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Repères historiques : cinéma de Hong Kong

VIII. Années 2010-2020 : manifestations et loi de sécurité nationale

par Brigitte Duzan, 2 décembre 2023

 

Les années 2010 commencent dans un contexte de tension croissante. À partir de 2014, Hong Kong entre dans une période de manifestations contre la progressive érosion des libertés pourtant garanties par le pouvoir chinois au moment de la Rétrocession.

 

Une nouvelle génération de jeunes cinéastes s’engagent aux côtés des manifestants pour réaliser des documentaires destinés à fixer pour la postérité les luttes pour la préservation des lois et des libertés qui perpétuent celles de leurs prédécesseurs. C’est le cas en particulier de Chan Tze Woon (陈梓桓), et de ses deux documentaires : « Yellowing » () tourné caméra au poing dans les rues de Hong Kong lors des manifestations de 2014, et « Blue Island » (《忧郁之岛》) qui en est la suite, sur les manifestations de 2019-2020, jusqu’à l’adoption, le 30 juin 2020, de la loi de sécurité nationale qui signale la reprise en main brutale de Hong Kong par le pouvoir de Pékin.

 

2014 : le mouvement des parapluies jaunes

 

Les manifestations

 

L’élection au suffrage universel du chef de l’exécutif de Hong Kong avait été prévue par la loi à portée constitutionnelle entrée en vigueur le jour de la rétrocession, le 1er juillet 1997. Or, en août 2014, les autorités chinoises ont annoncé que les candidats seraient préalablement sélectionnés par un comité de 1 200 personnes ; mais en pratique il s’agirait uniquement de deux ou trois « patriotes » faisant allégeance à la ligne politique de Pékin. Cette annonce entraîne un mouvement de désobéissance civile visant à paralyser le centre de Hong Kong, d’où le nom du collectif : Occupy Central (佔領中環) [1].

 

 

La Révolution des parapluies, manifestation de nuit le 10 octobre 2014

 

 

Le 10 septembre, le cardinal Zen, évêque émérite de Hong Kong, signe un éditorial dans le journal Asia News incitant à résister « pour ne pas devenir des esclaves ». Dans la semaine du 22 septembre, des étudiants commencent à manifester devant le siège du gouvernement. Dans la nuit du 26 septembre, les manifestants occupent les principales artères de Hong Kong. La police arrête les leaders étudiants, dont Joshua Wong et Alex Chow. Le 27 septembre, la foule des manifestants investit Civic Square. Une véritable marée humaine se répand dans les rues. Le lendemain, la police tente de disperser la foule avec des gaz lacrymogènes. Cela ne fait que renforcer le mouvement qui va occuper les artères principales pendant près de six semaines.

 

Fin septembre, ces manifestations ont pris le nom de « révolution des parapluies » (雨傘革命) en raison de l’utilisation de parapluies par les manifestants pour se protéger des gaz lacrymogènes – parapluies jaunes devenus symbole du mouvement. Le 2 octobre, les manifestants exigent la démission du chef de l’exécutif de Hong Kong, Leung Chun-ying, soutenu par la Chine. Le lendemain, les triades interviennent avec violence contre les manifestants dans le quartier de Mong-Kok. Mais les manifestations se poursuivent.

 

Le projet de loi est finalement rejeté le 18 juin 2015 par le Conseil de Hong Kong. Mais il a érodé la confiance de la population.

 

Jusque-là, tout le monde à Hong Kong croyait en la constitution, croyait que les lois et les libertés fondamentales pourraient être préservées. À partir de 2014, tout a changé : Pékin montrait clairement qu’il se souciait comme d’une guigne des textes que lui-même avait signés. Les Hongkongais ont dès lors cherché des moyens plus radicaux de lutter pour la démocratie. Les documentaires sur la situation se sont multipliés. C’est un tournant dans le travail des jeunes cinéastes : leurs films deviennent un engagement direct.
 

