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« Blush » : l’un des plus beaux films réalisés par Li Shaohong

par Brigitte Duzan, 29 janvier 2025

 

Ours d’agent à la Berlinale en 1995, « Blush » (《红粉》) est l’un des plus beaux films de Li Shaohong (李少红). Adapté de la nouvelle « Hongfen » (《红粉》) de Su Tong (苏童) [1], il est sorti quatre ans après « Épouses et concubines » (《大红灯笼高高挂》) de Zhang Yimou, adapté lui aussi d’un récit de Su Tong.

 

 

 

Blush, affiche de 1995

 

La nouvelle de Su Tong

 

« Hongfen » (《红粉》) est en fait le titre d’un recueil de nouvelles, courtes et moyennes, écrites par Su Tong en 1991.  « Hongfen » est la première[2]. Le terme désigne le fard, pris ici par extension comme symbole du monde féminin dans l’ancienne société ; il constitue un leitmotiv symbolique que l’on retrouve à la toute fin du récit.

 

L’histoire est celle de deux femmes, Qiu Yi (秋仪) et Xiao’e (小萼), courtisanes d’une maison close de Suzhou. Le récit commence sans explications superflues alors que, « de bonne heure, un matin de mai » ( 五月的一个早晨), un camion de l’armée se gare à l’entrée de la ruelle où se trouve la maison close et embarque les femmes manu militari au milieu d’une foule de badauds et d’une haie de soldats. Les deux dernières à sortir sont Qiu Yi et Xiao’e, l’une superbe, en qipao fleuri et chaussures à talons hauts, l’autre à peine réveillée, les cheveux en bataille et les yeux cernés. Le caractère des deux femmes ressort ainsi tout de suite de ces premières lignes : Qiu Yi prenant sa consœur terrorisée par la main et affirmant sa fermeté face à l’incertitude du sort qui les attend.

 

Il faut comprendre entre les lignes, et par une précision en fin d’introduction, que le récit se situe au printemps 1950, alors que, les Communistes étant arrivés au pouvoir, ils ont interdit la prostitution et les maisons closes : les femmes doivent être rééduquées pour devenir des travailleuses respectables, apportant leur contribution à l’édification de la Chine nouvelle.

 

Qiu Yi, indomptable, saute du camion et s’enfuit en courant, ses chaussures à la main. Xiao’e, toujours en pleurs, est conduite avec les autres au camp de rééducation. Pendant ce temps, Qiu Yi revient à la maison close pour tenter de récupérer ses affaires. Elle se trouve nez à nez avec la tenancière qu’elle doit menacer de mettre le feu à la maison pour obtenir son dû. Sur quoi, elle repart retrouver l’un de ses anciens clients, Lao Pu (老浦). Mais celui-ci a tout perdu, ses biens ont été confisqués, il est en outre timide et faible. Incapable de défendre l’amour sincère que lui porte Qiu Yi, il cède à sa mère et la renvoie. Qiu Yi se rase le crâne et se réfugie dans un monastère de nonnes, qui la renvoient quand elles s’aperçoivent qu’elle est enceinte.

 

Pendant ce temps, n’en pouvant plus, Xiao’e s’est échappée de l’usine, et s’est à son tour réfugiée auprès de Lao Pu qu’elle finit par épouser. Mais, demandant toujours plus d’argent, elle le pousse à voler dans la caisse ; il est pris et exécuté. Après sa mort, Xiao’e part dans le nord en abandonnant l’enfant qu’elle a eu de Lao Pu, et qui est alors recueilli par Qiu Yi, dans une superbe boucle narrative qui se clôt sur la découverte par l’enfant d’une jolie petite boîte de métal aussitôt confisquée : « Mais qu’est-ce que c’est ? » demande l’enfant. - « Une boîte de fard à joues, répond Qiu Yi, ce n’est pas un jeu pour les petits garçons » (这是一只胭脂盒,小男孩不能玩的。).

 

La chute est magnifique car elle montre en filigrane que, certes, les temps ont changé, les femmes ne sont plus obligées de se prostituer pour vivre, comme dans la nouvelle emblématique « Le croissant de lune » (《月牙儿》) de Lao She (老舍), mais les mentalités restent marquées par les règles étroites de la société patriarcale. La prétendue libération des femmes est illusoire.

 

Le film de Li Shaohong

 

Un scénario fidèle à la nouvelle

 

Elle-même enfant des ruelles de Suzhou, née là au moment où s’achève la nouvelle de Su Tong, Li Shaohong était en symbiose avec sa nouvelle. Elle a coécrit le scénario avec Ni Zhen (倪震), qui avait été son professeur à l’Institut du cinéma de Pékin[3] et qui venait d’écrire avec Zhang Yimou le scénario d’« Épouses et concubines ».

 

Le scénario reprend dans ses grandes lignes la nouvelle de Su Tong, avec un grande fidélité tant dans la forme que dans le fond, et ce dès le début : le film commence de la même manière au moment où les femmes sortent de la maison close et sont emmenées par les soldats, Qiu Yi se dégageant de la foule par sa prestance et son chic discret, traînant à ses basques une Xiao’e ébouriffée et geignarde qui s’accroche à son bras. Dès ces premières images, le film dégage une tonalité authentique, ne serait-ce que dans les couleurs.

