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Les frères Wan 兄弟

Présentation

par Brigitte Duzan, 17 mai 2012

 

On dit généralement qu’ils étaient trois frères, deux jumeaux, Wan Laiming (万籁鸣 1899-1997) et Wan Guchan (万古蟾 1899-1995), et leur cadet Wan Chaochen (万超尘 1906-1992), et qu’ils furent les initiateurs du cinéma d’animation chinois.

 

Mais il ne faut pas oublier pour autant le quatrième, Wan Dihuan (万涤), dont on sait, il est vrai, peu de choses, sauf qu’il est né en 1907, quitta ses frères en 1932 pour créer un studio de photographie, mais revint en 1941 les aider à réaliser

 

Les frères Wan (photo CDCC)

« La princesse à l’éventail de fer » (铁扇公主), puis, vingt ans plus tard, la seconde partie de leur grand chef d’œuvre : « Le Roi des Singes bouleverse le Palais céleste » (大闹天宫).

 

Entre dessins animés américains et art traditionnel chinois

 

Les trois frères et leur théâtre d’ombres

 

Ils sont nés à Nankin au tournant du vingtième siècle. Leur père était un homme d’affaires qui les destinait à une carrière dans l’édition. Leur mère, cependant, leur apprit la technique des papiers découpés ; avec leurs figurines, ils montèrent des petits spectacles d’ombres chinoises, pour mettre en scène des histoires traditionnelles.

 

La famille déménage à Shanghai en 1916, dans une métropole cosmopolite fascinée par le cinéma, mais un cinéma essentiellement américain. Ils sont fascinés par les dessins

animés américains alors en vogue, et ils rêvent de réaliser des « cartoons » chinois. Sans matériel, argent, documentation ni formation, ils vont partir de zéro et tout inventer, à partir de l’art traditionnel chinois.

 

Peu de temps après, Laiming est embauché au département des beaux-arts de la principale maison d’édition de Shanghai, la Shanghai Commercial Press (商务印书馆). Puis il y travaille aussi au sein du département des activités cinématographiques quand celui-ci est créé en 1919. Ses frères le rejoignent une fois leurs études terminées. Ils découvrent ensemble les premières techniques d’animation, dont le zootrope, jouet optique inventé au début du dix-neuvième siècle (1).

 

Un soir, au début des années 1920, ils dessinent sur un bloc de papier un chat poursuivant une souris et, en pliant l’image, arrivent à donner l’impression du mouvement. Ils ne vont pas cesser ensuite de poursuivre leurs recherches et leurs expériences, en partant de formes et techniques typiquement chinoises, comme la « lanterne des chevaux » (走马灯), proche du zootrope mais apparue sous

 

Une lanterne aux chevaux

les Song (10ème-13ème siècle) (2), ou encore le théâtre d’ombres chinoises, apparu dès la dynastie des Tang.

 

Précurseurs du cinéma chinois d’animation

 

L’une des premières photos

des trois frères, vers 1941, vraisemblablement pour la promotion

de « La princesse à l’éventail de fer »

 

En 1922, les deux jumeaux Wan Laiming et Wan Guchan réalisent leur premier court métrage d’animation : « La machine à écrire les caractères chinois de Shu Zhendong » (舒振东华文打字机). C’est en même temps le premier film publicitaire chinois, utilisé par la Commercial Press. 

 

En 1924, les frères Wan entrent au studio de la Grande Muraille (长城画片公司) que quitte Dihuan en 1932 pour fonder un studio de photographie. Restent les trois aînés qui réalisent des films d’animation inspirés de contes et légendes, mais aussi d’inspiration patriotique à partir du début de la guerre sino-japonaise.

