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Gu Tao
顾桃
Présentation
par Brigitte Duzan, 4 novembre 2014 , actualisé 13
septembre 2021
Gu Tao est un documentariste chinois dont le travail
sur les peuples evenk et oroqen de Mongolie
intérieure a commencé à acquérir une notoriété hors
de Chine quand son dernier long métrage, « The Last
Moose of Aoluguya » (《犴达罕》)
a été présenté au festival de Yamagata en octobre
2013.
Le travail de Gu Tao est aujourd’hui reconnu dans
les cercles d’ethnologues, réputation confirmée par
la programmation de son film au
festival du film ethnologique Jean Rouch,
en novembre 2014.
Sur les traces de son père
Gu Tao (顾桃)
est né en 1970 à Wenchuan (汶川),
au Sichuan., mais il a passé sa jeunesse en Mongolie
intérieure où il a fait ses études. Il est diplômé
de l’université de Mongolie intérieure (内蒙古大学),
à Hochhot, la capitale régionale. |
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Gu Tao |
Son
père était peintre et photographe et a fortement influencé
son éveil artistique. Gu Tao a étudié la peinture dès son
enfance. Mais, comme il l’a expliqué, la peinture - à deux
dimensions – n’est qu’un instantané transitoire de la
réalité ; il est donc, comme son père, passé à la
photographie, et, de là, il s’est intéressé au cinéma.
En
2004, il est allé étudier
à
l'École de cinéma Mel Hoppenheim de l'université Concordia à
Montréal, où il est resté jusqu’en 2007 et a réalisé
quelques courts métrages expérimentaux.
La chaîne du Grand
Khingan |
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Mais son père était aussi ethnologue, et, à partir
de 1960, a consacré son temps à photographier la vie
de deux des minorités nationales de Mongolie
intérieure, les peuples evenk et oroqen, les
premiers en particulier, qui vivent dans la
chaîne des monts Daxing’an (大兴安岭),
ou Grand Khingan – une chaîne de montagnes qui
s’étend du nord au sud entre la plaine de
Mandchourie et le désert de Gobi.
Gu Tao se souvient que son père partait pendant
plusieurs mois, et revenait plein d’enthousiasme
avec un sac de photos. |
Il fut
parmi les premiers en République populaire, à l’époque, à
prendre conscience de la nécessité de documenter les
changements rapides de modes de vie dans un pays que ses
dirigeants voulaient développer à marche forcée. Il a
communiqué sa passion à son fils.
Revenu dans la
région d’Aoluguya, au nord du Khingan, en 2004, Gu
Tao a été frappé par la lente décadence du peuple
evenk et de sa culture, frappés par les mesures
autoritaires prises par le gouvernement chinois en
2003, dans le cadre d’une politique de migration
forcée qui a privé ce peuple de son mode de vie
ancestral, fondé sur la chasse et l’élevage des
rennes, en symbiose avec le milieu naturel.
A partir de 2005, Gu Tao est parti sur les traces de
son père pour commencer à filmer. Depuis dix ans,
ses documentaires retracent |
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Gu Tao présentant ses
films en juin 2014
lors d’un colloque sur
les peuples frontaliers (边疆民族论坛) |
l’agonie d’un peuple et la lente disparition d’une culture.
Une œuvre pour documenter la mort programmée d’un peuple
L’œuvre de Gu Tao
est principalement constituée d’une quadrilogie de
longs et moyen métrages sur les Evenki, à laquelle
il a récemment ajouté un cinquième volet, encore
inédit, sur les Oroqen.
1. Il a achevé son premier documentaire en 2007 : « Aoluguya…
Aoluguya »
(《敖鲁古雅
敖鲁古雅》),
ou « Aoluguya,
les éleveurs de rennes » (《敖鲁古雅养鹿人》).
