Scénariste et réalisateur hongkongais de documentaires né en
1987, Chan Tze-Woon fait partie de la jeune génération de
cinéastes politiquement engagés de Hong Kong, qui veulent
rendre compte de la réalité hongkongaise à leur propre
manière et de leur propre voix.
Cinéma engagé
Après
un diplôme en science politique à l’Université baptiste de
Hong Kong, Chan Tze-Woon s’est orienté vers un master en
production cinématographique dans la même université. Il a
commencé à tourner des documentaires dans le contexte de
tension qui a connu son apogée en septembre-octobre 2014
avec les manifestations menées par les militants
pro-démocrates regroupés dans le collectif Occupy Central (佔領中環)
[1]
visant à s’opposer au projet du gouvernement chinois de
limiter le suffrage universel pour l’élection du chef de
l’exécutif hongkongais en 2017.
Le mouvement Occupy
Central
L’élection au suffrage universel du chef de l’exécutif avait
été prévue par la loi à portée constitutionnelle entrée en
vigueur le jour de la
rétrocession,
le 1er juillet 1997. Or, en août 2014, les
autorités chinoises ont annoncé que les candidats seraient
préalablement sélectionnés par un comité de 1 200 personnes,
et en pratique il s’agirait uniquement de deux ou trois
« patriotes » faisant allégeance à la ligne politique de
Pékin. Cette annonce a entraîné un mouvement de
désobéissance civile visant à paralyser le centre de Hong
Kong, d’où le nom du collectif.
Les parapluies jaunes
comme symbole
Fin
septembre, ces manifestations ont pris le nom de
« révolution des parapluies » (雨傘革命)
en raison de l’utilisation de parapluies par les
manifestants pour se protéger des gaz lacrymogènes –
parapluies jaunes devenus symbole du mouvement. Le projet de
loi a finalement été rejeté le 18 juin 2015 par le Conseil
de Hong Kong.
Les
documentaires sur la situation se sont multipliés. C’est
aussi un tournant dans la filmographie de Chan Tze Woon. À
partir de 2014, ses films sont devenus un mode de
participation directe dans les événements, ressentie comme
d’autant plus nécessaire que les médias officiels ne
rendaient pas compte de la situation du point de vue des
manifestants ordinaires. Mais il le fait dans un style très
original qui n’est pas purement documentaire comme les
autres films tournés au même moment pour fixer les
événements sur la pellicule.
Courts métrages
Il a
d’abord réalisé deux courts métrages d’environ une
demi-heure, « The Aqueous Truth »
(《香港人不知道的》) en 2013 et « Being Rain: Representation and Will » (《作為雨水:表象及意志》)
en 2014.
Le titre chinois du premier signifie : « Ce que les
Hongkongais ne savent pas ». Le scénario imagine qu’un taux
élevé de lithium est découvert par hasard dans l’eau potable
de la métropole ; mais quand quelques documentaristes et
journalistes indépendants veulent tourner un film pour
alerter la population que des tranquillisants ont été
ajoutés à l’eau courante pour calmer les esprits, ils se
retrouvent menacés.
The Aqueous Truth
The
Aqueous Truth,
trailer
Le
deuxième documentaire développe un argument semblable, fondé
sur les « théories du complot » qui se sont multipliées à
Hong Kong à ce moment-là, telle la théorie propagée par le
gouvernement chinois selon laquelle c’étaient des
gouvernements étrangers qui finançaient et activaient en
coulisse les mouvements de protestations. D’une manière
similaire, « Being Rain » part de l’hypothèse que les
autorités contrôlaient la météo pour combattre les troubles
en se fondant sur le fait que toutes les dates importantes
de protestation dans la rue ont été marquées par des
épisodes de pluies abondantes.
Being Rain
Being Rain, Representation and Will,
trailer
Après ces
deux courts métrages, Chan
Tze-Woon est passé au long métrage documentaire, filmé
directement dans la rue.
« Yellowing » (《乱世备忘》)
est l’un des meilleurs documentaires sur les manifestations
de 2014
[3].
Jusque-là, tout le monde à Hong Kong croyait en la
constitution, croyait que les lois et les libertés
fondamentales pourraient être préservées. Mais à partir de
2014, tout a changé : Pékin montrait clairement qu’il se
souciait comme d’une guigne des textes que lui-même avait
signés. Les Hongkongais ont alors cherché des moyens plus
radicaux de lutter pour la démocratie, avec un mouvement de
désobéissance civile et l’occupation des rues. Les
documentaires sur la situation se sont multipliés. C’est
aussi un tournant dans la filmographie de Chan Tze Woon. À
partir de 2014, ses films sont devenus un mode de
participation, un engagement direct.
Yellowing
« Yellowing » montre la foule des manifestants investir
Civic
Square le 27 septembre. Une véritable marée humaine se
répand dans les rues. Le lendemain, la police tente de
disperser la foule avec des gaz lacrymogènes. Cela ne fait
que renforcer le mouvement qui va occuper les rues
principales pendant près de six semaines. La nuit du 28
septembre, devant l’ampleur prise par le mouvement, Chan
Tsz-woon a pris sa caméra et s’est précipité pour filmer,
convaincu, a-t-il dit, que parfois les mots ne suffisent
pas, qu’il faut l’image pour que l’on puisse vraiment
comprendre. Il a continué pendant 79 jours, filmant les
manifestants ordinaires et captant les heurts entre la foule
et la police.
