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Hong Shen
洪深
1894-1955
Présentation
par Brigitte
Duzan, 21 novembre 2011, actualisé 15 décembre 2015
Hong Shen (洪深)
est l’un
des intellectuels les plus fascinants de la Chine de
la première moitié du vingtième siècle. A la fois
dramaturge, acteur, scénariste, metteur en scène et
théoricien de théâtre comme de cinéma, il
personnifie à lui seul la richesse de la création
autant théâtrale que cinématographique des années
1920 à 1949, et le lien très étroit existant entre
ces deux domaines à une époque où le cinéma s’est
développé en symbiose avec le théâtre et la
littérature.
Par son
engagement dans les grands mouvements intellectuels
et politiques qui ont marqué la période, il
personnifie tout aussi bien l’évolution des idées,
des années 1920, années de la Nouvelle Culture,
éprises de modernisme et tournées vers le modèle
occidental, aux années 1930, années du mouvement de
gauche, en littérature comme au cinéma, puis aux
années 1940 marquées par la guerre.
Etudiant passionné par le théâtre moderne |
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Hong Shen jeune |
Hong Shen est né le 31 décembre 1894 dans le district de
Wujin (武进区)
de la ville de Changzhou, dans le Jiangsu (江苏常州).
Etudes classiques en Chine
Né dans une famille aisée de hauts fonctionnaires, il entre
à six ans dans une école privée traditionnelle, puis, en
1906, passe à l’école publique à Shanghai, l’école Xujiahui
(徐家汇公学),
puis l’école Nanyang (南洋公学). En 1912, il entre à l’université Qinghua à Pékin (北京清华大学).
Song Jiaoren |
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Le 20 mars
1913, “l’incident Song Jiaoren” (“宋教仁事件”), c’est-à-dire l’assassinat du fondateur du Guomingdang après la
victoire du Parti aux premières élections
démocratiques de Chine, a de profondes répercussions
sur sa vie personnelle. Son père, Hong Shuzu
(洪述祖)
était secrétaire du cabinet de Yuan Shikai. Il fut
impliqué dans l’assassinat de Song Jiaoren, avec le
Premier ministre et Yuan Shikai lui-même. L’assassin
mourut en prison, le Premier ministre fut assassiné
et l’affaire étouffée, mais Hong Shuzu s’enfuit à
Qingdao, qui, alors concession allemande, lui offrit
l’asile.
Hong Shen,
de son côté, était profondément occupé par ses
études, par la littérature et le théâtre. En
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1913, il publie sa
première œuvre, une courte nouvelle intitulée
« Survivre » (《幸而免》).
Mais il est surtout vivement intéressé par le théâtre
moderne, qui commençait à se développer en Chine sous
l’influence du théâtre occidental. Il participe au
mouvement, monte sur scène, et, en 1915, écrit son
premier livret (剧本),
« Le vendeur de poires » (《卖梨人》), inspiré d’une histoire
de la région de Qingdao.
Etudes d’art
dramatique aux Etats-Unis
En 1916,
après avoir terminé son cursus à Qinghua, il part
aux Etats-Unis, à l’université de l’Etat de l’Ohio,
pour étudier la céramique. Alors qu’il
termine son cursus, il apprend que son père vient
d’être condamné à mort et exécuté, le 15 avril 1919.
En effet, Qingdao ayant perdu son statut de
concession allemande suite à la Première guerre
mondiale, son père s’était réfugié à Shanghai où il
avait travaillé pour les Japonais comme trafiquant
d’opium. Il avait été retrouvé par le fils de Song
Jiaoren, arrêté et jugé.
C’est
peut-être une raison supplémentaire qui incita Hong
Shen à rester aux Etat-Unis, mais il n’en a jamais
rien dit. En tout état de cause, il réussit à entrer
à Harvard, dans la classe de George Pierce Baker,
pour des études de théâtre et de littérature. Il est
le premier étudiant chinois à avoir fait des études
d’art dramatique aux Etats-Unis. |
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La maison à Qingdao |
Il apprend le
métier d’acteur et la mise en scène tout comme la gestion
d’un théâtre, mais joint la pratique à la théorie :
il prend des cours d’anglais à la Boston language school, et
suit les cours de l’école d’art dramatique rattachée au
théâtre Copley, à Boston. Ce théâtre était tout nouveau à
l’époque : construit en 1914, il faisait partie de ces
« little theaters » qui se proposaient de faire découvrir le
répertoire contemporain dans des petites salles offrant une
atmosphère intime. C’était l’endroit idéal pour Hong Shen.
