Sortie d’un
film sur le compositeur Xian Xinghai, auteur de la « Cantate
du fleuve Jaune »
par Brigitte Duzan, 24 mai 2019
Le 13 mai 2019 est sorti en avant-première à Pékin
le film « The Composer » (《音乐家》)
sur le compositeur Xian Xinghai (冼星海),
célèbre pour avoir composé la musique de la
« Cantate du fleuve Jaune » (黄河大合唱),
œuvre emblématique créée à Yan’an en 1939.
Le film relate un épisode de sa vie : la période
qu’il a passée à Alma Ata, au Kazakhstan, au début
des années 1940, alors qu’il se trouvait bloqué là
faute d’avoir réussi à passer la frontière pour
revenir en Chine. Le film est une coproduction
Chine- Kazakhstan faisant suite à l’accord de
coproduction signé entre les deux pays en juin 2017.
Grand compositeur célèbre pour ses chants
patriotiques
Xian
Xinghai est né en 1905
[1]
sur un bateau de la Rivière des perles, dans une
famille de bateliers (et non de paysans comme il est
dit
The Composer
souvent) : il
était donc doublement marginal à sa naissance
[2].
Néanmoins, la famille avait commencé à échapper à la
condition de batelier : le grand-père du compositeur s’était
établi sur terre, mais la famille continuait de vivre de la
pêche et du transport fluvial. C’est ainsi que le père de
Xinghai est mort avant sa naissance dans un accident de
bateau à Hong Kong. Il a été donc élevé par sa mère,
réfugiée chez son père, dans ce qui était encore la colonie
portugaise de Macao. Le grand-père de Xinghai meurt en 1911
quand il a six ans, et sa mère l’emmène à Singapour où des
parents de son défunt mari avaient émigré ; c’est là que
l’enfant entre à l’école primaire et commence à apprendre la
musique.
Xian Xinghai
Il part ensuite continuer ses études à Canton, et,
en 1918, commence à apprendre la clarinette à
l’école de musique du YMCA alors rattachée à
l’université Lingnan (岭南大学)
de Canton, université privée fondée par un groupe de
missionnaires où il est admis en 1924. Pendant ce
temps, sa mère travaille comme blanchisseuse. En
1926, après un nouveau passage à Singapour, il entre
à l’Institut national de musique de Pékin, puis, en
1928, est admis au Conservatoire national de
Shanghai, en classes de piano et de violon. En
janvier 1930, il part à Paris où, en 1934, il est le
premier étudiant chinois accepté au Conservatoire
national supérieur de musique de Paris, où il étudie
la composition dans la classe de Paul Dukas après
avoir travaillé avec Vincent d’Indy. Sa pauvreté est
notée par ses professeurs.
C’est donc muni d’un vaste bagage de musique occidentale
qu’il retourne en Chine en 1935 ; il trouve un travail au
département de musique d’un studio de Shanghai et compose
des musiques de films. Cependant, sa pauvreté et son
expérience le poussent à radicaliser son engagement
politique ; il participe à la société artistique et
littéraire dite Société du Sud (Nanguoshe
南国社)
créée en 1925 par le dramaturge Tian Han (田汉),
l’un des fondateurs du théâtre parlé ou huaju en
Chine et auteur, entre autres, des paroles de la « Marche
des volontaires » (义勇军进行曲)
en 1934, sur une musique de Nie
Er (聂耳).
Après la mort de celui-ci, noyé alors qu’il se baignait sur
une plage japonaise en juillet 1935, c’est Xian Xinghai qui
prend sa place et écrit la musique des chants de Tian Han ;
il devient « compositeur de gauche », au côté des
« dramaturges de gauche ».
En 1937, après la chute de Shanghai, il se replie
sur Wuhan puis part à Yan’an. L’occupation du
Manchukuo puis la guerre de résistance contre le
Japon lui inspirent des œuvres de circonstance, dans
un esprit de lutte contre l’envahisseur. Ce sont
surtout des chants patriotiques, comme « Le chant
des guérillas » (《游击军歌》),
« Enfants de la patrie » (《祖国的孩子们》),
ou encore « Dans les monts Taihang » (《在太行山上》).
Puis il part à Yan’an où, en 1938, il devient le
directeur du département de musique de l’Institut
des arts Lu Xun (鲁迅艺术学院).
