« Liu Qing » : biopic sur l’écrivain des débuts de la
collectivisation, par Tian Bo
par
Brigitte Duzan, 15 avril 2023
Liu Qing,
affiche officielle
Liu Qing (柳青)
est le grand écrivain de la période maoïste dite « des 17
ans » (1949-1966). En 1952, il est allé vivre dans un
village du Shaanxi, le village de Huangfu (皇甫村)
non loin de Xi’an, et y est resté quatorze ans pour écrire
un roman sur la vie des paysans. Ce roman,
« Histoire d’une entreprise » (chuàng
yè shǐ《创业史》),
relate l’histoire du plateau au nord de la Wei, de la fin
des années 1920 au mouvement de création des
équipes d’entraide
et des coopératives agricoles préludant à la
collectivisation, dans la première moitié des années 1950.
La première partie a initialement été publiée dans le numéro
de juin 1959 de la revue Shouhuo (《收获》),
la publication du reste s’étant étalée ensuite sur plusieurs
années.
Affiche
pour la sortie en Chine le 21 mai 2021
En bas de l’affiche : 胸中有大义,笔下有乾坤
au cœur un grand idéal, sous sa plume tout l’univers
Le
biopic de Tian
Bo (田波)
est adapté de la biographie de Liu Qing (《柳青传》)
écrite par sa fille Liu Kefeng (刘可风),
publiée aux éditions Littérature du peuple en 2016. La
cérémonie de début du tournage a eu lieu à Xi’an le 11
octobre 2018, dans le cadre des manifestations de la 5e
édition du très officiel Festival du cinéma de la Route de
la soie (第五届丝绸之路国际电影节).
En octobre 2020, une première mouture du film a été l’objet
d’une projection-test en interne au Musée de la littérature
chinoise moderne, à Pékin. Il est sorti sur les écrans
chinois en mai 2021 et a été diffusé sur CCTV en décembre.
C’est un « projet culturel » et un « produit spirituel »
[1]
réalisé sous les auspices du Parti et avec la participation
du Studio de Xi’an et du Bureau de la propagande du Shaanxi
et autres.
La
biographie de Liu Qing par sa fille
Le scénario
Le
scénario a été écrit avec Ma Xiuhua (马秀华)
et la scénariste Wang Miaoxia (王苗霞)
et a en outre été supervisé par le grand scénariste
Lu Wei (芦苇).
Il a donc été particulièrement travaillé.
Le
film débute en 1952, à Xi’an. Le jeune écrivain Liu Qing
annonce qu’il démissionne de son poste de rédacteur du
supplément culturel de la revue « Jeunesse chinoise » (《中国青年报》)
car il va aller vivre dans le village de Huangfu afin
d’observer sur le terrain le processus de transformation des
structures agricoles et leurs conséquences sur la vie des
paysans. Son objectif est d’écrire un roman sur le sujet. On
lui offre un poste de secrétaire adjoint de district, bien
inférieur au poste qu’il avait à Pékin, mais il n’en a cure.
Il
arrive à Huangfu au moment où le Parti essaie de convaincre
les paysans de participer volontairement au mouvement de
création des « équipes d’entraide mutuelle » (互助组)
pour le plus grand bien de la communauté villageoise. Le
mouvement est mené par deux jeunes enthousiastes, Wang
Jiabin (王家斌)
et Dong Binghan (董柄汉),
mais se heurte à l’opposition des plus âgés, et en
particulier du vieux Guo Fuming (郭富明)
qui ne voit pas l’intérêt du système, ayant lui-même tout ce
dont il a besoin, dont un cheval qu’il refuse de mettre « en
commun ».
Liu Qing
fêté après avoir adopté la tenue des villageois
Liu
Qing est arrivé seul au village : il est divorcé depuis
trois ans, son ex-femme vit à Pékin avec ses deux jeunes
enfants. On lui amène une jeune diplômée venue du Shandong,
Ma Wei (马葳),
qui doit l’aider. Ils ne tardent pas à fonder un ménage et
le couple s’installe dans un temple en ruines
(magnifiquement restauré). Mais Liu Qing a du mal à
s’intégrer dans le village ; toujours vêtu sur son
trente-et-un, il est considéré comme un officiel du Parti en
visite et l’objet de railleries. Il finit par se faire
tondre les cheveux et par adopter la tenue du villageois
standard, après quoi il est accepté et devient un membre
influent de la communauté villageoise dont on recherche les
avis et conseils.