En 1920,
après avoir obtenu son master, il s’attarde encore
un peu aux Etats-Unis, va à New York jouer dans une
troupe de théâtre avec laquelle il parcourt le pays.
Il participe à la mise en scène d’une pièce qu’il a
écrite en anglais avec Zhang Pengchun : « Mulan
s’engage dans l’armée » (《木兰从军》), pièce qui sera adaptée au cinéma par Ouyang Yuqian (欧阳予倩)
et réalisée
par Bu Wancang (卜万苍)
en 1939.
Retour en
Chine : précurseur dans le domaine du théâtre et du
cinéma
Il rentre
en Chine en 1922. Il est engagé comme secrétaire
privé par le directeur général de la compagnie
hongkongaise Nanyang Brothers Tobacco Company (南洋兄弟烟草公司),
mais à Shanghai, où, en 1919, a été transféré le
siège de la
société. Par la
suite, il enseignera à l’université Fudan |
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Mulan s’engage dans
l’armée |
(复旦大学), puis à l’université Jinan (暨南大学). Mais il passe tout son temps libre à travailler sur le théâtre, et,
parallèlement, le cinéma.
Précurseur du
théâtre parlé
The Emperor Jones |
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En février
1923, il met en scène sa pièce « Zhao Yama »
(《赵阎王》)
dans laquelle il interprète le rôle principal. C’est l’une des premières
adaptations d’une pièce d’Eugene O’Neill en Chine,
en l’occurrence « The Emperor Jones », le premier
grand succès d’O’Neill, un mélange d’expressionnisme
et de réalisme assez typique de l’auteur (1). Hong
Shen avait été frappé par la pièce qu’il avait vue
interprétée dans un petit théâtre de New York en
novembre 1920, avec Charles Gilpin dans le rôle
principal.
Dans son
adaptation, le personnage principal, Zhao Da (赵大),
est soldat dans l’armée d’un seigneur de guerre ; il
est fier de sa cruauté qui lui vaut le surnom de
« Roi des Enfers », ou Yama (阎王
yánwang), mais il essaie
de rester honnête dans un monde où la bonté n’est
guère récompensée. Aussi, lorsqu’il vole son
officier supérieur, il est torturé par sa
conscience : il entre dans un sombre forêt peuplée
d’apparitions surgies de son passé…
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Une bonne partie
des neuf actes de la pièce consiste en
une série de
monologues sans suite, dans lesquels le pauvre diable
reconnaît sa faute tout en dénonçant les travers sociaux qui
l’ont mené à cette extrémité. Les épisodes du passé étaient
évoqués par des techniques expressionnistes, utilisant des
lumières et effets spéciaux. Mais l’expressionnisme, chez
Hong Shen, servait à rendre l’absurdité du monde et
l’irréalité des songes de Zhao Da, alors que, chez O’Neill,
il était au contraire une expression de réalisme. Hong Shen
se replaçait dans la tradition chinoise.
Le public n’ayant
pas suivi, cependant, Hong Shen abandonna l’expressionnisme
dans sa pièce suivante, une adaptation de la pièce d’Oscar
Wilde « Lady Windemere’s Fan », devenue « L’éventail de
la jeune maîtresse » (《少奶奶的扇子》).
Il l’adaptera au cinéma en 1928, et réalisera le film avec
Zhang Shichuan (张石川).
Le 9 septembre
1923, il prend la direction de la Société d’art dramatique
de Shanghai (上海戏剧协社),
qui avait été créée l’année précédente.
Il met en scène plusieurs pièces, mais surtout apporte de
nombreuses nouveautés : il crée la fonction de metteur en
scène, met en place un système concret de répétitions, fait
jouer des actrices sur scène aux côtés de leurs collègues
masculins, crée des décors véritables à la place des toiles
de fond de scène.
Il apporte ainsi
une contribution active au mouvement expérimental du théâtre
moderne en favorisant la transition du théâtre classique (文明戏) au théâtre parlé moderne (现代话剧). C’est d’ailleurs lui qui
crée, en 1928, le néologisme huaju (话剧)
pour désigner ce genre théâtral en Chine ; c’est l’année
où il entre à la Société d’art dramatique du Sud (南国社) et
devient le directeur de l’école qui y est rattachée. Par
ailleurs,
comme il est professeur à Fudan, il crée en 1926 la société
d’art dramatique de Fudan (复旦剧社) où il continue ses expériences.
