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« Brief History of a Family » de Lin Jianjie :  

images léchées de la nouvelle classe moyenne chinoise

par Brigitte Duzan, 15 août 2025

 

 

Brief History of a Family

(affiche pour les festivals de Berlin et Sundance)

 

 

« Brief History of a Family » (《家庭简史》) est le premier long métrage écrit et réalisé par Lin Jianjie (林见捷), sorti au festival Sundance, aux États-Unis, en janvier 2024, puis projeté en première européenne le mois suivant au festival de Berlin, dans la section Panorama [1]. C’est une coproduction Chine/ Danemark/Qatar/ France, qui s’explique par les difficultés qu’il y a aujourd’hui à trouver en Chine le financement d’un film qui n’est ni une superproduction ni un film à très faible budget [2].

 

 

Affiche chinoise

 (thème de l’outsider à la table familiale)

 

 

La Chine après l’enfant unique

 

Comme l’indique le titre, le film est l’histoire d’une famille chinoise, une famille aisée de cette classe moyenne émergente dont on parle de plus en plus. Le père est biologiste, la mère ex-hôtesse de l’air, ils ont un fils lycéen d’une quinzaine d’années, Tu Wei (涂伟). Ils n’ont pas de problème d’argent, ils ne semblent d’ailleurs pas avoir de problèmes, sauf l’inquiétude que leur cause l’avenir de leur fils qui passe plus de temps sur les jeux vidéos que sur son travail scolaire.

 

Or, un jour par inadvertance, Wei blesse un de ses camarades de classe dans la salle de sport. Il emmène le camarade en question, Yan Shuo (严硕), à l’infirmerie et l’invite ensuite chez lui à jouer à un jeu vidéo. Quand les parents rentrent, ils invitent le copain à dîner. Yan Shuo est visiblement taciturne, mais se fait tout de suite remarquer en noyant son riz dans de la sauce au soja, sous le regard stupéfait des trois autres. Il n’est de toute évidence pas du même milieu social. Mais il est gentil, et il sait dire tout ce qu’il faut pour se rendre sympathique et donner envie de le prendre en pitié : sa mère est morte quand il avait dix ans (et il y revient souvent), son père boit et le bat (il est couvert d’ecchymoses), et surtout c’est le bon en classe qui travaille pour réussir, contrairement à Wei qui ne rêve que d’escrime.

 

Yan Shuo revient, est invité à dormir et finit par s’installer après la mort de son père, au point de partir en vacances avec les parents, à la place du fils qui ne veut pas rater une compétition d’escrime. Le tableau est insidieusement posé pour que naisse et éclate la jalousie chez le fils évincé de son statut d’enfant unique. Après une scène d’anniversaire cataclysmique, la fin est laissée plus ou moins ouverte.

 

D’indéniables qualités esthétiques

 

Comme nombre de films où une famille est bousculée par un intrus [3], l’arrivée de Yan Shuo dans l’univers feutré et cossu qui est celui de son camarade engendre des sentiments contradictoires chez les parents et le fils, en faisant remonter des tensions refoulées : sous la banalité du quotidien émergent des souvenirs douloureux liés, entre autres, à l’ex- politique de l’enfant unique. Yan Shuo semble être l’enfant idéal, bosseur et avide de culture, que n’est pas le fils en titre. Lin Jianjie crée peu à peu les germes de la discorde jusqu’à ce qu’elle éclate au grand jour dans une sorte de paranoïa fébrile dans l’esprit de Wei, mais toujours de manière feutrée, par images lapidaires.

 

 

Li Jianjie à Berlin avec ses deux interprètes principaux :
Zu Feng (祖峰) à g. et l’actrice Guo Keyu (郭柯宇) à dr.

