Pema Tseden
万玛才旦
པད་མ་ཚེ་བརྟན།
Présentation
II. Producteur et
directeur artistique
par
Brigitte Duzan, 18 septembre 2022
En
dehors de
ses propres réalisations,
Pema Tseden joue un rôle de plus en plus important comme
producteur de films de jeunes réalisateurs chinois dont il
est également souvent conseiller et directeur artistique. Il
exerce de la sorte une influence croissante sur une part non
négligeable du cinéma chinois, un
cinéma « d’auteur »
qui réussit à survivre et même à se développer en marge du
cinéma officiel, malgré les contraintes de censure et de
contrôle, mais aussi les conditions d’exploitation en salles
qui privilégient les grosses productions, plus rentables.
Pema Tseden apparaît ainsi non seulement comme le chef de
file d’un cinéma tibétain en plein essor, mais aussi comme
le mentor et maître du jeune cinéma d’auteur chinois, qui
est aussi un « cinéma des marges ».
Ses
actions dans le domaine de la production se développent à
partir de 2015, l’année de « Tharlo »
(《塔洛》ཐར་ལོ།)..
Cette année-là, il a été le coproducteur du deuxième film de
son directeur de la photographie,
Sonthar
Gyal (松太加),
dont il avait été le directeur artistique du premier film.
De même, il a aidé son directeur du son
Dukar Tserang (德格才让)
à réaliser son premier film, sorti en 2020, dont il a été le
producteur délégué (ou exécutif
监制)
:
- « A
Song for You » (《他与罗耶戴尔》)
, histoire d’un jeune garçon, fils d’un musicien de talent,
qui a pour ambition de devenir un chanteur populaire et
s’embarque dans une véritable odyssée pour tenter
d’enregistrer l’album qui doit le rendre célèbre. Le film a
été coproduit par quatre sociétés de production, dont
Xstream Pictures, la société de production de
Jia Zhangke.
Pema
Tseden apparaît ainsi comme le mentor de ces deux
réalisateurs qui auront fait leurs premières armes avec lui
et qu’il aura réussi à faire passer à la réalisation, après
un transit par l’Institut du cinéma de Pékin. À partir de
2015, il multiplie les actions de conseil et de soutien à la
production auprès d’un nombre croissant de jeunes
réalisateurs chinois travaillant hors des circuits
officiels, dans une frange du cinéma chinois que l’on peut
dire « d’auteur », extrêmement fragile et très difficile à
faire sortir de l’ombre.
Le
premier film dont Pema Tseden a été l’un des producteurs
exécutifs est « Knife in the Clear Water » (《清水里的刀子》),
premier film réalisé par
Wang
Xuebo (王学博),
sorti en septembre 2016 - Wang Xuebo qui était jusque-là
producteur et avait été celui de « Tharlo ». C’était en
quelque sorte un retour d’ascenseur, mais marquait également
une entente sur l’esthétique des films. Pema Tseden a
ensuite tenté d’aider Wang Xuebo en s’intéressant à son
scénario suivant, mais apparemment sans succès.
La même
année 2016 est remarqué en juillet au festival FIRST de
Xining le premier film de
Zhang
Dalei (张大磊)
« The
Summer Is Gone » (《八月》),
dont Pema Tseden était aussi le producteur exécutif. Ce qui
frappe, dans ce film, c’est la magie du noir et blanc. La
photo est signée Lü Songye (廖庆松),
c’est-à-dire le directeur de la photographie de « Tharlo ».
Pourtant le noir et blanc du film de Zhang Dalei est
complètement différent de celui du film de Pema Tseden :
loin d’être uniforme, il a la couleur sépia du souvenir pour
évoquer l’atmosphère des années 1990, ou des couleurs
expressionnistes pour des scènes nocturnes inquiétantes. Les
acteurs sont tous non professionnels, des amis ou des
proches du réalisateur, ce qui tend aussi à rapprocher le
film de l’univers cinématographique tibétain.
|
The Summer is Gone |
|
Pema
Tseden a ensuite réalisé « Jinpa »
(《撞死了一只羊》)
et « Balloon »
(《气球》)
avant de reprendre la production.