À
partir de quelques mille heures de rushes, il a monté un
document vivant, centré sur les portraits des étudiants qui
ont organisé le collectif et encadré le mouvement. Son film
a saisi sur le vif les images et les sons, en montrant les
émotions des manifestants, ainsi que leur idéalisme et leur
fougue. Aussi a-t-il eu un fort impact, surtout auprès des
jeunes. Chan Tze Woon a mentionné deux sortes de réponses au
film particulièrement significatives : l’une venant de
jeunes Chinois du Continent où ils avaient appris que le
mouvement n’était pas bon pour Hong Kong, mais qui, ayant vu
à l’écran des jeunes de leur âge se battant pour leur avenir
sans avoir peur de se faire arrêter, ont été poussés à
réfléchir. L’autre réponse est la déception des jeunes qui
se sont impliqués dans le mouvement mais sans résultat
positif : le film est là pour leur rappeler de ne pas
oublier et de continuer le combat.
Tactique de guérilla pour sa sortie
Tel qu’il
est, le documentaire s’est vu refuser l’accès aux salles de
cinéma. Il est sorti en première mondiale en janvier 2015 au
festival du cinéma indépendant de Hong Kong. Mais il a
ensuite souffert du succès du film
d’anticipation « Ten Years » (《十年》)
qui a battu des records d’audience, et a été couronné
meilleur film aux 35e Hong Kong Film Awards en
avril 2016. Constitué de cinq courts métrages de cinq jeunes
réalisateurs, « Ten Years »
envisage la lente érosion des libertés à Hong Kong
dans les dix années à venir, y compris la progressive
imposition du mandarin dans la vie quotidienne aux dépens du
cantonais. Le prix décerné aux Hong Kong Film Awards a
déclenché une réaction violente des autorités chinoises ; le
Global Times – porte-parole du Parti communiste – l’a
qualifié de « virus pour l’esprit » et « Ten Years » a
disparu des écrans. Dans la foulée, « Yellowing » n’a trouvé
aucun cinéma disposé à le projeter.
Chan
Tze Woon a alors adopté ce que la critique de cinéma de
Variety,
Vivienne Chow, a appelé « une tactique de guérilla » :
avec ses producteurs, il a organisé des projections « au
noir », dans divers lieux publics ainsi qu’aux Archives du
film de Hong Kong. Par ailleurs, il a entrepris un tour des
grands festivals, en commençant par Taiwan et Vancouver.
Yellowing, official trailer 1
Yellowing, official trailer 2
2022 :Blue
Island
Après la chronique des « temps troublés » qu’était
“Yellowing”,
« Blue Island » (《忧郁之岛》)
est celle de la déprime (du blues) ; après le jaune de
l’action, le bleu des lendemains incertains. C’est la
suite de 2014 : un film sur les manifestations de 2019-2020.
Blue Island
Ce nouveau
mouvement de manifestations a débuté le 15 mars 2019 pour
protester contre le projet de loi, proposé le mois
précédent, visant à amender la loi d’extradition de
délinquants en fuite (Fugitive Offenders Ordinance).
Introduit par le secrétaire à la Sécurité publique John Lee
à l’instigation du chef de l’exécutif Carrie Lam,
l’amendement fut publié le 29 mars et déclencha une
mobilisation massive, culminant début juin avec des
manifestations massives dans les rues demandant le retrait
du projet de loi et la démission de Carrie Lam. Ce n’est que
le 4 septembre, après treize semaines de protestations, que
l’amendement a été retiré du programme de l’assemblée
législative, avant l’annonce formelle de son retrait par le
secrétaire à la Sécurité publique le 23 octobre.
C’est dans
ce contexte houleux, avec des foules dans les rues
assaillies par des policiers sur le pied de guerre et noyées
dans les gaz lacrymogènes, et des campus universitaires
transformés en champs de bataille, que Chan
Tze-woon a tourné son documentaire. Mais il l’a conçu de
manière originale, en en faisant un témoignage de l’esprit
de liberté de Hong Kong : il est centré sur trois
personnages réels qui ont participé à la résistance contre
le régime de Pékin, de 1967 à 2022, personnages
emblématiques qui sont interprétés par des jeunes
manifestants d’aujourd’hui, mêlant ainsi non tant
documentaire et fiction que passé et présent.
À ce
titre,
« Blue Island » (《忧郁之岛》)
se distingue des autres documentaires sur les mêmes
manifestations réalisés en même temps. Il a été entre autres
couronné du prix du meilleur documentaire international
(Best International Feature Documentary Award) au festival
Hot Docs de Toronto en 2022, et a été le film de clôture de
la 2e édition du Festival du film hongkongais de
Paris le dimanche 15 octobre 2023.
Filmographie
Courts métrages
2013 : The Aqueous Truth
《香港人不知道的》30’
2014 :
Being Rain: Representation and Will《作為雨水:表象及意志》26’