« Fire on the Plain » : premier film de Zhang Ji adapté
d’une nouvelle de Shuang Xuetao
par
Brigitte Duzan, 9 novembre 2021
Sorti
en première mondiale en septembre 2021 au festival de San
Sebastian, le film « Fire on the Plain » (《平原上的火焰》)
est adapté de l’une des nouvelles les plus célèbres du jeune
romancier Shuang
Xuetao (双雪涛) :
« Moïse dans la plaine » (《平原上的摩西》),
initialement publiée dans le 2ème numéro de 2015
de la revue littéraire Shouhuo (《收获》).
C’est en même temps le premier film du réalisateur Zhang Ji
(张骥).
Une histoire de neige et de feu
Le
scénario reprend le fil narratif de la nouvelle de Shuang
Xuetao, spécialiste de récits où affleurent des touches de
fantasy qui créent un climat inquiétant, dans une atmosphère
glacée typique des hivers du Dongbei d’où vient le jeune
écrivain. Zhang Ji a conservé l’ambiance délétère de ces
paysages de neige en en faisant le cadre d’un mélodrame qui
se joue entre deux jeunes animés par le même désir
d’évasion.
Fire on the Plain
La
nouvelle déroulait une narration complexe en flashbacks
récurrents ; le scénario a simplifié l’histoire en optant
pour une structure plus linéaire, simplement scindée en deux
autour d’une faille de huit ans. Le récit commence pendant
l’hiver 1997. Il fait un temps glacial, les usines ferment,
et un tueur fait des ravages dans la population des
chauffeurs de taxi.
Le réalisateur Zhang
Ji
Dans
ce contexte lugubre, et alors que son père, employé modèle,
vient de perdre son emploi sans espoir d’en trouver un
autre, la jeune Li Fei (李斐)
rêve de partir dans l’eldorado du sud, Shenzhen ou Canton,
pour tenter d’échapper au même sort. Afin d’améliorer ses
chances de réussite, elle prend des leçons chez un voisin,
un corrompu qui a déjà acheté les machines de l’usine ainsi
qu’un appartement en dehors des bâtiments collectifs. Son
fils Zhang Shu (庄树),
qui traîne avec une bande de bons à rien, finit par
s’éprendre d’elle. Mais il est recruté par le détective qui
enquête sur l’assassinat des chauffeur de taxi et se fait
passer pour un chauffeur afin d’attirer le tueur… mais tout
ne se passe pas comme prévu, avec un dénouement inattendu
sous la neige la veille de Noël. Le film aurait pu s’arrêter
là.
Mais,
si les meurtres ont cessé, le tueur n’a pas été arrêté. Le
dossier est rouvert huit ans plus tard. Li Fei et Zhang Shu
sont toujours dans la ville, mais leurs vies ont divergé.
Lui est devenu policier et elle est à la dérive. C’est alors
que l’affaire du meurtre les rapproche de nouveau. Mais
l’histoire devient aussi moins claire, tandis que le
suspense se nourrit de la relation magnétique qui unit les
deux jeunes gens. Il est devenu bien plus difficile de rêver
à un avenir plus rose quand la réalité autour d’eux est plus
sombre que jamais : aux problèmes de chômage se sont ajoutés
la drogue, les suicides, la misère affective, et la
criminalité. Il y a en contrepoint la question plus vaste
des conséquences désastreuses sur la vie des gens des
changements brutaux de ligne politique, et des choix
possibles, ou nécessaires, dans ces conditions.
Cette
deuxième partie est d’une tonalité différente de la
première, entraînant un léger déséquilibre que tente de
compenser l’histoire d’amour frustré entre les deux
personnages centraux qui fait le lien entre les deux. Le
récit de Shuang Xuetao évitait cette structure binaire en
pratiquant des allers retours récurrents entre passé et
présent. Le parti-pris de linéarité du film a nécessité une
autre solution, qui passe par l’alchimie entre les deux
interprètes principaux, soutenant un aspect mélodramatique
qui rapproche le film d’une grande tradition du cinéma
chinois.
