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« Lust.Caution » : relecture par Ang Lee de la nouvelle de
Zhang Ailing
par Brigitte
Duzan, 20 décembre 2012
«
Lust.Caution » (《色,
戒》
) est une très brève nouvelle de Zhang Ailing qui
n’aurait sans doute jamais été aussi célèbre si elle
n’avait été adaptée à l’écran par
Ang Lee (李安).
D’un huis clos étouffant, il a imaginé tout un
scénario qui vient compléter la nouvelle initiale,
dont les qualités propres étaient essentiellement
fondées sur l’expressivité de la langue.
La nouvelle
laissait au lecteur le soin d’imaginer ce qui était
suggéré. Ang Lee a fait le travail pour lui. Les
personnages évoqués par Zhang Ailing prennent forme
et profondeur sous son objectif, tandis que le
contexte historique a été recréé avec le paysage
urbain de la Shanghai de l’époque.
La nouvelle
de Zhang Ailing reflétait le monde personnel de
l’écrivain, le film se replace parfaitement dans
l’œuvre du réalisateur et sa thématique propre.
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Lust.Caution |
Voir l’analyse de
la nouvelle et de son adaptation cinématographique :
http://www.chinese-shortstories.com/Adaptations%20cinematographiques_Lust_Caution_d_AngLee.htm

La partie de mahjong,
avec Joan Chen au centre |
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Thème du film
http://www.bvi.com.tw/movies/lust_caution/main.html
Extraits
de la bande son
http://www.amazon.fr/exec/obidos/ASIN/B000V9KEE2/filmmuziek09-21
Réactions
suscitées par le film en Chine
Le film est
sorti en Chine le 26 octobre 2007, dans une version élaguée
qui ne comporte par les scènes « de lit », en particulier.
Du coup, des tour-opérateurs ont organisé des voyages à Hong
Kong pour que les intéressés puissent voir le film entier.
Mais, même tronqué, celui-ci a réalisé des records au box
office : cent millions de yuan (entre 9 et 10 millions
d’euros) les deux premières semaines.
Il a suscité
des réactions divergentes. Evidemment, nombreux sont ceux
qui se sont élevés contre ses connotations politiques
négatives. Les détracteurs vont des officiels du régime qui
ont dénoncé « une insulte à la nation chinoise », un
« poison obscène » faisant l’éloge des traîtres
pro-japonais, aux mères de famille indignées qui y ont vu
« une insulte pour les femmes chinoises vertueuses ».
Un étudiant en
droit à l’Université de Pékin a déposé une plainte à la fois
contre l’autorité de régulation du cinéma et de la
télévision (celle qui décide de la diffusion des films) et
contre un grand cinéma de la capitale qui a diffusé le film
dans sa version autorisée, donc raccourcie d’une bonne
demi-heure. Il reprochait au second de porter atteinte à ses
droits de consommateur, et au premier de ne pas avoir un
système de notation par classe d’âge. Ce dernier point a
lancé une controverse intéressante sur le système de
classification chinois des films qui ne fait pas de
distinction entre films pour enfants et pour adultes…
Le débat sur
ces points est retombé très vite. En revanche, Tang Wei a
fait les frais de l’ire du gouvernement.
Censure de
Tang Wei
Les
autorités chinoises ne lui ont pas pardonné,
surtout, son rôle de jeune Chinoise, membre d’un
groupe de jeunes résistants à l’occupation
japonaise, qui, ayant reçu la mission de séduire un
collaborateur des Japonais pour l’assassiner, cède à
la passion que l’homme a fait naître en elle et le
sauve au dernier moment en lui permettant de
s’échapper : traîtrise inacceptable envers la
patrie. Les scènes « de lit », à côté de cette
insulte majeure envers la nation, sont des
peccadilles d’ailleurs expurgées en Chine. |
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Joan Chen et Tang Wei |
Début mars 2008,
il a été révélé que l’Administration d’Etat pour la radio,
le film et la télévision avait ordonné que toutes les
publicités avec l’actrice soient retirées des écrans et des
médias. L’actrice perdit ainsi son contrat avec la marque de
soins pour la peau Pond’s, d’un montant de six millions de
yuans. En même temps, toutes les cérémonies de remises de
récompenses devaient éviter la participation de l’actrice.
Les discussions la concernant ainsi que celles sur le film
furent même effacées des forums internet, et son nom
disparut du site de Google en Chine.
En outre, elle
devait tourner dans le film de
Tian Zhuangzhuang
« The warrior and the wolf » (《狼灾记》).
En septembre 2008, il fut annoncé qu’elle était finalement
remplacée par une autre actrice, Maggie Q (李美琪),
une actrice et ex-modèle sino-américaine née à Hawaï qui
avait surtout tourné jusque là dans des polars américains.

Tony Leung et Tang Wei |
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Le ban fut
d’autant plus dur que Tony Leung n’a pas eu, lui, à
en souffrir. Quant à Ang Lee, après avoir défendu
son actrice, il est parti aux Etats-Unis tourner un
nouveau film. Il faut dire que l’un est hongkongais,
l’autre taiwanais. Tang Wei, elle, est chinoise, ce
qui suppose certaines responsabilités, sans doute,
aux yeux des autorités chinoises. Le ban dont elle a
été victime est certainement une sorte de mesure de
rétorsion devant servir non tellement de leçon, mais
plutôt de mise en |
garde vis-à-vis
des candidates éventuelles à des rôles du même genre.
Le pire, c’est que
les interdictions à l’égard de l’actrice en Chine n’ont
jamais été formellement annoncées, par conséquent, elles ne
comportaient pas de délai de prescription. Tang Wei a tourné
la difficulté en demandant la résidence à Hong Kong, et en
tournant là,
dans le deuxième
film de la réalisatrice et scénariste Ivy Ho (岸西),
un drame romantique intitulé
《月满轩尼诗》(«
Crossing Hennessy »).
Elle a depuis lors
été « graciée », mais n’est apparue que dans des rôles de
femmes soumises, très effacées.
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