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Li Yang
李杨
Né en 1959
Présentation
par Brigitte
Duzan, 18 septembre 2013
Li Yang est
le réalisateur de deux longs métrages :
« Blind
Shaft » (《盲井》)
sorti en 2003 et
« Blind
Mountain » (《盲山》)
sorti en 2007.
Il est
cependant surtout connu pour le premier, sorti en
France le 1er octobre 2003 après avoir
été présenté en février au festival de Berlin où il
a obtenu l’Ours d’argent de la meilleure
contribution artistique. Le second a été présenté en
mai 2007 au 60ème festival de Cannes dans
la section Un certain regard.
Ils
devaient être les deux premiers volets d’une
trilogie s’achevant avec « Blind River » (《盲流》)
…
Tu ne seras
pas acteur, mon fils
Enfance et
premières études à Pékin |
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Li Yang |
Né en 1959
à Xi’an, dans le Shanxi, Li Yang (李杨)
a passé son enfance à Pékin.
Fils d’acteurs, il a commencé sa carrière comme acteur. En
effet, à la sortie du lycée, de 1978 à 1985, il a joué dans
la troupe du Théâtre des arts de la jeunesse de Chine (中国青年艺术剧院),
à Pékin.
Mais il a ensuite repris ses études.
De 1985 à 1987, il a étudié la télévision à l’Institut de
radiodiffusion de Pékin (北京广播学院电视系).
Puis, en 1988, il est parti continuer ses études en
Allemagne.
Etudes en Allemagne
Il a commencé par étudier l’histoire de l’art à l’Université
libre de ce qui était encore Berlin-Ouest, aujourd’hui Freie
Universität Berlin. Les événements de 1989, en Chine, l’ont
incité à rester en Allemagne. De 1990 à 1992, il a étudié
l’art dramatique à l’université de Münich, puis, de 1992 à
1995, la mise en scène de cinéma et de télévision à
l’Institut des arts des médias de Cologne (Kunsthochschule
für Medien Köln).
Pendant ces années en Allemagne, il a tourné trois
documentaires : « Le royaume des femmes » (《妇女王国》)
en 1991, « Un joyeux chant du cygne » (《欢乐的绝唱》)
en 1994, et « La marque » (《痕》)
en
1996. En même temps, il jouait à la télévision allemande,
mais surtout pour gagner de l’argent.
Ce métier d’acteur
ne le satisfaisait pas, car, dit-il, on ne donnait aux
acteurs asiatiques que des rôles de gangsters ou de
trafiquants de drogue. En outre, sa mère elle-même l’a
incité à devenir réalisateur plutôt qu’acteur. En effet, son
père avait été emprisonné et battu pendant la Révolution
culturelle, et il était mort en prison ; sa mère en gardait
l’idée d’un métier dangereux et funeste.
Il décida donc de
devenir réalisateur. Il hésita entre tourner en Allemagne et
tourner en Chine, mais finalement, il préféra rentrer dans
le pays qu’il connaissait le mieux.
Réalisateur en
Chine
Il rentra en Chine
en 2000, et commença à chercher une idée de scénario.
Blind Shaft
Il fut
profondément touché par la lecture d’une nouvelle de
Liu Qingbang (刘庆邦) intitulée
« Le puits » (《神木》),
qui fut couronnée en 2002 de l’un des prix
littéraires les plus prestigieux de Chine, le prix
Lao She (第二届老舍文学奖)
(1). Liu Qingbang lui ayant donné son accord pour
qu’il y apporte toutes les modifications qu’il
souhaiterait, Li Yang décida de l’adapter, et le
film sortit en 2003 sous le titre de « Blind Shaft »
(《盲井》).
La nouvelle
a pour cadre une mine de charbon : Liu Qingbang
était devenu mineur à 19 ans, faute de pouvoir
continuer ses études. Quant à Li Yang, il a expliqué
que le sujet ne lui était pas étranger car il
s’était préparé au rôle d’un mineur qu’il devait
interpréter dans une pièce de théâtre.
En réalité,
le film illustre surtout sa déconvenue en rentrant
dans son pays en 2000, après un exil de plus de dix
ans en |
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Blind Shaft (affiche
du festival de Berlin) |
Europe. Il voulait
faire un film qui ne soit plus un documentaire, mais qui
reflète la réalité de la société chinoise. Or, ce qui
l’avait le plus frappé à son retour était d’une part
l’étendue de la corruption et d’autre part la course
effrénée à l’argent, doublée de la perte des valeurs morales
traditionnelles. C’est ce qui explique qu’il ait forcé le
trait, beaucoup plus nuancé chez Liu Qingbang, et surtout
qu’il ait changé la fin de la nouvelle, ce qui change
l’esprit même de toute l’histoire (2)
Blind Shaft (affiche
pour la sortie en France) |
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Ce qui rend
cependant le film touchant et lui a valu son succès,
c’est l’extrême réalisme de la mise en scène et le
naturel de l’interprétation. Li Yang a eu le courage
d’aller filmer au fond d’une de ces mines privées si
dangereuses du Shanxi. Il a d’ailleurs failli
succomber deux fois à un accident ; la seconde fois,
les superstitions étant très fortes en Chine, et en
particulier dans ce secteur, le propriétaire – un
ami d’un ami - l’a prié de plier bagage pour qu’il
ne lui risque plus de lui porter malheur.