En 2020,
on le retrouve producteur exécutif de plusieurs films :
- un
documentaire de
Khashem
Gyal (卡先加) :
« Daughter of the Light » (《光之子》).
L’histoire d’une jeune tibétaine de 13 ans dont les parents
sont divorcés ; elle vit dans un orphelinat, mais passe ses
vacances avec ses grands-parents qui ne cessent de lui dire
du mal de son père ; elle décide de partir à sa recherche.
|
Daughter of the
Light |
|
-
« The Land in the River » (《河洲》)
du tout jeune réalisateur (né en août 1992)
Zeng Jiangui (曾建贵)
qui a été sélectionné dans le cadre du Film Laboratory du
festival FIRST de Xining avant d’être primé dans la section
Venture Capital du festival de Pingyao. Le titre du film est
le nom du district du Gansu dont est originaire Zeng Jiangui : le district autonome Dongxiang (甘肃东乡族自治县)
qui abrite l’ethnie du même nom, l’une des 56 officiellement
reconnues de la Chine populaire, l’une des moins nombreuses
et des plus pauvres.
|
The Land in the
River |
|
De
manière significative, son film est le premier à traiter
d’un groupe de femmes et d’enfants de ce groupe ethnique,
avec des dialogues dans le dialecte très spécifique de cette
ethnie. Le film a donc été conçu dans un but de défense et
de promotion d’une culture et d’une langue (de la famille
des langues mongoles) menacées par l’emprise de la culture
dominante imposée dans la Chine contemporaine, dans une
démarche similaire à celle des réalisateurs tibétains, mais
aussi d’un nombre croissant de jeunes réalisateurs chinois
« des marges ».
-
« Damp Season » (《回南天》),
premier long métrage de
Gao
Ming (高鸣),
passé lui aussi par le festival de Xining, et dont l’autre
producteur exécutif était
Geng
Jun (耿军),
qui a été le producteur exécutif du film de 2016 de
Wang
Xuebo (王学博).
|
Damp Season
|
|
En
2021, Pema Tseden
diversifie ses activités de production, donc de promotion de
jeunes réalisateurs, avec quatre principaux films, dont un
premier par un réalisateur tibétain :
-
« Lost » (《迷路》),
de Lotan / Loden (Luo Dan
洛旦),
un autre film en noir et blanc, sorti en avril 2021,
dont Pema Tseden est le producteur et qui est coproduit par
la société de production Mani Stone Pictures, celle créée
pour la production de « Balloon ». L’histoire est celle de
deux familles d’éleveurs de yaks qui affrontent les éléments
pour sauver leurs troupeaux menacés par une tempête de
neige. C’est un hommage à un mode de vie en voie de
disparition qui est aussi une thématique chère à Pema
Tseden.
|
Lost, de Lotan |
|
- « One
Man Funeral » (《一个人的葬礼》),
premier long métrage réalisé par
Chao
Fan (超凡),
présenté en première mondiale à la
15ème édition du
festival FIRST de Xining,
en juillet 2021. Superbement construit, le film
suit les étapes de la
préparation minutieuse, en respectant les anciens rituels,
des funérailles de son père par Luo Zhuzheng (罗朱生),
un garde forestier dont les rondes de surveillance forment
la toile de fond de l’histoire. On notera que, là encore, il
s’agit d’un film en noir et blanc où l’on sent
l’influence de Pema Tseden qui en est le producteur
exécutif, mais dans une esthétique originale et exigeante :
c’est un film méditatif, sans dialogues….
