« Listening to the Wind » : un Peng Tao de derrière les
fagots
par Brigitte
Duzan,
20 juillet 2025
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Listening
to the Wind |
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Terminé en novembre 2023, mais sorti seulement en juin 2025
au festival de Shanghai, « Listening
to the Wind
» (《风过耳》)
est le cinquième long métrage écrit et réalisé par
Peng Tao (彭韬),
un réalisateur connu pour au moins deux de ses précédents
films : « La
môme Xiao » (《血蝉》)
en 2008 et « The
Cremator » (《焚尸人》)
en 2012.
« Listening
to the Wind
» est
dans la lignée de ces deux films : original dans sa peinture
subtile et allusive des sentiments, sans trace de
dramatisation malgré le sujet sombre qui aurait pu s’y
prêter.
Trois personnages en quête de rédemption
Ils
sont trois en effet : un vieil homme veuf et aveugle, en
attente sans plus trop y croire d’une greffe de cornée, une
jeune femme, Huiying (惠英),
qui vient s’occuper de lui, et une ombre qui passe, anonyme
au départ.
Le
vieil homme n’a plus beaucoup d’activités sociales, mais
continue à fréquenter un cinéma qui passe des films pour les
aveugles : l’action à l’écran est décrite par un narrateur.
Il est accompagné par un vieil ami, masseur. La jeune femme
est attentive, mais distante quand le vieil homme tente de
lui faire de vagues approches et de lui donner de l’argent.
Quant au jeune homme, il passe silencieusement dans la
ville, en se liant d’amitié avec un peintre qui dessine des
motifs géométriques sur les murs en ruine d’un bâtiment qui
va être démoli.
Toute
la première partie du film est une lente et patiente
description de la vie quotidienne qui, à travers ses
non-dits, suscite une série de questions : pourquoi le vieil
aveugle est-il seul ? Qui est cet homme qui erre en silence,
comme un fantôme ? Qui est vraiment cette femme qui s’occupe
du vieil aveugle ? Qui est le peintre qui dessine sur les
murs ?
On
réalise peu à peu que cet homme énigmatique, He Daming (贺大明),
sort de prison, raison pour laquelle son père a rompu tout
contact avec lui. Et comme la plupart des prisonniers
récemment libérés (et ils sont nombreux au cinéma, en Chine,
ces derniers temps), il a beaucoup de mal à retrouver une
vie normale. Cependant, ce qui l’a amené, en réalité, dans
la ville de son enfance, c’est le fait qu’il est gravement
malade, et condamné. Il est donc venu tenter de revoir son
père une dernière fois avant de mourir. Mais il choisit de
rester silencieux et de cacher son identité à son père,
preuve de son angoisse.
C’est
sa femme qu’il a chargée de s’occuper du vieil homme, et
c’est elle, finalement, qui sert de pont entre les deux. On
ne peut en dire trop pour ne pas divulguer les subtilités du
scénario, mais c’est le personnage de cette femme qui est
véritablement au centre du film : elle représente tout ce
que la femme chinoise peut avoir de résilience dans les
épreuves, mais aussi de ferme et douce assurance pour
procurer du réconfort autour d’elle.
Toute
l’intensité des sentiments est lovée dans le silence,
l’impossibilité de s’exprimer. Même une vieille photo
trouvée par hasard reste énigmatique car l’un des
personnages a la tête amputée. Ce silence, c’est ce qui
domine, dans le film, et donne l’impression d’un feu
intérieur, à combustion lente.
Dans
ces conditions, le film repose en grande partie sur le jeu
des acteurs, leur présence.
Un formidable portrait de femme
Tous
les rôles sont très bien interprétés, en particulier celui
de l’homme, mystérieux comme une ombre, joué par Wang
Yanjiang (王彦江).
Mais c’est l’interaction entre le vieil aveugle et Huiying
qui domine le film.
Le
vieil aveugle est interprété par Yao Anlian (姚安廉)
qui jouait le rôle du père, déjà, en 2005 dans
« Shanghai dreams » (《青红》)
de
Wang Xiaoshuai (王小帅)
et en 2007 dans « The
Red Awn » (《红色康拜因》)
qui marquait les débuts de réalisateur de
Cai Shangjun (蔡尚君).
Mais il est un peu en retrait, comme il sied à son rôle,
c’est surtout Cao Xiwen (曹曦文)
dans le rôle de Huiying qui est remarquable.
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Yao Anlian dans le
rôle du vieil aveugle |
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C’était jusque-là une actrice de la télévision. Dans « Listening
to the Wind
» elle
apparaît quasiment sans maquillage, sans prétention ni aura
de star. Elle reflète la fatigue et la résilience du
personnage, mais aussi toute une tendresse cachée envers le
vieil homme dont elle a été chargée de prendre soin. Dans un
contexte où les films chinois, dans les années post-covid,
ont souvent pour thème la problématique de la femme en tant
qu’individu, sa recherche d’un épanouissement personnel qui
ne passe pas forcément par le mariage, le film de Peng Tao
semble aller à contre-courant de cette vogue, en dressant un
portrait de femme emblématique de la culture non seulement
chinoise, mais est-asiatique : une femme souvent au centre
même des orages et des drames, mais capable d’avoir la force
tranquille d’en réparer les dommages.
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Père et fils |
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Peng
Tao a délaissé le cinéma indépendant pour rentrer dans le
giron du cinéma officiel et pouvoir sortir ses films sur les
écrans chinois. « Listening
to the Wind
» a
certainement beaucoup d’atouts pour réussir. Mais il part
malgré tout avec le handicap de sa longueur (2 heures 1/2),
au risque de lasser ceux qui tenteront de déchiffrer ses
énigmes.
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