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Avec « Above the Dust », Wang Xiaoshuai évoque la Réforme agraire, à ses dépens.

par Brigitte Duzan, 7 avril 2024

 

 

Above the Dust

 

 

Sorti à la Berlinale le 17 février 2024 sans avoir obtenu le visa de censure, et alors que les autorités du cinéma avaient demandé au réalisateur de retirer son film, « Above the Dust » (《沃土》) a valu à Wang Xiaoshuai (王小帅) d’être menacé de sanctions. Ce n’est pas la première fois : dès son premier film, « The Days » (《冬春的日子》), projeté de la même manière à l’étranger sans autorisation, il s’est retrouvé sur liste noire et son film interdit de distribution. C’était en 1994.

 

Le sort de « Above the Dust » aujourd’hui est emblématique : « Je n’aurais jamais pensé revenir trente ans en arrière » (我没想到30年了又绕回来了), a dit Wang Xiaoshuai lors d’une interview à Londres le 27 mars [1]. Mais c’est aussi que le film touche au sujet toujours aussi sensible de la Réforme agraire [2], et même plus que sensible : toujours tabou. Si le film a été présenté à Berlin dans la section Generation Kplus, c’est justement pour tenter de protéger un peu le réalisateur, mais le film n’est qu’apparemment un film pour enfants.

 

 

Cérémonie du début du tournage, le 5 septembre 2021

 

 

La nostalgie de la terre

 

« Above the Dust » (《沃土》) est la deuxième partie de la « trilogie du pays natal » (家园三部曲) commencée avec « So Long, My Son » ( 地久天长》). Le scénario est adapté d’une nouvelle de Li Shijiang (李师江) : « L’astuce du fantôme du grand-père » (《爷爷的鬼把戏》). C’est là que Wang Xiaoshuai a trouvé l’idée du rêve de pistolet qui forme la trame principale de son scénario.

 

Au centre de l’histoire est un enfant de dix ans, Chuan Zai (), fils d’un paysan, Lao Chuan (老川) [3], parti travailler sur un chantier en ville. On l’appelle Wotu (沃土), comme le titre du film, ce qui signifie terre riche, fertile - fertile car irriguée. On a ainsi dès l’abord le thème principal du film : l’amour, quasi viscéral, de la terre, terre natale et terre ancestrale.

 

L’enfant vit dans un vieux village avec sa mère, sa petite sœur et son grand-père en fin de vie. Il rêve d’avoir un pistolet à eau comme ses camarades à l’école. Son père lui a promis de lui en rapporter un de la ville, mais oublie sa promesse quand il revient au village, pour l’enterrement du grand-père, justement. On comprend qu’il ait d’autres soucis : comme les autres travailleurs migrants qui travaillent sur le même chantier que lui, il ne sera payé que lorsque le chantier sera terminé… avec le risque qu’il ne le soit jamais.

 

 

Un rêve de pistolet à eau

 

 

Avant de mourir, cependant, le grand-père a promis à Wotu de revenir, fantôme, lui apporter le pistolet dont il rêve. Mais à la condition qu’il vienne se recueillir sur sa tombe selon la tradition. Or cette simple condition n’est déjà pas facile à remplir car le gouvernement a interdit les enterrements et rendu la crémation obligatoire ; il faut donc que la famille aille de nuit enterrer l’urne du grand-père dans le plus grand secret…

 

Alors, Wotu se réfugie dans le rêve. Mais, dans ses rêves, le grand-père lui raconte bien d’autres histoires, des histoires du temps passé qu’on n’apprend pas à l’école : Wotu revit avec lui la Réforme agraire et le Grand Bond en avant. Il apprend aussi que le grand-père, lors de la Réforme agraire, a dénoncé son propre père, un propriétaire terrien. Les terres familiales ont été réquisitionnées par l’Etat et redistribuées. Mais, avant de disparaître, le vieil homme aurait enterré un trésor quelque part… et la famille de Wotu puis tout le village de creuser et creuser comme des chercheurs d’or pour tenter de le retrouver. En vain…

 

L’histoire et ses fantômes finissent par revenir hanter les vivants. Mais rien ne change pour eux. Migrants en ville, ils sont devenus des nomades sans terres. Le film commence par une tempête de sable, et se termine également ainsi, mais en ville, comme si rien, jamais je pouvait changer pour les familles paysannes dans un pays comme la Chine.

 

Un film entre rêve et réalité

 

« Above the Dust » est ainsi une sorte de conte mêlant réel et éléments oniriques, à la manière des contes fantastiques de la tradition chinoise. Quand le grand-père apparaît à l’enfant, se déroule alors sous ses yeux de véritables fresques du passé, aussi vivantes que le quotidien : la confiscation des terres et des biens des paysans considérés comme « riches », la collectivisation et la fièvre de l’acier, puis, dans la période plus récente, la politique de planification urbaine avec construction d’un nouveau village, la nouvelle fièvre de modernisation entre communisme et capitalisme, mais au prix d’un exode rural entraînant toute une génération de paysans, sans racines et sans terres.