Mais, parallèlement, il s’intéresse aussi au cinéma.
Précurseur de la littérature cinématographique
Il commence à s’intéresser au cinéma dès son retour
des Etats-Unis, en 1922, avec ses amis dramaturges
Tian Han (田汉)
et Xia Yan (夏衍).
Il va jouer là un autre rôle précurseur fondamental
en créant en Chine le scénario écrit, car,
avant lui, il n’y en avait pas dans le cinéma
chinois. Il applique en fait au cinéma ce qui
existait au théâtre.
Son premier scénario est ainsi une sorte d’exercice
de style, le précurseur du scénario « littéraire » (电影文学剧本).
Intitulé « Le sieur Shentu » (《申屠氏》), publié dans le Magazine de l’Est (《东方杂志》)
en
janvier 1925, il est basé sur une pièce du
répertoire populaire remontant à la dynastie des
Song, et racontant l’histoire d’une femme
cherchant à se venger de son mari.
Il n’a jamais été porté à l’écran car Hong Shen n’a
jamais
réussi à obtenir les fonds nécessaires, ce qui n’est
pas |
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Collection de
scénarios |
étonnant en soi, car son scénario comportait sept parties et
592 scènes au total. Mais il n’en représente pas moins une
étape décisive dans l’histoire du cinéma chinois : c’était
le premier véritable scénario indiquant les changements de
scène et les détails techniques comme l’angle de la caméra,
les fondus enchaînés, etc… C’est lui aussi qui écrira le
scénario du premier film sonore chinois, « La chanteuse
Pivoine rouge » (《歌女红牡丹》),
film de 1931 réalisé par Zhang Shichuan (张石川)
.
En 1925,
justement, il entre comme scénariste, et bientôt
réalisateur, à la principale compagnie cinématographique de
Shanghai, la Mingxing (明星影片公司) où il va rester jusqu’à l’occupation de Shanghai par les Japonais, en
1937. Ce faisant, il déclenche un tollé.
On mesure le dédain
avec lequel on considérait alors le cinéma dans les milieux
intellectuels, pourtant modernes et progressistes, de
Shanghai, lorsqu’on voit les réactions que provoqua son
geste. Il se trouve que la compagnie venait d’admettre en
son sein comme actrice une femme que le cinéma avait libérée
de la prostitution et qui était pratiquement illettrée, ne
parlant que le dialecte de Shanghai, avec l’accent de
Suzhou : Xuan Jingling (宣景玲).
Cette proximité
sulfureuse entraîna des réactions outrées de la part de la
famille et des amis du scénariste, et dans les cercles
intellectuels en général. Un collègue de Fudan qualifia son
acte de « prostitution de l’art ». Mais il contribua à
améliorer l’image de la Mingxing et à la renforcer en un
temps où la concurrence était rude.
On peut cependant se demander ce que Hong Shen allait faire
dans cette galère, comme aurait dit Molière.
Devenir un Ibsen chinois… grâce au cinéma
L’ambition initiale de Hong Shen était de réformer la
société chinoise par le biais du théâtre, et en réformant
celui-ci de manière radicale. Quand il rentre des
Etats-Unis, en 1922, les discussions sur le théâtre en Chine
se limitaient au domaine théorique. Hong Shen se place du
côté des radicaux qui veulent réformer en profondeur, sinon
révolutionner, tel Qian Xuantong (钱玄同),
linguiste ami de Lu Xun, qui militait par ailleurs pour
l’abolition du chinois classique et affirmait : « A la
question d’un de mes amis: "Si nous voulons un vrai théâtre
en Chine, est-il inévitable que tous les théâtres actuels
doivent être fermés ?", je pense que la réponse est : oui.
Si l’on veut introduire un gouvernement républicain, il faut
abolir la monarchie… Donc si l’on veut un véritable théâtre
en Chine, il faut à terme créer un « théâtre à
l’occidentale » (西洋派)
pour remplacer le « théâtre des masques » (脸谱派). »
Ibsen |
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C’était évidemment à terme car il n’y avait pas de
tradition de théâtre parlé en Chine. La première
étape fut donc la traduction de pièces européennes,
américaines et japonaises au moment du développement
du mouvement de la Nouvelle Culture au début des
années 1920 (2). L’influence prédominante fut celle
d’Ibsen dont deux des thèmes fondamentaux
recoupaient ceux des intellectuels du 4 mai :
émancipation des femmes et lutte contre les
structures sociales archaïques.
