« Fire on
the Plain » : premier film de Zhang Ji adapté d’une novella
de Shuang Xuetao
par
Brigitte Duzan, 9 novembre 2021, actualisé 22 juillet 2025
Fire on the Plain
Sorti en première mondiale en septembre 2021 au festival de
San Sebastian, le film « Fire on the Plain » (《平原上的火焰》)
est adapté de l’une des novellas (zhongpian
xiaoshuo
中篇小说)
les plus célèbres du jeune romancier
Shuang Xuetao (双雪涛) :
« Moïse dans la plaine » (《平原上的摩西》),
initialement publiée dans le 2ème
numéro de 2015 de la revue littéraire
Shouhuo (《收获》).
C’est en même temps le premier film du réalisateur
Zhang Ji (张骥).
Le réalisateur Zhang
Ji
Une histoire de neige et de feu
Le scénario reprend le fil narratif de Shuang Xuetao,
spécialiste de récits où affleurent des touches de fantasy
qui créent un climat inquiétant, dans une atmosphère glacée
typique des hivers du Dongbei d’où vient le jeune écrivain.
Zhang Ji a conservé l’ambiance délétère de ces paysages de
neige en en faisant le cadre d’un mélodrame qui se joue
entre deux jeunes animés par le même désir d’évasion.
Le récit déroulait une narration complexe en flashbacks
récurrents ; le scénario a simplifié l’histoire en optant
pour une structure plus linéaire, simplement scindée en deux
autour d’une faille de huit ans. Le récit commence pendant
l’hiver 1997. Il fait un temps glacial, les usines ferment,
et un tueur fait des ravages dans la population des
chauffeurs de taxi.
Dans ce contexte lugubre, et alors que son père, employé
modèle, vient de perdre son emploi sans espoir d’en trouver
un autre, la jeune Li Fei (李斐)
rêve de partir dans l’eldorado du sud, Shenzhen ou Canton,
pour tenter d’échapper au même sort. Afin d’améliorer ses
chances de réussite, elle prend des leçons chez un voisin,
un corrompu qui a déjà acheté les machines de l’usine ainsi
qu’un appartement en dehors des bâtiments collectifs. Son
fils Zhuang Shu (庄树),
qui traîne avec une bande de bons à rien, finit par
s’éprendre d’elle. Mais il est recruté par le détective qui
enquête sur l’assassinat des chauffeur de taxi et se fait
passer pour un chauffeur afin d’attirer le tueur… mais tout
ne se passe pas comme prévu, avec un dénouement inattendu
sous la neige la veille de Noël. Le film aurait pu s’arrêter
là.
Mais, si les meurtres ont cessé, le tueur n’a pas été
arrêté. Le dossier est rouvert huit ans plus tard. Li Fei et
Zhuang Shu sont toujours dans la ville, mais leurs vies ont
divergé. Lui est devenu policier et elle est à la dérive.
C’est alors que l’affaire du meurtre les rapproche de
nouveau. Mais l’histoire devient aussi moins claire, tandis
que le suspense se nourrit de la relation magnétique qui
unit les deux jeunes gens. Il est devenu bien plus difficile
de rêver à un avenir plus rose quand la réalité autour d’eux
est plus sombre que jamais : aux problèmes de chômage se
sont ajoutés la drogue, les suicides, la misère affective,
et la criminalité. Il y a en contrepoint la question plus
vaste des conséquences désastreuses sur la vie des gens des
changements brutaux de ligne politique, et des choix
possibles, ou nécessaires, dans ces conditions.
Cette deuxième partie est d’une tonalité différente de la
première, entraînant un léger déséquilibre que tente de
compenser l’histoire d’amour frustré entre les deux
personnages centraux qui fait le lien entre les deux. Le
récit de Shuang Xuetao évitait cette structure binaire en
pratiquant des allers retours récurrents entre passé et
présent. Le parti-pris de linéarité du film a nécessité une
autre solution, qui passe par l’alchimie entre les deux
interprètes principaux, soutenant un aspect mélodramatique
qui rapproche le film d’une grande tradition du cinéma
chinois.
Un autre film noir
Pour un premier film, il est certainement prometteur. Zhang
Ji n’est cependant pas un débutant ; il a commencé comme
directeur de la photographie, et il a été entre autres en
2014 le chef opérateur du film de
Zhang Bingjian (张秉坚)
« North by Northeast » (《东北偏北》),
qui n’est pas sans points communs avec « Fire on the
Plain », à commencer par l’intrigue : le film se passe à la
fin des années 1970 alors qu’un policer tente de mettre la
main sur un violeur (avec l’aide d’un praticien de médecine
chinoise traditionnelle).