C’est alors qu’il compose la fameuse « Cantate du
fleuve Jaune » qui sera adaptée en 1969 en concerto
pour piano par le pianiste Yin Chengzong (殷承宗),
ce qui rendra le thème célèbre comme emblème de
l’esprit de la Chine en guerre. En outre, lors de la
visite historique du président Nixon en Chine, en
1973, le Philadelphia Orchestra a
Avec sa femme et sa
petite fille
avant de partir à
Moscou
interprété le concerto pour piano. La Cantate est
aujourd’hui considérée comme une sorte de second hymne
national.
Le concerto pour piano (concert de février 2012)
Fin 1940, Xian Xinghai part à Moscou pour composer la
musique du documentaire « Yan’an et la 8ème Armée
de route ». En 1941, l’invasion de l’Union soviétique par
l’Allemagne l’oblige comme beaucoup à fuir Moscou ; il tente
de revenir en Chine en passant par le Xinjiang, mais le
seigneur de la guerre local, Sheng Shicai (盛世才),
a fermé la frontière et refuse de le laisser passer
[3].
Il se réfugie à Alma Ata, au Kazakhstan, où il vit seul
pendant une année dans le sous-sol d’un immeuble, avec des
rations alimentaires limitées. Heureusement, en juin 1942,
il rencontre par hasard un musicien russe qui le fait
héberger chez sa sœur aînée. Mais comme le compositeur est
au Kazakhstan sous un pseudonyme, personne ne sait qui il
est vraiment.
Il n’a que de maigres rations et sa santé se détériore.
C’est pourtant là qu’il compose ses dernières œuvres : les
symphonies « Libération de la nation » (《民族解放交响曲》)
et « La guerre sacrée » (《神圣之战》),
ainsi que la suite « Le fleuve tout entier teinté de rouge »
(《满江红》)
et la « Rhapsodie chinoise » (《中国狂想曲》)
pour vents et cordes.
La rhapsodie chinoise
En 1944, il monte un orchestre à Kostanay, dans le nord du
Kazakhstan, et organise des concerts. Au printemps de 1945,
pendant un concert dans une région montagneuse, il attrape
une pneumonie. Il faudra trois mois pour le faire transférer
dans un bon hôpital de Moscou, mais il y arrivera trop tard.
La tombe de Xian
Xinghai
Il meurt de tuberculose pulmonaire à Moscou le 30
octobre 1945, à l’âge de quarante ans. Il a été
enterré dans un cimetière de la banlieue moscovite,
puis, en 1983, sa famille a réussi à faire
transférer ses cendres à Canton.
Personnage à la fois cosmopolite dans sa formation
artistique et engagé dans un radicalisme politique
de gauche, Xian Xinghai est un personnage complexe
qui frappe par ses ambiguïtés. Mais tout a été fait
pour gommer son héritage occidental
(de musique « bourgeoise ») et mettre l’accent sur sa
musique et son engagement révolutionnaires. C’est ce qu’a
fait en particulier son disciple et biographe, le
compositeur Ma Ke (马可).
Et c’est ce qu’ont fait, aussi, les films qui lui sont
consacrés.
Vivian Hsu et Su
Jiahang dans The Star and the Sea
Coréalisé par Li Qiankuan (李前宽)
et Xiao Guiyun (肖桂云),
le film conte l’enfance difficile du compositeur et
les efforts déployés par sa mère pour qu’il puisse
développer ses talents musicaux.
La mère est interprétée par l’actrice taïwanaise
Vivian Hsu (徐若瑄).
C’est un mélo édifiant, dans la grande
The Star and the Sea
lignée des films dits « de la
mélodie principale » (zhuxuanlü
主旋律电影),
qui ont aujourd’hui la caractéristique supplémentaire
d’avoir de très belles images : c’est le cas de celui-ci.
En 2011, le film a remporté le prix Huabiao (华表奖)
dans la catégorie des films pour enfants ; le jeune acteur
Su Jiahang (苏嘉航)
qui interprète le futur compositeur à l’âge de huit ans a
obtenu le prix d’interprétation.
-
2019 : The Composer
(《音乐家》)
L’idée de ce nouveau film, centré sur un épisode peu
connu de la vie du compositeur, a été inspirée au
producteur exécutif du film, Shen Jian (沈健)
[5],
par le discours du président Xi Jinping à
l’université Nazarbayev au Kazakhstan, en 2013 : le
président chinois a évoqué les difficultés
rencontrées par Xian Xinghai alors qu’il était seul
à Alma Ata, et le réconfort qu’il avait trouvé
auprès du musicien Bakhytzhan Baikadamovet
de sa famille. Intrigué, Shen Jian s’est alors lancé
dans des recherches sur cet épisode inconnu de la
vie du compositeur.