A son retour des Etats-Unis, Hong Shen pose la
question de l’objectif du dramaturge en Chine
: « Vaut-il mieux rester un ‘comédien [au visage
peint en] rouge’ (红戏子)
ou aspirer à devenir un Shakespeare chinois ? » Ni
l’un ni l’autre : il est préférable d’être un
autre Ibsen. » Son ami Tian Han lui aussi avait
affirmé dans une lettre de février 1920 à Guo
Moruo : « Je veux être "a budding Ibsen" en Chine. »
(en anglais dans le texte chinois). |
Mais Hong Shen est ensuite attiré par le cinéma car
il y voit un outil bien plus efficace que le théâtre
pour réaliser son ambition de réformateur social, ou
tout au moins pour en diffuser les idées : il sera
un Ibsen chinois grâce au cinéma. C’est le
sens de son engagement à la Mingxing. Il va y
rencontrer un terrain fertile.
Si l’on excepte son tout premier scénario, début
1925, qui est l’histoire de l’éveil d’un playboy -
« Le jeune maître Feng » (《冯大少爷》) -
ses
autres scénarios de 1925 et 1926 abordent le thème
cher à Ibsen de l’oppression de la femme par des
structures familiales et sociales traditionnelles et
corrompues : c’est le cas de « Désir de fils »
(《早生贵子》),
réalisé en 1925 par l’un des fondateurs de la
Mingxing, Zheng Zhenqiu
(郑正秋),
qui
raconte l’histoire d’un riche vieillard sans
héritier qui prend une jeune femme comme concubine
pour en avoir un.
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Désir de fils |
Roses en avril |
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Si ces deux
films sont largement ignorés du public, les deux
autres, en 1926, sont des succès qui reprennent le
genre à la mode de la satire sociale sous couvert de
comédie. L’un est une comédie romantique,
« Roses en avril » (《四月里的蔷薇处处开》),
tournée par l’autre fondateur de la Mingxing, Zhang
Shichuan (张石川),
portrait d’un banquier qui séduit toutes les femmes
autour de lui, et se trouve à deux doigts de la
catastrophe quand sa dernière conquête est une
demi-mondaine avec un œil sur sa fortune. L’autre
est un |
mélodrame, « L’amour et l’argent » (《爱情与黄金》),
dans lequel Hong Shen lui-même interprète le
rôle d’un petit instituteur amoureux d’une
jeune
orpheline que sa famille destine à devenir concubine
d’un potentat local ; elle l’épouse quand même en
rompant avec sa famille, mais, pour promouvoir sa
carrière, son mari cède ensuite aux exigences du
patron qui l’a embauché et lui demande de divorcer
pour épouser sa fille…
Son ambition de cinéma à haute valeur sociale va
alors se fondre dans le mouvement du cinéma dit « de
gauche », à partir de 1930.
L’aventure du cinéma de gauche
Ce mouvement du cinéma de
gauche, parallèle à celui qui intervient dans
le monde littéraire et théâtral, va regrouper
l’élite du cinéma chinois dans les années 1930-1937.
Il est né de la situation politique : lié à
l’influence croissante du Parti communiste, mais
déclenché par l’occupation japonaise de la
Mandchourie qui entraîne une mobilisation des
intellectuels pour promouvoir l’union nationale
contre le Japon. C’est l’assassinat de Zhang Zuolin
à Shenyang, en
juin 1928, qui |
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L’amour et l’argent
(publicité de la Mingxing pour l’actrice principale,
avec le logo de la compagnie : l’étoile) |
servit de premier catalyseur, comme elle servit de
prétexte
aux Japonais pour déclencher une
intervention armée en Chine.
Hong Shen participe au mouvement en tant que dramaturge,
scénariste et cinéaste. Il est l’emblème de l’étroite
symbiose qui existe alors entre tous les domaines
artistiques et intellectuels, sur fond de nationalisme
exacerbé. Un incident qu’il déclenche au début de l’année
1930 est révélateur de cet état d’esprit profondément
patriotique, et de son engagement.