|
One Man
Funeral |
|
-
« Beyond the Skies » (《云霄之上》)
de
Liu
Zhihai (刘智海)
est un film de guerre au générique duquel on ne se serait
pas, a priori, attendu à voir figurer le nom de Pema
Tseden : pour en résumer rapidement le scénario, le film
dépeint la tragédie d’une unité de l’Armée rouge qui a reçu
pour mission de faire sauter un dépôt de munition ennemi
dans les 48 heures. Le film a été présenté dans les grands
festivals officiels chinois : en juin 2021 au festival de
Shanghai, septembre 2021 au festival de Pékin. Mais ce n’est
pas un film « de guerre » ordinaire, ce n’est même quasiment
pas un « film de guerre ».
|
Beyond the Skies |
|
D’abord,
le scénario est signé par une femme, la scénariste Zhou
Jiali (周佳鹂),
auteure d’une thèse sur Deleuze. Ensuite, le réalisateur
revendique une « esthétique poétique » au cinéma, son sujet
n’est pas la guerre en soi, d’ailleurs, c’est un film
réalisé avec un micro-budget ; la thématique du film est
plutôt le conflit entre désir de vivre et sens du devoir.
Ensuite c’est encore un film en noir et blanc, mais
un noir et blanc aux images surréelles, bordant le
fantastique, qui soulignent la beauté des monts et des eaux
comme dans un tableau de paysage traditionnel. Enfin c’est
un film où chaque détail est soigné, y compris la langue des
dialogues, dans les dialectes des zones où il a été tourné.
Signalons encore, parmi les films de 2021 coproduits par
Pema Tseden, le premier long métrage écrit et réalisé par
son fils Jigme Trinley (久美成列),
sorti au festival de Tokyo en novembre 2021, puis en
compétition à la
16ème édition du
festival FIRST de Xining
en juillet 2022.
- « One
and Four » (《一个和四个》 ),
avec des interprètes récurrents dans les films paternels,
dont Jinpa, et le directeur de la photo
Lü Songye. Le film
apparaît comme un exercice de style sur des thèmes proches
de ceux du père. Mais c’est un huis clos sous tension qui
représente un style nouveau pour le cinéma tibétain comme le
suggère l’affiche en rouge et noir.
|
One and Four |
|
En
2022, le film
« Kong and Jigme » (《回西藏》),
coréalisé par Chen Guoxing (陈国星)
et Lhapal Gyal (拉华加),
est retenu en août dans la section « Literary Picturized
Project » de la 6ème édition du festival
international de cinéma de Pingyao (第六届平遥国际电影展) ;
Pema Tseden en est le directeur artistique (艺术指导).
Deux des interprètes sont des familiers de ses films :
l’actrice Sonam Wangmo (索朗旺姆)
et l’acteur Jinpa (金巴).
|
Kong and Jigme |
|
Pema
Tseden est encore le producteur exécutif d’un autre film
réalisé par Lhapal Gyal
et sorti en juillet 2022
lors de la
16ème édition du
festival FIRST de Xining :
« The Great Distance Delivers Crane » (《千里送鹤》).
Parallèlement, il est lié avec certains des nouveaux studios
qui sont apparus en Chine depuis quelques années pour
promouvoir les films « d’auteur » : des petits studios qui
fonctionnent comme des incubateurs, tel « Heaven
Pictures », qui a
coproduit « Tharlo », ou « Factory
Gate » qui a coproduit le deuxième film de Zhang Dalei,
mais aussi « Balloon ». Sans oublier la base de production
cinématographique du Qinghai,
Garuda Films,
initiée par
Sonthar Gyal.
Au fil
du temps, émerge peu à peu depuis quelques années une image
cohérente de producteur qui vient compléter celle du
réalisateur : image d’un cinéaste attaché à défendre et
promouvoir non seulement le cinéma tibétain qu’il est
parvenu à faire émerger des limbes, à côté des grands
studios, mais aussi un cinéma d’auteur chinois qui vit dans
les interstices du cinéma officiel.
|