Les films

 

Le film qui a le plus de succès à Hong Kong à la suite de ces manifestations est un film d’anticipation sorti en 2015 : « Ten Years » (十年). Traduisant l’état d’esprit de la population de Hong Kong face à l’érosion progressive de ses libertés et de ses droits, le film a battu des records d’audience, battant même le dernier « Star Wars » au box-office et couronné meilleur film aux 35e Hong Kong Film Awards en avril 2016. Constitué de cinq courts métrages de cinq jeunes réalisateurs, « Ten Years » envisage la lente érosion des libertés à Hong Kong dans les dix années à venir, y compris la progressive imposition du mandarin dans la vie quotidienne aux dépens du cantonais.

 

 

Dix ans, affiche officielle

 

 

Le prix décerné aux Hong Kong Film Awards a déclenché une réaction violente des autorités chinoises ; le Global Times – porte-parole du Parti communiste – l’a qualifié de « virus pour l’esprit » et « Ten Years » a disparu des écrans. Révélant la persistance de la combattivité de la population, et des jeunes en particulier, il a entraîné en outre un raidissement des contrôles de censure dont a également pâti « Yellowing » qui, sorti sur ces entrefaites, n’a pas trouvé de cinéma désireux de l’accueillir. Les deux films ont été projetés dans des lieux publics grâce à divers groupes et institutions, dont les églises, mais interdits à la télévision ou sur internet.

 

Les manifestations de 2019-2020

 

Les manifestation de 2014 peuvent être considérées comme une sorte de répétition générale de celles qui vont se dérouler en 2019 et durer jusqu’à l’imposition de la loi de sécurité nationale par le gouvernement de Pékin le 30 juin 2020, loi qui met fin au régime de semi-liberté dont jouissait Hong Kong depuis la Rétrocession.

 

Manifestations massives

 

Les manifestations sont déclenchées par l’introduction en février 2019 d’un amendement à la loi d’extradition qui mettait en danger l’indépendance du système juridique de Hong Kong, garanti par Pékin lors de la rétrocession en 1997, en menaçant la sécurité personnelle des habitants aussi bien que des étrangers. Le ressentiment contre le gouvernement chinois et la méfiance envers ses méthodes répressives s’est accru dans les années 2010 après l’échec relatif  des manifestations de 2014, l’affaire des « libraires disparus » en 2016, la destitution la même année par Pékin de six députés d’opposition qui venaient de prêter serment et l’emprisonnement de plusieurs militants prodémocratie en 2017. Les empiètements progressifs du régime de Pékin sur les libertés locales, dans le domaine de la langue et de la culture en particulier, n’ont fait qu’exacerber une crise identitaire latente, surtout chez les jeunes touchés en outre par la précarité croissante des conditions de vie et de travail.

 

Les manifestations de 2014 ont contribué à créer une nouvelle génération d’activistes nourrie des leçons du passé. Les premières manifestations après l’introduction du projet d’amendement en février 2019 sont suivies le 15 mars d’un sit-in devant le gouvernement central. Neuf personnes sont arrêtées par la police.  Le 31 mars, une première manifestation est organisée par le Front civil des droits de l’homme, suivie d’une deuxième, de plus de quatre heures, le 28 avril, la plus importante depuis 2014. La cheffe de l’exécutif Carrie Lam (qui a succédé à Leung Chun-ying le 1er juillet 2017) ne cède pas. Le 6 juin, plus de 3 000 avocats participent à une marche silencieuse, vêtus de noir, derrière le conseiller législatif Dennis Kwok.

 

Le 9 juin, une troisième manifestation est organisée par le Front civil : c’est la plus importante depuis la Rétrocession, avec plus d’un million de participants – participation massive reconnue par le gouvernement de Hong Kong le soir, mais sans modifier la deuxième lecture prévue du projet d’amendement. Des manifestants en colère décident d’occuper le conseil législatif pour tenter de l’empêcher, entraînant une intervention musclée de la police. La plupart des manifestants sont des jeunes (de moins de 25 ans).

