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« Ma
vie », le grand classique de Shi Hui, d’après Lao She
par Brigitte Duzan,
14 décembre 2010,
révisé 17 janvier 2012
« Ma vie »
(《我这一辈子》)
est l’adaptation, par le grand acteur et réalisateur
Shi Hui (石挥),
d’une nouvelle éponyme de Lao She (老舍) :
rarement un réalisateur aura été aussi proche de
l’auteur dont il a adapté l’œuvre, et c’est sans
doute cette symbiose qui fait toute la profondeur et
la valeur du film.
« Ma vie »
commence par un générique volontairement simple,
inscrit sur les pages d’un livre portant l’effigie
de Lao She, qu’une main tourne lentement. Ce prélude
est comme un hommage rendu à l’écrivain, et la
promesse d’une adaptation fidèle. Fidèle à l’esprit
de la nouvelle.
La vie en
question est celle d’un agent de police arrivé à la
soixantaine passée ; misérable, affamé et grelottant
sous la neige, il est à bout de forces, et se
remémore les quarante années précédentes : le film
est ainsi construit en un vaste flash back. Se
retrouvant à vingt deux ans sans travail, il entre
dans la police grâce à l’aide d’un ami,
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Ma vie |
car, en ces
dernières années de l’empire chinois, c’est l’un des rares
emplois, hormis tireur de pousse, qui soient accessibles aux
gens humbles et sans éducation.
Il traverse ensuite
toute l’histoire de la première moitié du vingtième siècle,
connaissant les pires vicissitudes, et n’ayant plus qu’un
espoir dans ses vieux jours : l’arrivée des troupes
communistes qui doivent d’un jour à l’autre venir libérer la
capitale, et dans lesquelles se trouve son fils. Il meurt
avant d’avoir pu les voir arriver, mais les dernières images
sont celles, triomphantes, de la victoire communiste.
Shi Hui dans le film |
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Le film
est, dans un superbe noir et blanc, constitué de
scènes comme tirées d’une pièce de théâtre, aux
dialogues travaillés, dans une très belles langue
littéraire qui est celle du texte de Lao She, adapté
par Shi Hui lui-même. La connivence entre le
réalisateur et l’écrivain, est totale, et comme
concrétisée dans le jeu de Shi Hui. On sent vibrer
dans les dialogues la foi révolutionnaire qui les
anima tous deux.
Pour nous
qui connaissons la suite de l’histoire, cependant,
les lendemains ne peuvent que paraître
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amers : l’immense
espoir suscité par les communistes dans les années quarante
et lors de leur prise de pouvoir – et qui est en fait le
sujet du film comme de la nouvelle - est vite retombé, en
particulier pour les intellectuels. Là encore, le destin des
deux hommes se répond à quelques années de distance, comme
si leur connivence artistique ne pouvait que continuer dans
la mort.
En 1957, Shi Hui
fut dénoncé comme « droitiste » : l’empereur du théâtre
devint du jour au lendemain un esprit malfaisant (鬼蜮).
Après une séance de « critique » particulièrement sévère, en
novembre, il revêtit une de ses plus belles robes, de laine
brune, embrassa sa jeune femme, épousée trois ans
auparavant, alla à la banque envoyer pour la dernière fois
de l’argent à sa mère, et se jeta dans le Huangpu.
Neuf ans plus tard,
dans des circonstances similaires pendant la Révolution
culturelle, Lao She (老舍)
se jetait dans le lac de la Paix (太平湖)
à Pékin :
deux destins similaires qui convergèrent un bref moment pour
donner un des grands classiques du cinéma chinois.
Voir l’analyse
comparée de la nouvelle et du film :
http://www.chinese-shortstories.com/Adaptations%20cinematographiques_LaoShe_Ma_vie.htm
Le film
A lire en complément :
Voir l’analyse comparée du
film et de la nouvelle de Lao She dont le scénario est
adapté :
www.chinese-shortstories.com/Adaptations%20cinematographiques_LaoShe_Ma_vie.htm
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