« Fire on the Plain » rappelle surtout l’atmosphère et même
la facture des films de
Diao Yinan (刁亦男)
qui a lancé la vogue du film noir en Chine avec « Black
Coal, Thin Ice » (《白日焰火》)
en 2014. On n’est pas étonné que son nom apparaisse au
générique comme producteur délégué (executive producer). On
peut presque y voir une sorte de marque de fabrique.
Affiche pour la sortie
du film en Chine
Mais Shuang Xuetao a également été le directeur artistique
du film. L’évocation de l’usine à bout de souffle à la fin
des années 1990, les images de rues misérables marquées par
des années de négligence étatique autant que par la crise
financière imminente, tout cela fait partie du monde de
l’écrivain, le monde de sa jeunesse, et en tire une
authenticité indéniable.
Le fim s’appuie sur les deux interprètes principaux dont le
magnétisme est certain. Ce sont déjà des stars :
Zhou Dongyu (周冬雨)
dans le rôle de Li Fei, double rôle, pourrait-on dire, tant
il évolue de la première à la deuxième partie, et Liu
Haoran (刘昊然)
dans celui de Zhang Shu. Mais il y a aussi des acteurs
confirmés : l’actrice Mei Ting (梅婷),
Lü Yulai (吕聿来),
Wang Xuebing (王学兵)
qui jouait dans « Black
Coal, Thin Ice »
etc.
Zhou Dongyu dans le
rôle de Li Fei
La musique des
frères Evgueni et Sacha Galperine
[1]
contribue à l’ambiance en déstabilisant un peu plus le
spectateur comme Hitchcock jouait avec ses nerfs.
Zhou Dongyu et Liu
Haoran
Dans un contexte où l’on voit sortir bien peu de films
chinois de qualité, « Fire on the Plain » aurait
donc pu se détacher agréablement de la production
ambiante. Cependant, s’il participe de la vogue du film noir
en Chine qui s’est intensifiée ces dernières années, il ne
s’y distingue pas particulièrement par son originalité ; son
scénario comme son esthétique en rappellent d’autres ; outre
« North by Northeast », on pense en particulier à « Une
pluie sans fin » (《暴雪将至》)
ou « The Looming Storm » de
Dong Yue (董越),
un film qui mériterait d’être bien plus connu : sorti en
2017, il marchait déjà sur les traces de
Diao Yinan (刁亦男),
avec un autre histoire de tueur en goguette dans une ville
frappée de déprime dans l’atmosphère lourde de la fin des
années 1990, avec, là aussi, une tempête de neige pour
alourdir encore l’atmosphère.
Cependant, « Fire on the Plain » tend un peu trop au
mélodrame, tendance dominante de la deuxième partie du film
qui se termine par une séquence finale qui vaut les plus
beaux mélos chinois. On sent bien sûr le clin d’œil vers le
public chinois, et le box-office. Le film est sorti en Chine
pour les fêtes de Noël 2021, mais ce n’est pas un
divertissement de fin d’année. En réalité, sous couvert de
suspense bâti sur des non-dits et des allusions, le film
brille surtout par ses incohérences. On est désolé pour les
acteurs, tous très bons, et surtout pour Zhou Dongyu qui
n’arrive pas, malgré tout son talent, à sauver son rôle.
Qui plus est,
pour donner leur feu vert, les censeurs chinois plus que
jamais inconscients du ridicule se sont crus obligés
d’ajouter à la fin une postface moralisante, et dûment
sous-titrée[2],
qui nous assure que tous les méchants ont bien été punis. On
en oublie de chercher à comprendre et on sort, finalement,
en souriant, pour aller se replonger dans
la novella de
Shuang Xuetao, qui attend encore d’être traduite en
français.
Fire on the Plain, trailer
[1]
Et c’est presque un retour aux sources quand on
pense que parmi leurs premières musiques de films
figurent celles pour « The Warrior and the Wolf » (《狼灾记》)
de
Tian Zhuangzhuang
(田壮壮)
et pour « Lan»
(《兰》)
de Jiang Wenli (蒋雯丽),
tous deux en 2009.
[2]
Le film est sorti
en France le 9 juillet 2025.