 

 

Le cadre même de cette maison luxueuse et bien rangée semble apaisant et appeler à la méditation plus qu’aux cris : ouverte par une grande baie vitrée sur un jardin verdoyant, chaque chose y est naturellement à sa place sans que personne ne semble jamais avoir à ranger ni nettoyer. La tension reste latente, même si elle finit par agir sur les nerfs. Dans ce contexte, le soin porté à l’esthétique semble avoir primé tout le reste. C’est d’ailleurs ce qu’ont retenu et apprécié les critiques qui ont pu voir le film dans les festivals internationaux ainsi qu’en France.

 

Une image très travaillée

 

Le film est généralement loué pour l’image qu’il offre de la Chine contemporaine et de sa nouvelle classe moyenne, dans les grandes villes. Il a d’ailleurs été filmé dans trois villes différentes, Chengdu, Hangzhou et marginalement Pékin, mais en brouillant les caractéristiques qui auraient pu faire reconnaître l’une ou l’autre, de manière à dégager une image emblématique de la ville moderne chinoise, dans ses aspects les plus attrayants il faut bien le dire. De la même manière, contrairement à une vogue qui tend à se répandre, les dialogues sont dans le chinois le plus parfaitement standard, sans la moindre nuance de dialecte local.

 

Cependant, ce qui frappe dès l’abord, c’est l’esthétique de la photographie, qui tient à la fois des choix du réalisateur et de la technique du chef opérateur, Zhang Jiahao (张嘉昊), qui a également signé la photo du film de 2025 de Qiu Sheng (仇晟) « My Father’s Son » (《比如父子》). L’une des premières séquences du film, qui présente les principaux personnages, le fait comme s’ils étaient vus d’oiseau, dans une composition circulaire rappelant l’objectif d’une longue vue… ou d’un microscope. On a des images du même genre dans la suite du film, rappelant le métier du père, biologiste - la biologie étant aussi ce qu’a initialement étudié Lin Jianjie. Comme si les personnages étaient passés au microscope pour en découvrir les ressorts cachés.

 

 

 

 

L'image est par ailleurs celle d’une unité familiale sans heurts ni hiatus, dans une maison de rêve, calme et ouverte sur la nature. Mais elle recèle en fait des coins et des zones d’ombre, on entend parfois un son dont on ne sait trop d’où il vient, d’une autre pièce, quelque part. La maison gagne en ambiguïté en même temps que les personnages, au fur et à mesure que s’installe et croît le soupçon, le doute : sur le caractère et les motivations de Yan Shuo bien sûr, mais aussi des parents. Et l’image répétée, presque obsédante, de l’aquarium et de ses poissons finit par créer le sentiment que c’est toute la maison qui est ainsi, comme un aquarium où les personnages sont enfermés, dans un univers sans communication avec le monde extérieur.

 

Le seul moment où ils en sortent, c’est pour partir pendant quelques jours, dans un autre lieu idyllique : un hôtel de grand luxe au bord d’un lac, près d’une forêt de bambous. Là encore, cependant, lac et forêt sont symboliques : le bambou rappelle le décor mural derrière la table de leur salle à manger, et la chambre de l’hôtel est presque une réplique de celle de leur maison – une extension de l’aquarium, en quelque sorte. On reste dans le registre allégorique.

 

Musique et son originaux

 

Comme dans les films de Hitchcock, la musique de « Brief History of a Family » vient jouer sur les nerfs alors même que le film est relativement calme et que les voix ne sont jamais forcées [4]. C’est une musique signée du compositeur danois Toke Brorson Odin qui incorpore des sons industriels et électroniques pour une impression de science-fiction. Le son lui-même est travaillé pour jouer sur l’atmosphère en donnant une tonalité presque inquiétante au quotidien [5].

 

Ce sont surtout ces qualités qui ont été louées par des critiques comme Carlos Aguilar pour Variety, ou Leslie Felperin pour The Guardian qui souligne également la qualité de l’interprétation. Il en est de même pour les critiques parues en France.

 

Un film malgré tout un peu décevant sur le fond

 

Comme souvent, cependant, le film n’est pas apprécié de la même manière en Chine qu’à l’étranger [6]. Si ses qualités esthétiques sont indéniables, on peut lui reprocher de véhiculer une image un peu stéréotypée de la réalité chinoise, allant même dans le sens des injonctions actuelles du pouvoir – après tout il a eu le visa de censure, on n’a rien sans rien.

