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« Upstream » : comédie grinçante de Xu Zheng

par Brigitte Duzan, 14 janvier 2025

 

Sorti en Chine pendant l’été 2024, « Upstream » (《逆行人生》) est une nouvelle comédie de Xu Zheng (徐峥) qui se veut une satire de la communauté des livreurs de nourriture à domicile à Shanghai, mais bien plus largement d’un marché du travail plus hyperconcurrentiel que jamais, où il est difficile de retrouver un emploi quand on a dépassé la quarantaine et qu’on est victime d’un licenciement. Et il vaut mieux alors ne pas tomber malade… C’est une vie de galère que dépeint le film, une vie « à contre-courant » comme l’annonce le titre (nìxíng rénshēng 逆行人生) ; la satire est grinçante, et le rire forcé, comme celui des peintures de Yue Minjun (岳敏君) : le rire de l’impuissance.

 

 

 

Upstream, avec Xu Zheng au centre

 

La vie à contre-courant

 

§  Un scénario bien mené

 

Coécrit par Xu Zheng et son scénariste attitré, He Keke (何可可), aidés d’une cohorte de coscénaristes, le scénario est adapté d’un roman éponyme publié sur internet.

 

Nous sommes à Shanghai en 2023. Gao Zhilei (高志垒), un ingénieur software d’une société d’informatique en vue, a attrapé un diabète à force de travailler sans compter, mais se retrouve au chômage, victime de licenciements pour réduction de coûts. À 45 ans, avec une femme et une petite fille, il est incapable de retrouver un emploi, malgré tous les efforts d’un ami chasseur de tête. Sur ces entrefaites, son père a une attaque et doit être opéré du cœur ; Gao Zhilei doit avancer 100 000 RMB sur les frais d’hospitalisation. Sa femme surmonte sa colère pour calculer froidement ce qu’elle peut gagner en donnant des cours de percussion et le minimum qu’il devra gagner pour assurer les fins de mois : 15 000 RMB.

 

C’est justement ce que peut espérer gagner un livreur de vivres à domicile. Il s’engage donc dans la société « Take-Out Food »  (吃货外卖) dont la couleur est le jaune, en concurrence avec le bleu de la société concurrente, « Swift Delivery » (送得快). Il se retrouve au bas de la hiérarchie, à devoir apprendre toutes les subtilités d’un job coupe-gorge où chaque seconde est comptée, avec des déductions opérées sur le salaire au moindre retard. Dans un monde de livreurs venus de tous horizons et toutes conditions sociales, il multiplie les erreurs, et se retrouve avec un salaire négatif à la fin du mois, après avoir payé le coût de son uniforme et la location de son scooter et de sa boîte de livraison ; rien n’est donné.

 

Il se met à l’école d’un livreur chevronné qui connaît toutes les astuces du métier, mais qui lui-même tombe malade. Ce qui va finalement sauver Gao Zhilei, ce sont ses connaissances en informatique : il conçoit une appli qui lui permet d’optimiser ses performances… et de reprendre espoir…  

 

§  Un film en deux parties

 

Comme souvent dans les films de Xu Zheng (en particulier ses courts métrages), il y a ici une note de chaleur humaine fondée sur l’appartenance à une communauté. Personne n’est foncièrement antipathique, ni le boss de la société de livraison, ni la femme de Gao Zhilei qui prend finalement la situation au mieux, de manière très pragmatique et sans crise superflue, contrairement à ce que l’on pourrait attendre.

 

La première partie reflète l’atmosphère concurrentielle typique des sociétés ciblées, du genre ByteDance, Alibaba et autres, qui ont effectivement procédé ces dernières années à des licenciements secs pour réduire leurs coûts dans un contexte économique difficile. La deuxième partie, dans ces conditions, paraît un peu « rose » : Xu Zheng semble vouloir se concilier les censeurs en diluant sa critique du système pour en revenir au bon vieux principe « accroche-toi et tu t’en sortiras », mais fondé malgré tout sur le présupposé que c’est celui qui a fait des études et a un bon niveau social qui peut s’en sortir.

 

C’est là que le film a suscité une vive controverse, qui a peut-être coûté à « Upstream » de ne pas avoir un succès au box-office aussi franc que les films précédents de Xu Zheng.

 

 

Controverse et succès en demi-teinte

 

La première partie du film est une peinture acerbe des conditions de travail en Chine aujourd’hui, des cols blancs comme des travailleurs au bas de l’échelle, tous soumis à des pressions qui en laissent beaucoup au bord du burn-out, quand ils ne sont pas carrément licenciés. La deuxième partie, elle, offre une vison édulcorée des possibilités de faire face à de telles tensions, surtout pour ceux qui ont atteint la quarantaine.

 

C’est cependant surtout la manière dont sont brossées les conditions de vie et de travail des livreurs qui a suscité les controverses. Une semaine plus tard est sorti en Chine un autre film qui a pour toile de fond le monde de la livraison de nourriture à domicile : « Another Day of Hope » (《又是充满希望的一天》) de Liu Taifeng (刘泰风). Mais ce dernier film offre une vision bien plus sombre, et bien plus réaliste. Le propos de Xu Zheng, comme à son habitude, est de divertir, et la subtilité n’est pas son fort. Vouloir faire rire sur un sujet aussi sensible a finalement été mal apprécié, et a été d’autant plus critiqué sur les réseaux sociaux qu’un livreur de 50 ans est mort d’un arrêt cardiaque peu après la sortie du film après avoir fait des journées de seize heures[1]. La vie en jaune n’est pas la vie en rose.

 

 

 

Livreurs en casques bunny

 

Il a été reproché à Xu Zheng de ne pas avoir profité de son film pour dénoncer les dérives du système : faute de contrat de travail en règle, les livreurs sont considérés comme collaborateurs ou sous-traitants, avec des conséquences graves en cas d’accidents car ils ne sont pas dès lors considérés comme accidents du travail engageant la responsabilité de l’entreprise. Le rire était mal venu dans ces conditions, d’autant plus que le film se termine avec une lueur d’espoir pour l’ex-informaticien et qu’est asséné le slogan : tout le monde se bat pour améliorer son existence, les vents contraires [l’adversité] donnent le courage d’aller de l’avant ! (逆风是前行的勇气).

 

 

Upstream, trailer

 

 

Il semblerait que ce soit la raison pour laquelle, sans être un échec, « Upstream » n’a pas rapporté les millions qu’ont rapportés « Lost in Thailand » et les films suivants de Xu Zheng, raison aussi, sans doute, du choix qu’il a fait d’en revenir à la formule de la comédie burlesque des « Lost » pour son prochain film.

 

 


 

[1] Comme l’a rapporté Caixin, avec une photo d’un livreur en jaune exactement comme dans le film.

 

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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