Tout est
filmé caméra au poing, sans même de steadycam pour
préserver encore plus la réalité des situations, au
milieu de vrais mineurs, dans leur vie quotidienne.
Rien n’est reconstitué, tout est authentique. Ce qui
est dommage, c’est de ne pas avoir conservé jusqu’au
bout la subtilité de l’analyse des caractères de Liu
Qingbang ; mais le film répond à sa
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propre logique,
qui est la vision amère de la société chinoise de Li Yang à
son retour chez lui.
Cette vision est
développée sous un autre angle dans le film suivant.
Blind Mountain
« Blind
Mountain » (《盲山》)
se passe dans un petit village de montagne du
Shanxi. Une jeune étudiante fraîche émoulue de
l’université,
Bai Xuemei
(白雪梅),
est vendue par des escrocs
à une famille de paysans qui cherchait une épouse
pour leur fils. Privée de ses papiers, sans argent,
elle est surveillée et ses tentatives de fuite
répétées échouent vite face à la solidarité de tout
le village et la collusion des autorités locales.
Achetée cher (pour des bourses paysannes), elle
représente un capital et on attend d’elle le fils
qui permettra à la famille de se perpétuer.
Les rapts
de jeunes femmes ne sont pas rares dans la Chine
moderne ; ce sont surtout des jeunes à la sortie du
lycée venant chercher du travail en ville où elles
sont des proies faciles et alimentent aussi des
réseaux de prostitution.
Ning Ying (宁瀛)
a réalisé en 2003 un documentaire intitulé justement
« Looking for a job in the city » (《进城打工》),
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Blind Mountain |
commandé par
l’Unicef-Chine pour alerter ces jeunes femmes et leur éviter
de tomber dans des pièges.
Li Yang avec ses deux
actrices principales
sur le tournage
de Blind Mountain |
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Li Yang
part donc d’une situation réaliste au départ. Mais
il force ensuite le trait au point de faire du petit
village de montagne un repaire de filles volées, de
tous les paysans des brutes illettrées qui
séquestrent les femmes et les battent, dans une
société dont tous les rapports humains sont
gangrenés par l’argent, celui que l’on n’a pas et
celui que l’on voudrait avoir.
Le film est
un réquisitoire sans appel, qui en oublie de
considérer toute la tradition |
qui sous-tend
l’attitude de la famille
paysanne. On ne
peut s’empêcher, en le voyant, de penser au superbe film de
Xie Fei (谢飞)
« La jeune fille Xiaoxiao » (《湘女萧萧》),
adapté d’une
nouvelle de Shen Congwen (沈从文)
(3), en regrettant la chaleur humaine dont il est empreint.
On sentait Xie Fei en symbiose avec son sujet ; Li Yang
apparaît comme un censeur qui juge de l’extérieur. (4)
Le film
avait pourtant un beau sujet, et une excellente
équipe. « Blind Mountain » bénéficie d’une belle
interprétation, en particulier par Huang Lu (黄璐)
dans le rôle principal,
d’une tout aussi belle photographie, de Jong Lin (林良忠),
et d’un montage,
signé
Mary Stephen,
qui en souligne la ligne narrative tout en
adoucissant le ton. Elle reprend justement une idée
semblable à celle de Xie Fei dans « Xiaoxiao », qui
est de monter le film en liant les séquences par des
vues du paysage |
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Bai Xuemei et son bébé
à la fin du film |
autour du village.
Mais, là où ces images suggéraient la douceur d’une vie en
symbiose avec le rythme des saisons, dans le film de Li
Yang, il s’agit de paysages d’hiver qui illustrent au
contraire la dureté d’une vie conditionnée par une nature
peu clémente.
Blind River ?
« Blind Shaft » et
« Blind Mountain » devaient être les premiers volets d’une
trilogie qui devait s’achever avec « Blind River » (《盲流》),
ce dernier film devant traiter d’un autre sujet social
brûlant : le problème des enfants laissés derrière eux au
village par les travailleurs migrants (留守儿童问题).
Le film
n’a toujours pas trouvé de financement, mais Li Yang ne
désespère pas de réussir à le sortir un jour.
Notes
(1) Sur Liu
Qingbang, voir :
www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_LiuQingbang.htm
(2) Voir l’analyse
comparée du film et de la nouvelle :
www.chinese-shortstories.com/Adaptations_cinematographiques_LiuQingbang_Le_puits.htm
(3) Sur la nouvelle
et son adaptation par Xie Fei :
www.chinese-shortstories.com/Adaptations%20cinematographiques_ShenCongwen_Xiaoxiao.htm
(4) En ce sens, la
version chinoise du film semble, pour une fois, meilleure
que la version internationale, en terminant sur une séquence
où le réalisateur laisse affleurer pour la première fois des
sentiments humains du fond du désespoir.
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