 

 

L’acteur Lin Muran (林沐然), à dr., dans le rôle de Wei

 

 

Le luxe calme et tranquille de la nouvelle classe moyenne, des intellectuels pratiquant le tennis autant que la calligraphie, écoutant du Bach dans leur bureau aseptisé, a quand même quelque chose de surfait : comme une bulle à la surface du lac. Quant à la séquence où les parents du jeune Wei retrouvent un couple d’amis pendant leurs vacances et que la femme annonce être enceinte « pour suivre les directives du Parti », on a envie de s’insurger : on sait bien que le Parti, justement, n’arrive pas à faire remonter la courbe des naissances, en dépit de toutes les incitations possibles, la dernière en date étant la gratuité des maternelles. En revanche, le désir des parents d’envoyer leur fils étudier à l’étranger, aux États-Unis bien sûr, est plus proche de la réalité. Mais cela aussi est en train de changer.

 

 

L’acteur Sun Xilun (孙浠伦) dans le rôle de Yan Shao

 

 

Surtout, les Chinois qui aujourd’hui songent à avoir un deuxième enfant, ou en ont un, ne le font pas sans consulter le premier. Ils sont très conscients des risques que comporte un nouvelle naissance quand le premier enfant est habitué à être « enfant unique », et choyé comme tel. Dans le film, on est constamment étonné que les parents agissent sans égard pour leur fils, en le mettant devant le fait accompli en particulier quand ils lui annoncent abruptement vouloir adopter son camarade. Les réactions de jalousie du fils en sont d’autant plus exacerbées.

 

On rejoint donc les critiques très réservées sur le fond que l’on trouve sur les sites chinois, douban en particulier, alors même que le film n’est pas encore sorti en Chine. Tout est beau, bien léché, mais finalement superficiel, voire trompeur comme une belle affiche.

 

Trailer https://www.youtube.com/watch?v=7ALtKM0jiPQ&t=2s

 


 

Commentaires

 

Panda Ly

Un film chinois "moderne", fait pour épater un public supposé avoir des goûts cinéphiles recherchés, ou pour happy fews de festivals. C'est très joliment filmé : plans toujours bien composés, lenteur assumée, musiques originales ou ajoutées avec goût. Nous sommes ici dans un monde de riches à la solitude chic qui se fait parasiter par un élément étranger et pauvre. Une sorte de tout petit Théorème. Ce genre d'ambiance aseptisée (où les maisons ressemblent à des hôtels 3 étoiles) et pourtant viciée, on a plus l'habitude de le voir dans les cinémas japonais ou coréen. C'est intéressant quand le récit est creusé jusqu'à l'os, comme dans Parasite de Bong Joon-ho. Ici tout est en suspens, on ne fait que suggérer sans trop oser prendre parti (ça permet aussi d'échapper aux griffes de la censure...). On essaie de choquer, mais sans trop déranger (quand la machine se grippe on remet une petite pièce : une arête de poisson suspecte, un rêve bizarre, bruits étranges dans les WC...). Il parait que c'est proche d'un cinéaste grec dont je n'ai vu aucun film. C'est un cinéma un peu trop malin qui au final ennuie.

  

 


 

[1] Et sorti sur les écrans français le 13 août 2025.

[2] Le budget d’environ 1,5 million de dollars a été essentiellement cofinancé par le Doha Film Institute du Qatar et la société française Films du Milieu, avec le concours du TorinoFilmLab en lien avec le coproducteur danois.

[3] Comme, par exemple, « Théorème » de Pasolini, mais sans l’aspect sensuel pasolinien.

[4] On peut ajouter que la lenteur joue aussi sur les nerfs ; on aurait pu valablement couper certaines scènes et ramener ainsi le film à 1h30.

[5] Le son représente l’apport français.

[6] Il n’est noté que 6 sur douban.

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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