 

Le 12 juin, plus de 400 entreprises appellent à la grève. Une manifestation a lieu au parc Tamar dans la nuit ; au matin du 13 juin, les manifestants bloquent les rues autour du conseil législatif pour empêcher les conseillers d’y entrer ; certains tentent d’occuper le bâtiment. La police réplique avec gaz lacrymogène, gaz poivre, balles en caoutchouc, etc. et procède à des arrestations.  Le soir du 13, 4 étudiants sont appréhendés à l’Université de Hong Kong.

 

 

Occupation des rues autour du Conseil législatif le 13 juin 2019

 

 

Le 14 juin, lors d’une conférence de presse, Carrie Lam se présente comme mère des Hongkongais, provoquant un rassemblement des « mères hongkongaises ». Le 15 juin, elle annonce que le projet d’amendement était suspendu, mais non retiré, d’où une quatrième manifestation organisée par le Front civil : plus de deux millions de participants, avec un taux de participation supérieur à celui de 1989 en solidarité avec les manifestations de la place Tian’anmen. La manifestation se poursuivant, le complexe gouvernemental est obligé de fermer le 17 juin, jusqu’au lendemain.

 

Le gouvernement ne répondant pas aux demandes, une autre manifestation a lieu le 21 juin, ciblant le quartier général de la police et les édifices gouvernementaux, suivie d’autres jusqu’au 1er juillet et le défilé de commémoration du 22ème anniversaire de la rétrocession, avec pour thème : « Non à l’amendement de la loi d’extradition, départ immédiat de Carrie Lam » (撤回惡法 林鄭下台). Mais les débats se poursuivent pendant ce temps au conseil législatif, entraînant des rassemblements de protestation devant les bâtiments, puis un véritable siège, une tentative de pénétrer dans le complexe en brisant les vitres, et l’occupation temporaire de l’hémicycle. Des manifestations se poursuivent pendant les mois de juillet, août et même septembre, culminant le 30 août avec l’arrestation des militants pro-démocrates Joshua Wong et Agnes Chow, lui dans la rue, elle à son domicile.

 

On est en pleine épidémie de covid-19. Or, début octobre, Carrie Lam décrète l’interdiction du port du masque lors des manifestations, interdiction déclarée anticonstitutionnelle fin octobre par la Haute Cour de Hong Kong. Le mouvement se poursuit, avec un durcissement des violences. Plusieurs universités et établissements scolaires ferment. Le 15 novembre, le campus de l’Université chinoise de Hong Kong est évacué. Les étudiants se retranchent dans l’Université polytechnique ; les affrontements sont violents, les protestataires dressent des barricades, l’université se transforme en camp retranché.

 

Le 24 novembre ont lieu des élections locales qui se terminent par une large victoire des pro-démocrates avec un taux de participation élevé, après quoi les manifestants réitèrent leurs revendications, dont l’instauration du suffrage universel. Carrie Lam refuse toujours toute concession et les médias chinois mettent en question la légitimité du scrutin, pour cause de manœuvres d’intimidation. En décembre, les manifestations reprennent.

 

C’est finalement la pandémie de covid-19 qui a permis, indirectement, au gouvernement chinois de reprendre la situation en main.

 

La loi sur la Sécurité nationale

 

Le 30 juin, après un processus d’examen accéléré, le Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire chinoise adopte la Loi sur la Sécurité nationale – littéralement « Loi de la République populaire de Chine sur la sauvegarde de la sécurité nationale dans la région administrative de Hong Kong » (中华人民共和国香港特别行政区维护国家安全法) – loi qui doit ensuite être incorporée à la Loi fondamentale de Hong Kong. Cette loi est promulguée par le Comité permanent de l’ANP au lieu du Conseil législatif de Hong Kong qui aurait dû le faire selon les termes de la Loi fondamentale de Hong Kong. Le caractère de plus en plus restrictif de la législation sur la sécurité nationale en Chine, appliquée à partir de 1993, est très net depuis l’instauration par le président Xi Jinping, peu après son arrivée au pouvoir, d’une commission de sécurité nationale qu’il dirige en personne et vise à écraser la dissidence.