Nationaliste engagé : l’incident Harold Lloyd
Harold Lloyd |
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Harold Lloyd était énormément populaire dans les
années 1920 en Chine, à l’égal de Chaplin. Début
1930, son dernier film, « Welcome Danger », sort
dans les deux plus grands cinémas de Shanghai,
rebaptisé « Unafraid of Death » (《不怕死》).
Lloyd y interprète le rôle d’un jeune botaniste tout
timide qui revient à San Francisco à la suite du
décès de son père, le chef de la police locale ; il
prétend venir en aide aux policiers, et finit par
mettre fin aux activités d’un réseau de trafiquants
de drogue chinois.
Le film montré en Chine était la version sonorisée,
il attira d’autant plus de monde. Hong Shen assista
à la première dans une salle bondée, au Grand
Théâtre de Shanghai qui était l’un des premiers à
avoir investi dans la technique du
parlant. Hong Shen fut choqué par la manière dont
étaient |
ridiculisés les Chinois dans le film. C’était assez habituel
dans le cinéma américain de l’époque, mais Lloyd avait forcé
le trait.
Hong Shen bondit sur la scène et se lança dans un
discours ardent dénonçant le film comme une insulte
au peuple chinois. Les spectateurs applaudirent, et
des centaines allèrent demander d’être remboursés.
Affolée, la direction de la salle appela la police,
et Hong Shen fut arrêté et détenu trois heures. Sur
quoi il adressa une protestation officielle au
gouvernement de Nankin, demandant que le film soit
interdit et que les copies se trouvant en Chine
soient brûlées.
Toute la profession des dramaturges se mobilisa
derrière lui, l’affaire fit tellement de bruit que
le film finit par être effectivement interdit par
les autorités chinoises. Le Grand Théâtre intenta un
procès à Hong Shen qui s’en servit comme tribune
supplémentaire. En avril 1930, les journaux se
firent un plaisir de publier en première page les
excuses du Théâtre |
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Welcome Danger |
à Hong Shen et, au final, la Paramount elle-même,
terrifiée par la perspective de la perte du marché chinois,
présenta des « excuses sincères » à la Chine pour s’être
permise de l’insulter.
Dramaturge et cinéaste de gauche
Portrait de Hong Shen
à
la fin des années
trente |
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Cette même année 1930, Hong Shen s’engage activement
dans le mouvement de gauche des écrivains et
dramaturges (3). Il entre d’abord
comme
secrétaire et traducteur d’anglais à la Ligue des
écrivains de gauche (中国左翼作家联盟),
puis, en août, fonde avec Tian Han la Société d’art
dramatique Guangming (光明剧社)
qu’ils font entrer à la Ligue des troupes théâtrales
de gauche (中国左翼剧团联盟) ;
lorsque celle-ci est transformée en 1931 en Ligue
des dramaturges de gauche (左翼剧作者联盟), Hong Shen en devient le
secrétaire général.
Typique de ses pièces des années 1930-32 est sa
trilogie villageoise, écrite en collaboration avec
d’autres écrivains de la Ligue de gauche, variation
sur le thème de la résistance des paysans à leur
exploitation par les propriétaires terriens. |
En 1934, il revient
à Qingdao, engagé comme professeur de littérature étrangère
à l’université du Shandong (山东大学).
Il continue ses activités de recherche sur le théâtre à ses
heures de loisirs ; travaillant avec une célèbre troupe
amateur d’opéra de Pékin, la troupe Hesheng (和声社), il fait jouer à la troupe, professeurs et élèves, une pièce de théâtre
parlé expérimental intitulée « Mauvaises herbes » (《寄生草》).
Mais il
continue en même temps son travail à la Mingxing, et
en particulier ses recherches sur l’écriture
scénaristique. Cette même année 1934, il écrit le
scénario d’un autre film tourné
par Zhang Shichuan, « Fleurs de pêcher
après la tourmente »
(《劫后桃花》),
qui
sort en 1935 et représente un classique du cinéma de
gauche à son apogée. Il commence à Qingdao en 1897,
sous le régime de la concession allemande, et se
poursuit sous l’occupation japonaise après 1914.
C’est le
récit de la
résistance d’une famille à |
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Fleurs de pêcher après
la tourmente |
l’occupant. Le message est direct
s’il n’est pas aussi subtil que dans d’autres films de
l’époque. Il est tout aussi empreint du mélange de mélodrame
et de réalisme qui les caractérise.