 

 

 

la sortie de la maison close (Qiu Yi au centre)

 

L’une des premières différences est que Qiu Yi ne saute pas du camion mais d’une fenêtre pour s’enfuir, tout en enlevant de la même manière ces chaussures à talon. Cela nous offre une superbe image de toits où se dessine un silhouette dans l’encadrure d’une fenêtre ouverte, dans des couleurs tirant sur les bruns et les beiges :

 

 

 

la fuite de Qiu Yi

 

La novella « Épouses et concubines » (《妻妾成群》) dressait le tableau d’un monde ancien, figé dans ses mentalités et ses modes de vie, dans les années 1920. « Hongfen » semble reprendre le récit au début des années 1950, quand ce monde vole soudain en éclat, en prenant pour symbole l’univers feutré des maisons closes. Il pourrait aussi bien être la suite du film de Hou Hsiao-hsien (侯孝贤) « Les fleurs de Shanghai » (《海上花》) qui, lui, est sorti trois ans plus tard au festival de Cannes - comme si ces années 1990 suscitaient chez lui une réflexion sur le passé teintée de nostalgie.

 

Le scénario de « Blush » reprend au contraire le fil narratif de Su Tong qui offre, lui, une vision résolument sombre de ce monde ancien, balayé par l’histoire comme une feuille morte. Li Shaohong fait du personnage de Qiu Yi le centre lumineux et chaleureux de son histoire, un personnage dont la générosité et la fidélité sincère à un amour profond sont les caractéristiques essentielles ; c’est cela qui lui permet de trouver la paix, dans un monde en plein bouleversement, en élevant l’enfant de Lao Pu.

 

Une réalisation toute en finesse

 

La mise en scène évite tout effet mélodramatique. Li Xiaohong a épousé l’esthétique de la peinture traditionnelle, en évitant de multiplier les gros plans pour créer au contraire tout un espace pour ses personnages, en particulier dans la vieille demeure de Lao Pu dont le décor évoque aussitôt le monde ancien qui est en train de disparaître en même temps que les maisons closes.

 

 

 

un monde en voie de disparition

 

Elle a aussi évité une représentation directe des épisodes les plus durs (comme la fausse-couche de Qiu Yi) ; ils restent hors champ pour la plupart, comme dans le théâtre classique. L’accent est mis sur la transformation subtile des deux femmes, l’une courtisane de luxe, sensuelle et un rien blasée, se révélant capable de générosité et d’altruisme tandis que l’autre se glorifie d’être née pour le bordel,  jusqu’à entraîner la mort de l’homme qu’elle a séduit et manipulé.

 

Les images du film sont parmi les plus belles du cinéma chinois de ces années 1990, entre nostalgie sépia et réalité de l’environnement, comme l’image brumeuse d’un canal de Suzhou où un drapeau rouge sur un pont rappelle qu’on est au début des années 1950 et que les femmes sont convoyées vers un avenir tout aussi brumeux que le temps :

 

 

 

 

À cet égard, « Blush » une œuvre complexe, qui souligne les difficultés de se libérer des schémas mentaux hérités du passé, et le fait essentiellement par l’image, bien que Li Shaohong ait eu recours à une voix-off pour clarifier les contradictions intimes des personnages. C’est peut-être là le plus contestable de ses choix de mise en scène. Mais il est compensé par la finesse de l’interprétation qui vient doubler la richesse visuelle.

 

D’excellents interprètes

 

Lao Pu est interprété par Wang Zhiwen (王志文) qui est sans doute aujourd’hui le plus connu des trois interprètes principaux. C’était son premier grand rôle, mais on le retrouvera en 1997 dans « Eighteen Springs » (《半生缘》) d’ Ann Hui (许鞍华) , où il joue d’ailleurs un rôle assez semblable à celui de Lao Pu…

 

 

 

Wang Zhiwen dans le rôle de Lao Pu

 

Xiao’e est interprétée par He Saifei (何赛飞), qui était une interprète d’opéra yue, spécialiste des rôles de dan. Elle jouait déjà dans « Épouses et concubines » où elle interprétait le rôle de Meishan (梅珊), la troisième maîtresse (三太太). Elle a surtout joué ensuite à la télévision, et dans des films d’opéra.

 

 

 

He Saifei dans le rôle de Xiao’e

 

Le rôle de Qiu Yi est interprété par Wang Ji (王姬), qui est plutôt une actrice connue pour ses rôles à la télévision. Mais elle a beaucoup de présence dans le film, y compris quand elle se fait tondre la tête pour entrer au monastère.

 

 

 

Wang Ji dans le rôle de Qiu Yi

 

 

 

et le crâne rasé

 

Le grand regret, pour « Blush » comme beaucoup de films de Li Shaohong, est qu’il est difficile d’en trouver des copies, y compris sur internet. Il faut se précipiter chaque fois qu’on en trouve un programmé lors d’un festival ou un autre. « Blush » a pourtant été coproduit par China Film.


 

[1] Traduit en français : « Visages fardés », trad. Denis Bénéjam, Philippe Picquier, 1995.

[3] Dont il a écrit les débuts dans son ouvrage de référence : « Memoirs from the Beijing Film Academy » (《北京电影学院故事——第五代电影前史》), éditions des Écrivains 作家出版社, 2002.

 

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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