 

Laiming et Guchan réalisent en 1926 le premier court métrage d’animation chinois, d’une dizaine de minutes, en noir et blanc : « Tumulte dans l’atelier » (大闹画室). Le tumulte en question est créé par un personnage qu’un artiste (sous les traits de Wan Guchan) est en train de dessiner et qui s’évade de la feuille de papier. Le film est inspiré de la série « Out of the Inkwell » de Max Fleischer. D’après la spécialiste du cinéma d’animation chinois,

Marie-Claire Quiquemelle (3), ils ont produit un second court

métrage cette même année 1926, sur un sujet similaire (un personnage dessiné sur une feuille de papier qui reçoit une lettre).

 

En 1935 sort leur premier film parlant : « La danse du chameau » (《骆驼献舞》), qui révèle par ailleurs un don extraordinaire pour la stylisation du dessin. Puis, après la sortie, en 1937, du « Blanche Neige » de Walt Disney, ils décident de réaliser le premier long métrage d’animation chinois et le font au retour de Wuhan où ils ont tenté d’échapper aux Japonais.  En noir et blanc, réalisé dans le département d’animation de la compagnie Xinhua (新华影业公司), le film sort en 1941, en pleine occupation de Shanghai par les forces japonaises : c’est « La princesse à l’éventail de fer » (铁扇公主) (4), adapté d’un passage central du « Voyage à l’Ouest » qui suit les pérégrinations du bonze Sha Seng (沙僧), du cochon Zhu Bajie (猪八戒) et du Roi des Singes Sun Wukong (孙悟空), chargés d’accompagner et assister le moine Xuangzang (玄奘) dans sa quête des textes sacrés bouddhiques.

 

 

La danse du chameau

 

La princesse à l’éventail de fer

 

Le film marque une formidable avancée stylistique. Si Sun Wukong a des traits encore marqués par l'influence des dessins animés américains, de même que l’épouse du Roi Buffle, la princesse du titre est typiquement asiatique. Les décors naturels, de même, s'inspirent de l'estampe chinoise. Mais c’est surtout l’animation qui est particulièrement réussie : Marie-Claire Quiquemelle a expliqué que les scènes ont d’abord été filmées avec des acteurs pour servir ensuite de modèle aux animateurs.

 

C’est quasiment un tour de force : soixante-dix personnes ont travaillé sur le film jour et nuit pendant seize mois dans une pièce faisant office de studio, au sein de la concession française encore préservée de l’occupation japonaise : les concessions sont envahies quand sort le film ! Celui-ci est un succès : il reste à l’affiche sans interruption dans trois cinémas de Shanghai pendant un mois et demi. En pleine

guerre, fier de cette production nationale qui sort quelques années seulement après « Blanche Neige », le public y voit en outre une attaque déguisée contre l’ennemi japonais, symbolisé par le Roi Buffle : il est, à la fin du film, vaincu par le petit Roi des Singes, grâce à l’aide du peuple.

  

Les frères Wan conçoivent alors le projet d’un film d’animation de grande envergure, tiré des premiers chapitres du « Voyage à l’Ouest » (《西游记》), mais les Japonais accentuent leur pression sur les studios, les investisseurs se retirent du projet… il ne pourra renaître que vingt ans plus tard. En attendant, Laiming part à Hong Kong et Guchan va passer quelques temps aux Etats-Unis.

 

Créateurs au Studio d’animation de Shanghai

 

En 1950 est créé un département d’animation en regroupant divers artistes au sein du studio du Nord-Est ; cette unité est transformée en 1957 pour devenir le Studio d’art de Shanghai (上海美术电影制片厂) dont la direction est confiée à Wan Laiming, revenu de Hong Kong trois ans auparavant.

 

Pourquoi le corbeau est noir

 

Zhu Bajie mange la pastèque

 

Ce sont des années extrêmement productives. Les trois frères développent des techniques d’animation directement inspirées des arts traditionnels chinois, avec chacun sa spécialité : Wan Laiming le dessin animé, Wan Guchan les papiers découpés et Wan Chaochen les poupées animées.

