« A
l’ouest des rails » : l’agonie d’un vieux quartier
industriel en neuf heures
par Brigitte Duzan, 11 mars
2012
« A
l’ouest des rails » (《铁西区》)
montre la lente agonie d’un complexe industriel qui
fut le plus vaste de Chine au temps de sa splendeur,
dans les années 1960-70, et qui représentait un
condensé du mode d’industrialisation de la Chine
maoïste.
Une longue
histoire
Ces usines
furent en effet construites en 1934 pour produire le
matériel de guerre de l'armée impériale japonaise,
puis reconverties à la fin des années 1950 avec du
matériel, fourni par l’Union soviétique, qui avait
été « confisqué » aux Allemands à la fin de la
seconde guerre mondiale. La plupart
des 157 projets industriels chinois financés par les
Soviétiques dans les années 1950 étaient implantés
dans le quartier « à l’ouest des rails » et la zone
alentour.
A l’Ouest des rails
Wang Bing au moment de
la sortie
d’A l’Ouest des rails
Après
la rupture sino-soviétique au début des années 1960,
beaucoup de ces usines furent délocalisées vers le
centre du pays, mais plus d'une centaine restèrent
en activité. Dans les années 1980, il y avait dans
ces usines obsolètes près d’un million d’ouvriers
qui furent touchés de plein fouet par la vague de
restructuration drastique qui intervint à la fin des
années 1990.
Les usines fermèrent les unes après les autres,
laissant un paysage désolé de friche industrielle et
des gens déboussolés, brusquement paupérisés, que
Wang
Bing (王兵)
a filmés en trois temps, en s’attachant à trois
groupes d’ouvriers différents : trois manières de
raconter la même histoire.
Neuf heures,
en trois parties
Il dure neuf
heures, ainsi réparties :
1: Rouille (铁西区第一部分:工厂)
- Rouille I 2H04, Rouille II 1H56 ;
2: Vestiges (铁西区第二部分:艳粉街)
- 2H56 ;
3: Rails (铁西区第三部分:铁路)
- 2H15.
Dans
« Rouille » : Wang Bing accompagne les derniers
employés de la fonderie, dernier
haut-fourneau dont la faillite annoncée semble
inévitable. Du ventre rougeoyant de l'usine aux
salles de repos blafardes, il dresse un fascinant
portrait de la société chinoise en prise avec le
changement.
« Vestiges » montrele quartier ouvrier qui fut construit au début
des années 1930 pour loger la main-d'œuvre venue en
masse travailler dans les premières grandes usines
du district ; les petites
Vue d’ensemble des
usines
maisons vétustes
doivent être démolies pour permettre à des investisseurs
privés de bâtir une cité moderne. Certes la municipalité a
promis de les reloger, mais en quittant le quartier, ils
tournent une page importante de leur vie. L’un d’eux dit à
Wang Bing que, grâce à lui, leur existence ne sera pas
totalement rayée de la carte, qu’il en restera quelque
chose.
« Rails » retrace le
quotidien des employés de la compagnie de chemin de fer.
Malgré les fermetures d'usines, vingt kilomètres de rails
assurent toujours le transport des matières premières et des
produits manufacturés. Au fil des saisons, on voit le
paysage changer et les rapports entre les individus se
renforcer. Dans la salle de repos, les cheminots échangent
les nouvelles du moment, se disputent, se confient.
Tournée en
même temps que les précédentes, cette troisième
partie permet de tisser des liens entre les trois
films. Les fêtes rituelles, comme le Nouvel An,
reviennent dans chaque histoire, mais se chargent
selon le contexte de significations différentes.
A la fin
de la première partie, cependant, sélectionné par la
Cinéfondation,
Wang Bing bénéficia d'une résidence à
Paris, cité Malesherbes, où il travailla l'écriture
de la seconde partie. C’est alors qu’il eut vraiment l’idée d’une œuvre
dépassant le local et l’épisodique pour tenter d’atteindre
l’universel.
Quand il
sortit, en 2003, le film fut un véritable ovni dans le
paysage documentaire chinois. C’est une œuvre phare qui
dépeint à la fois l’agonie d’un quartier et l’agonie d’un
système. S’il reste interdit en Chine, il a fait le tour des
festivals et cinémas occidentaux. Il a fait aussi nombre
d’émules.