Il y dépeint la vie de quelques individus sur fond
d’une longue histoire dont le dernier épisode, il y
a une centaine d’années, a amené les Evenki de
régions bien plus au nord, en Sibérie. En 2003,
cependant, par décision du gouvernement chinois, ils
ont été assignés à une zone d’habitation officielle
(定居点),
éloignés de la forêt qui était leur habitat naturel,
et privés du droit de chasser et de la possibilité
d’élever leurs rennes, donc privés de la culture qui
y était liée, et en particulier les pratiques
chamaniques. |
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Aoluguya Aoluguya |
Obligés de s’inventer un nouveau mode de vie sans en avoir
les moyens économiques, les Evenki ont, pour beaucoup,
sombré dans le désespoir et l’alcool. C’est le cas de Luxia
(柳霞),
la vieille femme au centre du documentaire de Gu Tao, et de
son frère Weijia (维佳)
qui noie dans l’alcool ses talents artistiques et exprime
son tourment intérieur en jouant de l’harmonica.
Aologuya, Aologuya, trailer
2. En 2011, après une pause en 2008, pour aller
filmer les lendemains du tremblement de terre
catastrophique dont sa ville natale, Wenchuan, a été
l’épicentre et d’où il a rapporté un court métrage,
Gu Tao a complété ce tableau sombre, d’un sobre
réalisme, d’un moyen métrage de cinquante minutes
sur Luxia et son fils : « Yuguo and his Mother »
(《雨果的假期》).
Luxia a perdu son mari quand son fils Yuguo (雨果)
était tout petit ; comme elle buvait, elle ne
pouvait pas s’en occuper, et l’a confié à une
institution plus au sud, où l’enfant a été élevé
gratuitement.
Mais, entre les rennes et l’alcool, elle a gardé le
cœur lourd d’avoir abandonné son fils.
Or, un jour, pendant les vacances, Yuguo revient la
voir, dans la vieille maison de la chaîne des monts
Daxing’an : ce n’est plus un bébé, mais un enfant de
13 ans, perdu dans |
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Yuguo and His Mother |
Yuguo and his Mother,
le dernier chef evenk |
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ces montagnes inconnues, face à sa mère alcoolique,
son oncle poète, et la vie très simple d’un peuple
resté proche de la nature, mais déraciné…
Dans son format relativement court, et un style
beaucoup plus lyrique, avec une très belle bande son
et un remarquable travail sur la photo, les
séquences en clair-obscur alternant avec les scènes
dans la lumière éblouissante de la neige, ce
documentaire est encore plus incisif et désespéré
que le précédent. Il n’offre aucune issue. Yuguo, en
chinois, c’est le « fruit de la pluie », mais, dans
la langue evenk, le terme signifie « soleil » :
Luxia regarde chaque jour le ciel en y cherchant son
fils…
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Yuguo and his Mother, bande annonce
3. Peu de temps après, Gu Tao sort un
nouveau documentaire, souvent oublié dans sa
filmographie car il ne semble pas avoir été présenté
à l’étranger : Shenyi (《神翳》),
dont le titre (littéralement : l’écran de l’esprit)
fait référence au chamanisme, dont la difficile
transmission est le sujet du film.
Le personnage auquel s’est attaché Gu Tao est une
vieille femme de 76 ans, Guan Kouni (关扣尼),
l’une des dernières représentantes du chamanisme
evenk
.
Au soir de sa vie, elle cherche à transmettre son
savoir, mais, ne trouvant personne, doit se rabattre
sur son fils et sa fille pour perpétuer la
tradition.
4. Enfin, en 2013, Gu Tao complète le tableau d’un
nouveau documentaire dont le titre annonce la fin
d’une culture symbolisée par un animal emblématique
: « Le dernier élan d’Aologuya » (《犴达罕》).
Après Luxia et son fils, puis Kouni, c’est le frère
de Luxia, Weijia, qui est cette fois le personnage
principal, et symbolique, du film : un être doté
d’une sensibilité artistique qu’il exprime par le
dessin et la musique, et dont la solitude se reflète
dans celle de l’animal du titre, la fin annoncée de
l’un étant aussi celle d’une race, comme la fin de
l’autre est celle d’un peuple, pour les mêmes
raisons.
