un
journal sur le sujet, la revue Exploration de l’espace dont
il est question dans le titre. Ces revues ont suscité chez
les jeunes un engouement non tant pour la science et
l’exploration spatiale que pour la science-fiction, alors
encore balbutiante en Chine, une véritable
littérature de science-fiction
prenant son essor à partir des années 1990.
Tang Zhijun et le rêve
du voyage dans l’espace
La
revue imaginée par Kong Dashan est en fait inspirée de l’une
des plus célèbres : le mensuel de « Recherche sur les
soucoupes volantes » (Feidie
tansuo《飞碟探索》),
créé en février 1981, mais dont la publication a été
suspendue en 2018, comme faisant écho au sort de la revue de
Tang Zhijun dans le film.
Feidie tansuo,
numéro de lancement (janvier 1981)
Tang
Zhijun est obsédé par les extra-terrestres autour desquels
tourne toute son existence, au détriment de sa vie
familiale. Son mariage est en ruine, sa fille, dépressive,
est morte, sa revue en berne, il lui reste, chevillé au
cœur, le rêve d’entrer en contact avec de fantomatiques
êtres d’une autre planète. Sa femme, étonnamment, le
supporte encore, et tente de l’empêcher de se faire arnaquer
et plumer.
Le lion qui a perdu sa
boule
Les
fins de mois sont difficiles, lorsque soudain renaît
l’espoir : un paysan sichuanais affirme avoir vu un
extraterrestre nimbé de lumière débarquer dans son village
et faucher la boule que tenait dans sa gueule un lion de
pierre. D’où départ illico pour le Sichuan afin d’interroger
le paysan et voir le lion - départ avec armes et bagages, et
en compagnie d’un trio insolite, l’épouse, une insomniaque
et un journaliste alcoolique. Le paysan est un fieffé
hâbleur dont tout le village semble complice et qui extorque
99 yuans à sa proie en échange d’un regard sur la grotesque
effigie en silicone du fameux extraterrestre et de
l’information qu’il aurait donnée : il faut aller récupérer
la boule de pierre dans les monts Daliang.
Dans
le village, Tang Zhijun fait la rencontre d’un autre cinglé,
Sun Yitong (孙一通),
jeune poète coiffé d’une marmite pour tout casque, qui
affirme être en contact avec des extra-terrestres qui lui
inspirent ses poèmes. C’est ainsi que, suivi de son petit
groupe de disciples zélés, Tang Zhijun part pedibus pour les
monts Daliang sous la conduite du jeune mage, en quête de
l’ultime révélation.
Histoire d’un rêve
Le
titre anglais suggère l’image symbolique du « Voyage vers
l’Ouest » (Xiyouji《西游记》)
[1],
avec Tang Zhijun évoquant la figure du moine Xuanzang (玄奘),
ou Tang Sanzang (唐三藏),
parti « vers l’ouest » en quête de sûtras avec ses trois
disciples, le singe « grand sage égal du ciel » Sun Wukong (孙悟空),
le « porc aux huit préceptes » Zhu Bajie (豬八戒)
et le « saint moine des sables » Sha Wujing (沙悟净).
On retrouve Sun Wukong dans le personnage de Sun Yitong,
interprété par l’acteur nommé … Wang Yitong (王一通),
qui est également coscénariste…
Le moine Tang Sanzang
et ses trois disciples (outre son cheval blanc) dans
« La Pérégrination vers l’ouest » :
de g. à dr. Sun Wukong 孙悟空, Tang Sanzang 唐三藏, Zhu
Bajie 豬八戒 et Sha Wujing 沙悟净
(décoration au plafond de la galerie du Palais
d’été)
Quant
à l’ouest du roman, il n’est autre ici que le Sichuan qui a
longtemps été un territoire aux marges de l’empire, avec ses
mythes et légendes. C’est le cas en particulier des monts
Daliang (大凉山),
terre des peuples de l’ethnie Yi qui ont leur propre
département autonome, celui de Liangshan justement (凉山彝族自治州)
[2],
et dont les villages sont souvent très difficiles d’accès,
comme celui imaginé par Kong Dashan, le village du « Nid
d’oiseau en feu » (Niaoshaowo
鸟烧窝).
Pérégrination dans les
monts Daliang
Les
sûtras ont cédé la place aux extraterrestres, mais la
symbolique est semblable : il s’agit toujours d’exploration
du monde terrestre pour accéder à une dimension spirituelle.
C’est d’ailleurs bien la motivation de Tang Zhijun, qu’il
explique à la fin ; s’il recherche les extraterrestres,
c’est dans l’espoir qu’ils puissent répondre à la question
qui le lancine : quelle est la raison de l’existence de
l’homme sur la terre ? Question qui est peut-être celle-là
même qui incitent les extraterrestres à rechercher le
contact avec les humains, lui répond Sun Yitong.
Une capsule dans la
forêt
Le
rêve semble être voué à se fracasser, comme le journal à
disparaître, comme le nid d’oiseau en feu du village, un
rêve aussi illusoire que le grand slogan du « rêve
chinois » (中国梦)
régulièrement martelé urbi et orbi depuis 2012 par le
président Xi Jinping.
Un premier long métrage prometteur
Premier
long métrage, « Journey to the West » a de belles idées mais
qui auraient sans doute été mieux mises en valeur avec un
montage plus serré
[3],
et surtout un scénario plus cohérent.