Le scénario conte la vie du compositeur sous un
angle bien particulier, à travers son regard de
père. En effet, pendant son séjour au
Kazakhstan, il a été très proche de la nièce de
Baikadamov, Kalamkas Arislanova, qu’il a considérée
comme sa propre fille. Il lui a donné tout l’amour
qu’il n’a pu donner à sa propre fille, Nina, qui
n’avait que huit mois
The Composer, affiche
avec Hu Jun
quand il a quitté la Chine, et qu’il n’a jamais revue car il
est mort avant de pouvoir revenir chez lui.
La fille du
compositeur (en bleu) avec son homologue
kazakhe à
l’avant-première du film ) Pékin
Lors de la
première du film à Pékin, les deux femmes étaient
présentes : le film les a réunies. Arislanova a pu
raconter à Nina la vie d’un père qu’elle n’a jamais
connu. Xian Xinghai y a gagné un visage humain,
derrière l’image officielle du compositeur. En
outre, le film montre qu’il a été aussi été inspiré
par la musique kazakhe pour ses compositions de la
période ; sa symphonie « Amangeldy », par exemple,
est inspiré des exploits d’un héros national
kazakhe, Amangeldy Imanov
[6].
D’un autre côté, le film est à replacer dans le
contexte du mirifique projet de Route de la
soie promu par Xi Jinping, qui finit par être le thème
fondamental des projets culturels en cours en Chine – ne
serait-ce que parce qu’ils bénéficient de budgets
conséquents dans ce cadre. L’intention est claire :
promouvoir les liens entre le Kazakhstan et la Chine. Il
faut dire que l’idée de départ est formidable, sachant que
la fille de Xian Xinghai est toujours vivante, ainsi que
Kalamkas Arislanova, si bien que les liens sont incarnés par
des personnages de chair et de sang, invités lors de la
promotion du film.
Il a demandé cinq ans de préparation et a été tourné en
Chine, au Kazakhstan et en Russie, par une équipe
multinationale, nécessitant des traductions croisées du
storyboard. Le réalisateur, Xierzhati Yahefu (西尔扎提.牙合甫),
est un cinéaste chinois, d’origine kazakhe, qui travaille au
studio du Xinjiang
[7].
Les deux principaux rôles de Xian Xinghai et de son épouse
sont tenus par des interprètes chinois : le grand acteur
Hu
Jun (胡军)
et l’actrice Yuan Quan (袁泉).
L’équipe du “Composer”
au festival de Pékin
(les deux acteurs à g. et le producteur Shen Jian à
dr.)
« The Composer » a été le film d’ouverture du 9e
festival international du cinéma de Pékin (北京国际电影节)
en avril 2019.
Trailer
Bibliographie
Pianos and Politics in China: Middle-Class Ambitions and the
Struggle over Western Music, de Richard Curt Kraus, Oxford
University Press, 1989.
Chap. 2 : The Ambiguous Legacy of Xian Xinghai, pp. 40-69.
[1]C’est
ce qu’indiquent les biographies chinoises. Mais la
date de naissance figurant sur ses papiers pour son
inscription au Conservatoire de Paris ainsi que
celle gravée sur sa tombe en Russie est 1909.
Selon Richard Kurt Kraus, Pianos and Politics in
China, note 2 p. 225.
Cf Bibliographie.
[2]
Une croyance bien ancrée dans les esprits voulait
que les bateliers aient été des traîtres condamnés à
vivre sur l’eau par un empereur des Song. Ils
étaient assimilés à des criminels, mis au ban de la
société, les femmes étant souvent réduites à la
prostitution.
[3]
Sheng Shicai était gouverneur
militaire du Xinjiang depuis 1933, et gérait la
région en étroite coopération avec l’Union
soviétique. En 1942, ensuite, il s’est rapproché du
Guomingdang.
[4]
Le titre anglais est la traduction littérale des
deux caractères du prénom du compositeur qui forment
le titre chinois. Titre alternatif : The Young
Xinghai.
[5]
Fondateur de la société pékinoise de
production Shinework Pictures spécialisée dans les
coproductions avec l’étranger.
[6]
Amangeldy (1873-1919)
est célèbre pour
avoir mené une révolte « de
libération nationale » contre le tsar en 1916 et a
aidé à établir le pouvoir des soviets dans sa région
de Turgay. Il a été arrêté et exécuté par des
membres de la Horde blanche qui ont éliminé les
bolsheviks de la zone.
[7]
En 2012, il a coréalisé une
stupéfiante coproduction sino-nord-coréenne : Meet
in Pyongyang.