En
1955, une excellente récolte incite les villageois
récalcitrants à se joindre au mouvement de coopérative, mais
toujours pas le vieux Guo Fuming. De son côté, le ménage de
Liu Qing traverse une crise car, après une visite d’un
groupe de ses amis, Ma Wei en a assez de la vie à Huangfu et
veut revenir à Xi’an pour pouvoir se consacrer à sa propre
carrière et devenir journaliste.
Ambiance de
fête
Les
tensions se multiplient aussi entre les dirigeants de la
coopérative, tandis que Liu Qing reçoit la visite de son
supérieur hiérarchique qui trouve qu’il se la coule douce et
s’indigne de son « improductivité ». Incité à « produire »
quelque chose, des nouvelles au besoin s’il n’arrive pas à
écrire de roman, Liu Qing reste ferme et refuse de sacrifier
la qualité de ce qu’il écrit pour aller plus vite. Il refuse
également la proposition qui lui est faite de revenir au
comité provincial du Parti pour travailler au bureau de la
propagande. Convoqué à une réunion de l’Association des
écrivains de Xi’an, on lui reproche d’avoir perdu son esprit
révolutionnaire.
Il est
en fait malade. Le retour de sa femme le sauve ; soigné et
aidé par Ma Wei, il reprend la plume. La publication de la
première partie du roman lui permet de gagner la somme
colossale pour l’époque de dix mille yuans. Ses enfants se
réjouissent à l’idée de pouvoir manger de la viande, mais il
donne tout au village et continue de vivre dans la pauvreté.
Il fera de même pour la deuxième partie, les fonds serviront
à financer l’électrification du village.
Le
film passe très rapidement sur les conséquences dramatiques
du Grand Bond en avant. Rien bien sûr sur la Grande Famine.
On saute directement aux préludes de la Révolution
culturelle, avec évidemment l’arrestation de Liu Qing, son
interrogatoire, son incarcération et l’inévitable
détérioration de sa santé. Réhabilité et honoré mais réduit
à un fauteuil roulant, il est soigné par sa fille (de son
premier mariage) Liu Kefeng…
Le film
Le
film doit beaucoup à l’acteur principal, Cheng Taishen (成泰燊),
qui finit par ressembler à Liu Qin, ressemblance qui saute
encore plus aux yeux quand le vrai Liu Qin est montré dans
une brève séquence au moment du générique final.
Atmosphère
idyllique
Si
l’actrice (de télévision) Dan Lin (丹琳)
a un rôle un peu ingrat, car Ma Wei reste quasiment toujours
dans l’ombre, les deux acteurs qui interprètent les deux
jeunes paysans à la tête du mouvement de coopération, Shi
Qingfeng (师清峰)
dans le rôle de Wang Jiabin et Han Shuai (韩帅)
dans celui de Dong Binghan, sont parfaits dans leurs rôles,
de même que les autres acteurs dans l’ensemble, mais dans
des rôles qui restent secondaires.
L’un
des attraits du film est sa photographie, signée Sun Ming (孙明),
pour son art de la composition et l’atmosphère créée par les
seuls effets de lumière (en intérieur) et de poussière (à
l’extérieur). Mais c’est rare et les couleurs et le cadre
sont souvent beaucoup trop idylliques.
Surtout, même si le film évite souvent les écueils du film
officiel à valeur hagiographique et éducative, il n’évite
pas les clichés (ainsi le vieux Guo Fuming finit-il malgré
tout par rejoindre la coopérative, en s’excusant de ne pas
l’avoir fait plus tôt) ; il finit par sombrer, dans la
deuxième partie, dans une débauche de sentiments qui atteint
son apogée dans les deux dernières séquences, et en
particulier la dernière où, devant un coucher de soleil
flamboyant sur les montagnes, Liu Qing égrène une série de
sentences moralisatrices, une larme au coin de l’œil. On se
pince en se disant qu’il s’agit d’un film de 2021.
Malgré tout, le film a un
avantage : celui de donner envie de lire le roman de Liu
Qing… au moins pour tenter de comprendre en quoi il a
influencé
Chen
Zhongshi (陈忠实).
Liu Qing, le film avec
sous-titres chinois et anglais
[1]
Selon les termes de Wu Yiqin, membre
et secrétaire du comité du Parti de l’Association
des écrivains du Shaanxi (中国作协党组成员、书记处书记吴义勤) [cité
dans la page baidu
du film,
n. 35]
这部影片是当下非常需要的精神产品,也是一部有情怀、有温度、有筋骨的优秀艺术作品。
Ce film est un produit spirituel
comme on en a bien besoin aujourd’hui, c’est aussi
une œuvre solide pleine de sentiment et de chaleur.