Le film commence par montrer les débuts d’Aologuya,
la première année de sa fondation, pour dépeindre
ensuite la lente décadence de la population, sous
l’emprise croissante de l’alcool. Finalement, à la
suite d’une petite annonce sur internet qui a attiré
l’attention d’une enseignante, Weijia part la
rejoindre à Hainan, en abandonnant la forêt. Les
deux y perdent leur âme ; Weijia est réduit à être
l’ombre de |
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Shenyi
The Last Moose of
Aoluguya/Han Da Han |
lui-même, en quête d’une improbable identité loin de ses
racines.
The Last Moose of Aoluguya, trailer
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Constat sans appel ni rémission, ce documentaire
marque comme un point final. Il était logique que Gu
Tao tourne ensuite son objectif ailleurs, en
l’occurrence vers les Oroqen….
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2016 : un tournant
En 2016, Gu Tao a conçu un projet différent : il n’avait
jusqu’ici tourné des films que sur des minorités
ethniques, il s’intéresse maintenant aux minorités
sexuelles. Et pour ce projet, il est parti au Xinjiang :
intitulé « Peony Blossoms » (《牡丹花开》)
et réalisé en collaboration avec la jeune réalisatrice
Gu Xue (顾雪),
le film se passe à Urumqi.
Le personnage au centre du récit est un jeune garçon
nommé Yili (伊利),
d’ethnicité mixte, de mère russe et de père ouyghour. Il
est policier et homosexuel, et ose porter des boucles
d’oreilles avec l’uniforme. Or, en Chine, si
l’homosexualité n’a pas le soutien des autorités, elle
n’est pas non plus sanctionnée ; en revanche, pour les
ethnies qui pratiquent l’islam, c’est interdit.
Yili est l’ami du propriétaire d’un bar gay qui vit avec
un compagnon depuis plus de vingt ans, une histoire
quasi mythique dans les cercles gays locaux. Le film
s’attache à un autre personnage haut en couleur :
Michelle, qui est venue travailler dans le bar comme
chanteuse. C’est une transsexuelle d’ethnie hui
qui, après une opération, a changé du masculin au
féminin sur sa carte d’identité.
Tous ces personnages, Gu Tao les a contactés par
l’intermédiaire du directeur du centre LBGT du Xinjiang.
Mais, en raison des interdits en vigueur, personne ne
voulait au départ participer au film, Yili a été le
premier volontaire, acceptant d’être la voix des
homosexuels des minorités ethniques de la région.
Filmographie
Courts métrages
2005
The Dust of Time
2006 W-O-O-L
2007 Butterfly Dream
2010
On
the Way to the Sea《去大海的路上》
(sur le tremblement de terre du Sichuan)
Moyens et longs métrages
2007 Aoluguya… Aoluguya…
《敖鲁古雅
敖鲁古雅》
(ou《敖鲁古雅养鹿人》)
(90’)
2011 Yuguo
and His Mother
《雨果的假期》
(48’)
2012 Shenyi
《神翳》
(92’)
2013 The Last Moose of Aoluguya / Han Da Han《犴达罕》
(100’)
2014 The Solitary Mountain《乌鲁布铁》
(60’)
?? Peony Blossoms
《牡丹花开》
Les Evenki ont fait l’objet de nombreuses
études. La lente disparition de leur culture est
aussi le sujet du roman de Chi Zijian (迟子建)
devenu un best-seller, traduit en anglais par
Bruce Humes « The Last Quarter of the Moon » (《额尔古纳河右岸》).
Sur le roman et quelques articles de recherche,
voir :
http://www.ethnic-china.com/Ewenki/ewenkiindex.htm
Les deux derniers chamans evenki répertoriés
étaient des femmes.
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