 

 

Rêve d’acier

 

 

Tout le film est construit comme un perpétuel aller-retour entre rêve et réalité, dans l’esprit de l’enfant. C’est ce qui permet d’atténuer le choc des images du passé. Mais sans édulcorer le message qu’elles véhiculent : quelle que soit la période, les paysans ont été sacrifiés sur l’autel de l’idéologie et du Parti ; l’histoire de la Chine, au 20e siècle, est la longue histoire d’un peuple paysan dont le Parti s’est proclamé libérateur, mais qu’il a finalement utilisé à ses fins, et justement dès la Réforme agraire. Et si c’est un sujet aussi tabou, c’est parce que c’est essentiellement sur cet épisode historique que repose la légitimité du Parti, et qu’il n’est donc pas question d’en dénoncer la rhétorique officielle, et encore moins les aspects sanglants.

 

Refus de céder à la censure

 

L’ aller-retour entre rêve et réalité n’est pas seulement un procédé cinématographique permettant d’intégrer les flash-backs vers le passé, passé brumeux mais sans rupture apparente du fil narratif ; c’est aussi une métaphore subtile de la fracture du passé historique, entre réalité occultée et discours officiel. Discours officiel constamment réitéré, encore en 2014 par le président Xi Jinping déclarant que :

                文艺要坚持为人民服务,为社会主义服务

                La littérature et l’art doivent « continuer à servir le peuple, à servir le socialisme. »

                在社会主义核心价值观中,最深层、最根本、最永恒的是爱国主义,

                « Parmi les valeurs centrales du socialisme, le plus profond, le plus fondamental, le

                plus éternel, c’est le patriotisme. »

 

Il n’est donc pas question de discuter les fondamentaux : en quelque quinze mois de passage de son film par les bureaux de la censure à laquelle il a été soumis en octobre 2022, Wang Xiaoshuai a reçu une cinquantaine de demandes de modifications visant à supprimer la moindre allusion à la Réforme agraire. Il n’a pas voulu céder : il est pour lui vital de lutter pour la liberté d’expression, en luttant d’abord contre l’autocensure. Son attitude de défi est à comprendre ainsi, en défense de tout un cinéma, en particulier de jeunes cinéastes dont les talents sont étouffés par une machine dont on ne connaît ni les rouages ni la logique [4].

 

Un film qui restera dans les Annales

 

« Above the Dust » est devenu introuvable sur beaucoup de sites chinois. Il est toujours sur baidu, mais pas sur douban : si on lance une recherche sur le site, cela donne pour toute réponse : euh… la page que vous recherchez n’existe pas… (...你想访问的页面不存在).

 

« Above the Dust » restera cependant dans les Annales, et d’abord pour ses qualités intrinsèques, comme deuxième volet de la « trilogie de la terre natale », en attendant le troisième, qui devait être sur les intellectuels pendant la terrible période des années 1960-1970.

 

Le film est censé se passer en 2009. Il a été tourné dans le nord-est du Gansu, en septembre 2021, sur le site du village de Ruoli du district de Jingyuan, dans la préfecture de Baiyin (白银市靖远县若笠乡) – en ce sens, le film rappelle ceux de Li Ruijun (李睿珺), dans des paysages dénudés, rappelant la déforestation auxquels ils ont été soumis, et aujourd’hui la désertification. Et s’il est précisé « sur le site », c’est que, entre le repérage et le moment où l’équipe est revenue tourner, le village qui était en grande  partie abandonné avait été détruit : il a été reconstruit pour le film.

 

 

Le même sens de la terre que chez Li Ruijun

 

 

Above the Dust, making of (en 2021, pendant le tournage)

 

Outre la qualité de la mise en scène, le film se distingue par celle de la photographie, par le même chef opérateur que celui de « So Long My Son » : le Sud-Coréen Kim Hyung-seok. Mais c’est surtout l’interprétation qui est remarquable dans ce film comme dans le précédent. Les enfants, dont celui qui interprète le rôle principal, ont tous été recrutés dans des écoles ou des familles locales. Quant à la mère de l’enfant, Muyue, elle est interprétée par l’actrice qui jouait le rôle de Wang Liyun (王丽云) dans le film précédent :Yong Mei.

 

Principaux interprètes :

Chuan Zai (), l’enfant                 Ouyang Wenxin 欧阳文鑫

Muyue (木月), la mère                      Yong Mei 咏梅

Lao Chuan (老川), le père                 Zu Feng 祖峰

Le grand-père (爷爷)                       Li Jun 李军

Lao Jiu (老酒), l’alcoolique                Wang Zichuan 王子川

 

Coproduction sino-néerlandaise (Dongchun films / Lemming Film), les ventes internationales du film, comme pour « So Long My Son », sont assurées par la société allemande The Match Factory. C’est sur elle que reposent donc nos espoirs de voir le film distribué en France.

 


 


[1] Interview publiée dans le New York Times sous le titre « Le prix qu’il faut accepter de payer pour résister à la censure » (反抗审查制度不得不接受的代价”). Propos dont on trouve aussi des échos dans une interview avec Patrick Frater publiée dans Variety en marge de la Berlinale.

[3] Écrit à l’origine . Chuan Zai (), c’est littéralement « le fils du fleuve ».

[4] Certains films sont bloqués dans les bureaux de la censure sans qu’on sache bien souvent pourquoi.
Cinq exemples récents :
https://www.chinesemovies.com.fr/actualites_365.htm

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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