Un bon film noir
Pour
un premier film, il est certainement prometteur. Zhang Ji
n’est cependant pas un débutant ; il a commencé comme
directeur de la photographie, et il a été entre autres en
2014 le chef opérateur du film de
Zhang Bingjian (张秉坚)
« North by Northeast » (《东北偏北》),
qui n’est pas sans points communs
Affiche pour la sortie
du film en Chine
avec
« Fire on the Plain », à commencer par l’intrigue : le film
se passe à la fin des années 1970 alors qu’un policer tente
de mettre la main sur un violeur (avec l’aide d’un praticien
de médecine chinoise traditionnelle).
« Fire
on the Plain » rappelle surtout l’atmosphère et même la
facture des films de Diao
Yinan (刁亦男)
qui a lancé la vogue du film noir en Chine avec « Black
Coal, Thin Ice » (《白日焰火》)
en 2014. On n’est pas étonné que son nom apparaisse au
générique comme producteur délégué (executive producer). On
peut presque y voir une sorte de marque de fabrique.
Mais
Shuang Xuetao a également été le directeur artistique du
film. L’évocation de l’usine à bout de souffle à la fin des
années 1990, les images de rues misérables marquées par des
années de négligence étatique autant que par la crise
financière imminente, tout cela fait partie du monde de
l’écrivain, le monde de sa jeunesse, et en tire une
authenticité indéniable.
Zhou Dongyu dans le
rôle de Li Fei
Le fim
s’appuie sur les deux interprètes principaux dont le
magnétisme est certain. Ce sont déjà des stars : Zhou Dongyu
(周冬雨)
dans le rôle de Li Fei, double rôle, pourrait-on dire, tant
il évolue de la première à la deuxième partie, et Liu
Haoran (刘昊然)
dans celui de Zhang Shu. Mais il y a aussi des acteurs
confirmés : l’actrice Mei Ting (梅婷),
Lü
Yulai (吕聿来),
Wang
Xuebing (王学兵)
qui jouait dans « Black
Coal, Thin Ice » etc.
La
musique des frères Evgueni et Sacha Galperine [1]
contribue à l’ambiance en déstabilisant un peu plus le
spectateur comme Hitchcock jouait avec ses nerfs.
Zhou Dongyu et Liu
Haoran
Dans
un contexte où l’on voit sortir bien peu de films chinois de
qualité, « Fire on the Plain » se détache agréablement de la
production ambiante. Cependant, s’il participe de la vogue
du film noir en Chine qui s’est intensifiée ces dernières
années, il ne s’y distingue pas particulièrement par son
originalité ; son scénario comme son esthétique en
rappellent d’autres ; outre « North by Northeast », on pense
en particulier à « Une
pluie sans fin » (《暴雪将至》)
ou « The Looming Storm » de Dong
Yue (董越),
un film qui mériterait d’être bien plus connu : sorti en
2017, il marchait déjà sur les traces de Diao
Yinan (刁亦男),
avec un autre histoire de tueur en goguette dans une ville
frappée de déprime dans l’atmosphère lourde de la fin des
années 1990, avec, là aussi, une tempête de neige pour
alourdir encore l’atmosphère.
Il
tend surtout un peu trop au mélodrame, avec un œil bien sûr
sur le public chinois, et le box-office. L’affiche pour la
sortie en Chine, pour les fêtes de Noël 2021, en fait foi.
Fire on the Plain, trailer
[1]
Et c’est presque un retour aux sources quand on
pense que parmi leurs premières musiques de films
figurent celles pour « The Warrior and the Wolf » (《狼灾记》)
de
Tian Zhuangzhuang
(田壮壮)
et pour « Lan»
(《兰》)
de Jiang Wenli (蒋雯丽),
tous deux en 2009.