« Fujian Blue » de
Robin Weng primé au 26e festival de Vancouver,
en 2007
par Brigitte Duzan, 6 avril 2025
Fujian Blue
Premier
long métrage de Weng Shouming (翁首鸣),
ou Robin Weng, « Fujian Blue » (《金壁辉煌》)
est sorti à l’automne 2007 au 26ème festival
international de Vancouver qui lui a décerné le prix
"Dragons and Tigers"
. Comme son titre
l’indique, le film a été tourné au Fujian, la province du
Sud-Est de la Chine dont provient la plus grande partie des
immigrants illégaux chinois que l’on trouve aujourd’hui un
peu partout dans le monde. Réalisé par un natif du coin, le
film s’attache à montrer l’envers du décor, la vie sur cette
partie du littoral chinois, et en particulier les problèmes
de la génération du réalisateur.
Le titre
anglais est beaucoup moins profond que le titre chinois : en
quatre caractères, celui-ci résume le thème du film. C’est
en effet un chengyu, une de ces expressions
idiomatiques typiques du génie de la langue chinoise :
jīnbì huīhuáng
金碧辉煌
signifie littéralement
« resplendissant d’or
et de jade » et sert en général à qualifier des bâtiments
comme ceux de la Cité interdite dont les verts et les ors
brillent au soleil. C’est aussi le nom de bon nombre de
nightclubs en Chine, et en particulier dans le film. Mais,
évidemment, derrière cette apparence brillante se cache
souvent une réalité plus sombre : les paillettes recouvrent
l’illusion.
Cette
double signification structure le film, divisé en deux
parties reliées entre elles par l’un des personnages : la
première est consacrée à une bande de jeunes délinquants qui
tentent de trouver sur place une existence facile – ce sont
les « Chevaliers du néon » ; la deuxième partie dépeint les
efforts de l’un de ces jeunes pour tenter de trouver
l’argent nécessaire pour aller retrouver son frère en
Irlande.
Les
premiers ont trouvé un gagne-pain astucieux. Ils ont formé
un gang de « Chinese lovers » pas moins efficaces que leurs
homologues latins : ils exploitent la faiblesse des femmes
dont les maris sont partis travailler à l’étranger et
envoient régulièrement chez eux une partie de l’argent
gagné. Une fois une femme tombée dans le piège, les jeunes
n’ont plus qu’à la faire chanter et empocher de quoi
financer des nuits passées à boire et à se droguer. Le
système s’enraye cependant le jour où l’un d’entre eux
découvre que sa propre mère a succombé et pris un amant ;
fatigué de s’entendre constamment reprocher d’être un bon à
rien, il a alors la malencontreuse idée de la faire chanter
– malencontreuse car il s’avère qu’elle est de mèche avec la
mafia locale.
Il
s’enfuit alors sur l’île de Pintang (平潭)
où son histoire croise celle d’un autre jeune, dont la
famille s’est endettée pour payer à son frère aîné un
passage à l’étranger. Avec l’argent du racket, il a
l’intention d’aider sa famille et de réaliser lui-même son
rêve : rejoindre son frère. Il finit par perdre l’argent
économisé, obligeant ses parents à s’endetter un peu plus…
Finalement, les deux expériences se soldent par un échec,
dénouement non point moral, mais simplement logique - parce
qu’elles étaient bâties sur l’illusion, comme le soulignent
les deux vers qui servent de contrepoint au récit :
如果你曾经向往的一切,
et si tout ce que vous avez
toujours désiré
都只不过是海市蜃楼
……
n’était finalement qu’un
mirage ….
L’émigration, au Fujian, ne date pas d’hier, mais il est
vrai qu’elle n’a fait que s’intensifier depuis les années
1980 et le début de la politique « de réforme et
d’ouverture », en prenant des aspects souvent révoltants de
trafic humain et d’exploitation aboutissant parfois à des
drames. Le film, cependant, ne dénonce pas le système, il en
dépeint seulement les engrenages, fondés sur la pauvreté, le
manque de débouchés et d’espoir de toute une jeunesse happée
par le désir d’une existence facile et aisée à l’image de
celle des stars de la télévision et des moguls du big
business.
Le film a
été réalisé avec des acteurs non professionnels, flirtant
avec la vogue du faux documentaire. C’est le premier long
métrage de Weng
Shoumíng et il a l’originalité
de nous présenter une province méridionale – la sienne –
jusque-là rare sur les écrans.
Si le film a
eu du succès dans les festivals étrangers (dont, outre celui
de Vancouver, le 10e festival du cinéma asiatique
de Deauville), il n’est évidemment pas sorti en Chine. Il
est même resté l’unique film réalisé par Robin Weng – une
curiosité.
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