 

En 1954, Wan Laiming et son frère jumeau créent le premier film d’animation chinois en couleur : « Pourquoi le corbeau est noir » (乌鸦为什么是黑的). En 1958, le film de découpages animés « Zhu Bajie mange la pastèque » (猪八戒吃西瓜), réalisé sous la direction de Wan Guchan, marque une nouvelle étape dans la diversification du film d’animation chinois. Autre épisode du « Voyage à l’Ouest », c’est un film particulièrement réussi qui accompagne les découpages animés de la musique de l’opéra de Pékin.

 

 

Zhu Bajie mange la pastèque

 

C’est alors que les frères Wan reprennent le projet abandonné au début des années 1940 : « Le Roi des Singes bouleverse le Palais céleste » (大闹天宫). Le film est en deux parties, sorties respectivement en 1961 et 1964 : la première, d’une quarantaine de minutes, est de Wan Laiming et Wan Gucha ;  pour la seconde partie, Wang Dihuan est venu se joindre à ses trois frères.

 

Les deux parties ont été projetées ensemble en 1965 et le film est sorti en compétition officielle au festival de Locarno cette année-là. L’année suivante est lancée la Révolution culturelle, les films d’animation sont considérés comme décadents et ceux déjà produits interdits. Ce n’est qu’en 1972 que la production de films d’animation repart timidement, pour des films de « propagande ».

 

« Le Roi des Singes bouleverse le Palais céleste » a

 

Le Roi des singes bouleverse

le Palais céleste

particulièrement souffert, ainsi que ses auteurs, car, à sa sortie, il fut considéré comme une métaphore

 

Les trois frères au début des années 1980

 

du chaos provoqué en Chine par Mao. C’était en effet pendant la période catastrophique à la fin du Grand Bond en avant.

 

Le cinéma d’animation reprend un certain essor après 1977. Les anciens films ressortent. Le « Roi des Singes » passe alors au festival de Londres en 1978 et hors compétition au festival de Cannes en 1981, dans le cadre d’une rétrospective consacrée à la Chine. Enfin, 28 ans après sa sortie en Chine, le film sort dans les salles

françaises le 15 juin 1983 et rencontre un succès autant critique que public.

 

Mais, dans les années 1980 et jusqu’à leur mort, les frères Wan sont réduits au rôle de conseillers auprès du studio de Shanghai qui cherche ailleurs l’inspiration pour développer sa production. « Le Roi des Singes bouleverse le Palais céleste » marque l’apogée du cinéma d’animation de Shanghai. Cet art a ensuite périclité, et les techniques spécifiques qui avaient été développées à partir de l’art traditionnel chinois et en faisaient la richesse sont aujourd’hui définitivement perdues.

 

Il est triste de voir que la seule idée neuve pour faire renaître cet art délicat, en 2012, est de faire du chef d’œuvre des frères Wan un film en 3D, en en vulgarisant le dessin et les couleurs au passage.

 

 

Notes

(1) Il s’agit d’un instrument qui joue sur le phénomène de

 

Wan Laiming vers 1995

persistance rétinienne pour, à partir d’images décomposées, donner l’illusion de mouvement : une bande de dessins apparaît à travers une douzaine de fentes percées dans un tambour en rotation.

Voir les explications et la vidéo de démonstration :

www.animage.org/index.php?page=image-animee&article=zootrope

(2) Les « lanternes aux chevaux » étaient de grandes lanternes rondes dans lesquelles étaient disposés en cercle des personnages à cheval découpés dans du papier. Des bougies étaient allumées sous ces personnages pour les faire tourner sous l’effet de la chaleur et donner l'impression du mouvement.

(3) Marie-Claire Kuo-Quiquemelle : « Les frères Wan et soixante ans de dessins animés chinois », festival d’Annecy, 1985.

(4) La traduction de Blanche Neige en chinois – « La princesse Blanche Neige » (《白雪公主》) – est calquée sur le titre de l’épisode du « Voyage à l’Ouest » (《西游记》) dont est tiré le sujet du film des frères Wan.

 

 

 


 

A lire en complément :

 

Kuo-Quiquemelle, Marie-Claire : Trésors méconnus des Studios d'art de Shanghai

 

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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