Le
problème du mockumentary
Comme
l’a expliqué le réalisateur interrogé en marge du festival
de Rotterdam en avril 2022
[4],
le film lui a été inspiré par un article lu dans un journal,
faisant état d’un reporter de la télévision du Shandong
parti interroger un paysan qui prétendait être entré en
contact avec des extraterrestres et en avait capturé un dans
un piège tendu pour capturer des lièvres ; il l’avait mis au
congélateur en attendant que ses congénères viennent
récupérer ses restes. Les restes, en fait, s’étaient révélés
n’être qu’une vulgaire poupée en silicone.
L’âne et la carotte
C’est
l’idée dont est parti Kong Dashan, et autour de laquelle il
a développé le scénario avec son coscénariste Wang Yitong –
celui qui joue dans le film le rôle quasi homonyme de Sun
Yitong. Wang Yitong est le scénariste et réalisateur d’un
court métrage de 4’30 primé à Pingyao en 2017 : « The Pig
Butcher » (《殺豬匠》),
sorte de méditation philosophique sur la musique de
« Méditation » de Massenet. Wang Yitong, de son côté, avait
vu et aimé le court métrage réalisé par Kong Dashan comme
film de fin d’étude à l’Institut du cinéma de Pékin. Kong
Dashan était en panne sur son scénario, l’écriture a
redémarré, mais elle a pris deux ans.
The Pig Butcher
C’est
un film du genre
mockumentary (仿纪录片),
et volontairement car c’est actuellement un genre promu à
l’Institut du cinéma de Pékin. Mais jusqu’ici les films
faits dans ce style étaient surtout des films d’horreur ou
policiers. Kong Dashan a donc innové. Cependant, comme
beaucoup de mockumentaries, le scénario manque
quelque peu de cohérence. La séquence du paysan qui en est
l’idée initiale est traitée dans un style
pseudo-documentaire, le reste dans un style réaliste tendant
vers le surréalisme. On a ainsi l’impression d’une série de
séquences reliées par des images de marches dans la montagne
– certaines des séquences étant des petits numéros très
réussis mais mal intégrés au reste.
Quelques séquences très réussies
La
séquence la plus drôle est celle où le malheureux Tang
Zhijun, se retrouvant seul dans la montagne, tombe sur un
âne qui s’est enfui du moulin où il travaillait pour
actionner une meule. Il a gardé attachée sur la tête la
carotte pendue devant son nez pour le faire avancer. Pris de
pitié, Tang Zhijun détache le bâton qui la retient et tente
de monter sur le dos de l’animal pour continuer son chemin.
Peine perdue, l’âne refuse d’avancer. Il faudra lui
rattacher la carotte devant le nez pour qu’il bouge et
emporte un Tang Zhijun riant tout seul de la bêtise de
l’animal.
Séquence évidemment symbolique où la carotte ressemble à
toutes les illusions qui font avancer les hommes, l’illusion
de rencontrer des extraterrestres n’étant pas des moindres….
Séquence drôle mais isolée, un peu comme un sketch comique.
Belle photographie
La
photographie est l’un des éléments réussis du film : elle
est signée Matthias Delvaux. Elle comporte au début des
séquences dans un style VHS pour montrer en flashback la
passion de Tang Zhijun pour les extraterrestres dès sa
jeunesse, sur un mode documentaire d’interview. Mais il
évite les photos grand angle de la montagne, en restant au
plus près des personnages et de leurs déambulations dans les
sentiers boueux et glissants.
La
caverne des monts Daliang
La
photo la plus marquante est celle la grotte dans la
montagne, prise de l’intérieur, avec Wang Yitong en
contrejour, presque comme un alien lui-même.
Mention spéciale aux interprètes…
Yang
Haoyu (杨皓宇)
Tang Zhijun
Ai Liya (艾莉娅)
[5] son
épouse
Wang Yitong (王一通)
Sun Yitong
Jiang Jiming (蒋奇明)
le journaliste Na Risu (那日苏)
Sheng Chenchen (盛晨晨)
l’insomniaque Xiao Xiao (晓晓).
…
et au producteur
Au
générique figure parmi les producteurs le nom de
Frant Gwo (郭帆),
réalisateur de films de science-fiction, et en particulier
des deux « Wandering Earth » (《流浪地球》)
adaptés de nouvelles de Liu
Cixin (刘慈欣),
sur lesquels a également travaillé Kong Dashan. Le
scaphandre de Tang Zhijun dans « Journey to the West »
semble d’ailleurs un clin d’œil à ceux de « Wandering
Earth ».
« Journey to the West » est un premier long métrage qui
laisse augurer un avenir prometteur.
Journey to the West
[1]Ou
« Pérégrination vers l’Ouest » dans la traduction
française d’André
Levy
parue en Pléiade (Gallimard, 1991).
[2]
Région montagneuse très pauvre qui
fait l’objet d’une politique de développement
agricole et industriel fondée sur le relogement de
populations villageoises vivant dans des zones
difficiles d’accès :
[5]
Actrice d’origine mongole née en
décembre 1965 : l’un de ses premiers rôle a été
celui de Ermo (二嫫)
dans le film éponyme de Zhou Xiaowen (周晓文)
sorti en 1994, et c’est elle qui interprétait le
rôle de Li Haiyan (李海燕)
dans le film de 2019 de
Wang Xiaoshuai (王小帅)
« So
Long My Son » (《地久天长》).