Il touche aussi
l’édition. En juillet 1935,
avec un groupe
d’écrivains dont Lao She (老舍),
Wang
Yeping (王亚平),
Du Yu (杜宇), Wu Boxiao (吴伯箫), Meng Chao (孟超),
etc…, il
crée à Qingdao une revue littéraire hebdomadaire,
« Chronique du bord de mer » (《避暑录话》),
qui est
publiée par le Journal du peuple de Qingdao (《青岛民报》).
Peu de temps plus tard, il revient à Shanghai où il crée
avec Xia Yan (夏衍)
le bimensuel « Clarté » (《光明》)
dont il devient le rédacteur en chef.
Il est à l’apogée
de sa carrière. Il écrit encore sept scénarios en 1936 et
1937, puis la chute de Shanghai aux mains des Japonais à la
fin de l’année signe l’arrêt des activités des studios.
Après une quarantaine de pièces de théâtre écrites et mises
en scène dans la décennie écoulée, il se reconvertit, comme
ses amis et collègues, en dramaturge et propagandiste de
guerre.
Théâtre aux
armées
En avril 1938, Hong Shen rejoint Guo Moruo (郭沫若)
à Wuhan et participe, sous son égide, à la création
du Département politique du Conseil militaire
national en organisant, avec Tian Han, une dizaine
de troupes de propagande de l’intérieur (抗敌演剧队),
y compris une troupe d’enfants.
Il parcourt lui-même la zone sous contrôle
nationaliste avec l’une de ces troupes, et, en
décembre 1939, iarrive à Chongqing. Il écrit là
l’une de ses pièces majeures de la période, une
pièce de propagande sur l’enrôlement dans l’armée,
qui fait un tour triomphal de Chongqing à Chengdu.
Il retrouve son poste d’enseignant à l’université
Fudan,
lorsque l’université est transférée à Chongqing, mais, en
août 1946, retourne à Shanghai. |
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Fragilité, ton nom est
femme |
Derniers feux
Hong Shen au début des
années 1950 |
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En 1948-49, il écrit encore deux scénarios et tourne
même un film, produit par le studio Datong,
reconstitué des débris de studios laissés par la
guerre.
Co-réalisé avec Zheng Xiaoqiu (郑小秋)
sur un scénario d’un autre grand
réalisateur/scénariste des années 1930, Ouyang
Yuqian (欧阳予倩),
« Fragilité, ton nom est femme » (《姊妹劫》),
figure parmi les grands films de ce « second âge
d’or » du cinéma chinois.
C’est un
film à thème social, qui reprend ceux des années
d’avant-guerre, en dénonçant l’attrait de l’argent
facile et d’une sécurité illusoire qui poussent les
femmes à se marier en sacrifiant leur indépendance.
Mais c’est aussi un film techniquement très
intéressant, avec en particulier une utilisation
originale de la lumière qui montre le génie d’un
artiste polyvalent sachant utiliser au cinéma des
techniques |
adaptées du
théâtre, et fait regretter qu’il ne soit pas passé plus
souvent derrière la caméra.
Après 1949, Hong
Shen devient un personnage adulé par le nouveau régime, et
accède à divers postes officiels importants, dont la
vice-présidence de l’Union des dramaturges.
Mais il meurt d’un
cancer des poumons, à Pékin, en août 1955.
Notes
(1) La pièce
américaine raconte l’histoire d’un Noir qui tue un homme,
est emprisonné, réussit à s’échapper et s’enfuit aux
Caraïbes où il devient empereur.
(2) Sur le
mouvement du 4 mai et de la Nouvelle Cultures, voir :
www.chinese-shortstories.com/Reperes_historiques_La_litterature_chinoise_au_vingtieme_siecle_2.htm
(3) Sur le contexte
politique des années 1930 et l’émergence du mouvement de
gauche en littérature, voir :
www.chinese-shortstories.com/Reperes_historiques_La_litterature_chinoise_au_vingtieme_siecle_3.htm
A lire en complément
Numéro spécial de la revue de MCLC (Modern Chinese
Literature and Culture), vol. 27 n° 2 (automne 2015),
consacré à Hong Shen :
Hong Shen 洪深 and the Modern Mediasphere in
Republican-Era China
http://u.osu.edu/mclc/2015/12/15/vol-27-no-2-of-mclc-special-issue-on-hong-shen/
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