 

L’adoption de la loi provoque un choc. Elle montre la volonté de Pékin de mettre fin au statut privilégié dont bénéficiait Hong Kong selon les termes de la Rétrocession, et à la liberté, même relative, dont jouissaient ainsi les Hongkongais.

 

Une manifestation est organisée le 1er juillet, jour d’entrée en vigueur de la loi : 300 manifestants sont arrêtés. Les arrestations se poursuivent par la suite, tout rassemblement pouvant être considéré comme mettant en danger la sécurité nationale, y compris les manifestations pacifiques sur les campus universitaires. Ainsi, le 17 novembre, lors d’une manifestation d’une centaine de personnes sur le campus de l’Université chinoise de Hong Kong, la police intervient et arrête huit personnes, dont trois étudiants.

 

Début 2021, non seulement des activistes prodémocratie mais aussi pro-LGBT sont accusés de subversion et arrêtés. En juillet 2021, c’est au tour des médias d’être visés sous couvert de « fake news » et de désinformation.

 

Les Hongkongais répliquent en émigrant, comme le suggèrent en demi-teinte les textes de Leung Lee-chi (梁莉姿) intitulés « Pièces vides » (空室》) [2], présentés ainsi par l’auteure dans sa note introductive :

1968年,劉以鬯寫下動亂》,以十四件死物視角切入,書寫六七暴動中的紛亂現場,各死物間,似乎多是無措無知,對動亂緣由一無所知;2020年年末,威權時代逼近,我寫下空室》回應原作。願所有離開的人都記得一切背負,是為記。

En 1968, Liu Yichang a écrit « Troubles », une série de textes dans lesquels il évoque le chaos des émeutes de 1967en se plaçant du point de vue de quatorze objets inanimés, tous dans le plus grand désarroi car incapables de comprendre les causes des désordres [3] ; à la fin de 2020, voyant approcher une ère d’autoritarisme, j’ai écrit « Pièces vides » en écho à l’œuvre originale de Liu Yichang. J’espère rappeler ainsi ce que nous avons subi à tous ceux et celles qui seront amené.es à partir, afin que ce ne soit pas oublié.

 

C’est cette même volonté de relier les manifestations de 2019-2020 aux luttes antérieures, en remontant jusqu’aux émeutes de 1967, qui constitue le fil directeur du scénario du film de Chan Tze Woon (陈梓桓), « Blue Island » (《忧郁之岛》), entre documentaire et fiction.

 


 

[1] Occupation pacifique, le nom du collectif est plus précisément Occupy Central with Love and Peace (讓愛與和平佔領中環).

[2] Traduits pour le hors-série n° 5 de Jentayu consacré à la littérature de Hong Kong.

[3] Entre mai et décembre 1967, des émeutes ont fait 51 morts et plus de 800 blessés à Hong Kong, alors encore sous administration britannique. On n’a toujours pas élucidé les causes des troubles : révolte ouvrière face aux injustices sociales ou tentative de renverser l’administration coloniale de la part de groupuscules chinois alors que la Chine était en pleine Révolution culturelle, sans doute les deux. Tout a commencé en mai par une grève dans une fabrique de fleurs en plastique, faisant suite, l’année précédente, à des manifestations contre l’augmentation du prix du ferry, les émeutiers étant soutenus par Pékin,

Voir l’article du 22 juin 2017 de la correspondante du Monde Florence de Changy : 

https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/22/les-emeutes-de-1967-divisent-toujours-hongkong_5149655_3232.html

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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