|
« Perfect life », de Tang Xiaobai : la surprise de la
Biennale de Venise en 2008.
par Brigitte
Duzan,
1er septembre
2008, révisé 3 avril 2013
A la
Biennale de Venise, fin août 2008, on attendait avec
intérêt le film de Yu Lik-wai (余力为)
« Plastic city » (《荡寇》),
mais ce fut une déception. La surprise – côté films
chinois, bien sûr - est venue d’une jeune
réalisatrice dont le deuxième long métrage était
présenté dans la section « Orizzonti » :
Tang Xiaobai
(唐晓白),
dite Emily Tang à Hong Kong où elle réside
aujourd’hui.
Destins
féminins croisés, entre documentaire et fiction
« Perfect
life » (《完美生活》)
est, pour une fois, la traduction littérale du titre
chinois. Evidemment, ce titre est ironique, la
perfection, comme tout le monde sait, n’étant pas de
ce monde, et certainement pas la caractéristique du
monde des deux femmes dont le film entrecroise
savamment les destins.
La
première, Li Yueying
(李月颖),
21 ans, a grandi dans une des tristes villes
industrielles |
|
Perfect Life |
du Nord-Est de la
Chine, l’œil rivé sur un « ailleurs » forcément prometteur ;
elle a fini par réussir à partir direction Hong Kong en
accompagnant un homme qui l’a laissée tomber en arrivant à
Shenzhen. Décidée à ne jamais revenir dans le nord, elle est
résolue à affronter plutôt les épreuves de la vie locale.
Elle en est encore au stade du rêve.
Tang Xiaobai au
festival de Venise, en 2008,
avec à sa droite
l’acteur Cheng Taishen (成泰燊)
et à sa gauche le
producteur Chow Keung (周強) |
|
A un
carrefour, elle croise une autre femme, plus âgée, Jenny (珍妮),
qu’elle ne connaît pas et ne connaîtra jamais, mais
qui semble le reflet de ce qui l’attend : à la suite
de son divorce, Jenny a quitté Hong Kong et se
retrouve à battre le pavé à Shenzhen. Elle a laissé
derrière elle les illusions d’une existence dont
elle a rêvé et pour laquelle elle s’est battue. En
pure perte.
Le
film est construit sur cette dualité de destins
finalement très semblables, comme les deux pages
d’un document imprimé recto-verso sur un papier très
fin, le recto |
apparaissant
en filigrane au verso. Le caractère dual est renforcé par le
double registre narratif et stylistique utilisé :
documentaire pour Jenny, interprétée par un personnage
réel, Jenny Tse (谢珍妮),
fictionnel pour Li, interprété par l’actrice Yao
Qianyu (姚芊羽).
Le film est
ainsi un jeu subtil mêlant le vrai et le faux, la vérité et
le mensonge, le passé et le futur, les choses n’étant jamais
purement linéaires, mais essentiellement contradictoires.
Cela fait des milliers d’années que la philosophie chinoise
ne fait que répéter cela.
« Perfect
life » apparaît ainsi comme une illustration du Daodejing.
Mais c’est aussi, plus prosaïquement, la traduction de
l’expérience propre de la réalisatrice,
Tang Xiaobai,
elle-même « émigrée » à Hong Kong en 2001, et dont le destin
aussi semble apparaître en filigrane au travers de ceux de
Li et de Jenny. Le tout donne une image assez amère du
destin de la femme en Chine – en tout cas au delà de
l’illusion du mariage.
Une production
XStream
« Perfect
life » a été le film d’ouverture de la section Orizzonti de
la Biennale de Venise, le 27 août 2008, et a ensuite
participé à la compétition officielle du festival de
Vancouver en octobre, où il a été primé.
Vu la
construction du film, mêlant documentaire et fiction, on
n’est pas étonné de le voir coproduit par XStream Pictures,
la société de production créée en 2003 par
Jia Zhangke, Chow
Keung et Yu Lik-wai, qui a produit les films de Jia Zhangke
à partir de 2004.
Tang Xiaobai
n’est cependant pas aussi à l’aise dans le docu-fiction que
ce dernier et son film a quelque peu déçu. Ses deux lignes
narratives ont du mal à trouver une unité cohérente, la
connexion entre les deux personnages féminins restant
toujours du domaine du virtuel. Elle est d’ailleurs revenue
à un scénario purement fictionnel pour son troisième film.
|
|