|
The Non-Han
in Socialist Cinema and Contemporary Films in the People’s
Republic of China
Vanessa Frangville, China Perspectives, n° 2012/2, pp.
61-69
Ce long article de Vanessa Frangville reprend en le
synthétisant et en l’actualisant le sujet de sa thèse
postdoctorale soutenue en 2009 à l’Institut des Etudes
Transtextuelles et Transculturelles (IETT) de l’Université
de Lyon Jean Moulin.
Il part de la constatation du renouveau d’intérêt manifesté
par les autorités chinoises envers les films socialistes
« des non Han » depuis le début des années 2000, tel qu’il
apparaît à travers diverses initiatives :
- Ouverture du
Musée du film rural
(村电影历史博物馆)
de Dali, au Yunnan, en avril 2011, dédié aux films dits « de
minorités » (少数民族片)
réalisés entre 1950 et 1980, mais consacré en fait à la
glorification du passé révolutionnaire reposant en partie
sur des thèmes narratifs non han ;
- Réédition de « films rouges » (红色电影)
et « vieux classiques » (老电影经典)
qui rendent hommage à la solidarité entre minorités et Han
pendant les combats révolutionnaires ou mêlent histoires
d’amour romantiques et lutte des classes en zones non han ;
- Production d’une cinquantaine de nouveaux films entre 2000
et 2007, soutenue par la recherche, et soulignant le besoin
de préservation culturelle.
L’auteur distingue trois périodes dans l’évolution
historique de la représentation des non-Han au cinéma :
- 1950-66 (les « 17 ans »),
- L’ère des réformes (années 1980),
- Les années 1990 jusqu’à aujourd’hui.
Elle procède ensuite à l’analyse de ces représentations au
cours des trois périodes.
1. Les non-Han dans le cinéma des « 17 ans » : vers des
sujets socialistes
Le genre cinématographique de films « de minorités » (少数民族片)
a été créé au début des années 1950, parallèlement à
la nationalisation des studios et au lancement du projet de
classification ethnique. Le genre se définit par une action
située dans un contexte non han, comprenant des aspects de
la vie quotidienne, mais aussi des contes et légendes.
Une cinquantaine de films ainsi définis et devenus
des classiques ont été réalisés entre 1950 et 1965,
dont une trentaine entre 1956 et 1965, représentant près de
6 % de la production cinématographique nationale.
- entre 1950 et 1956, les films de minorités entrent
dans la catégorie des « films de guerre », avec pour
but de chanter le courage des non-Han et leur solidarité
envers les Han dans les combats aux frontières stratégiques
du pays (Mongolie, Xinjiang, etc…) ;
- après 1956 et le Mouvement des 100 Fleurs, le genre
fut étendu aux films de fiction (故事片),
films musicaux (歌唱片)
et films sur l’environnement (风光片).
Comme la plupart des films de l’époque, ils avaient pour
objectif de promouvoir « l’esprit socialiste » en incluant
des groupes en marge de la société chinoise et du territoire
national ; ils ont contribué à la stabilisation des divers
groupes sociaux, han et non han, et à la définition d’une
identité nationale alors qu’était encouragée la migration
des populations han vers les zones frontalières. Ces films
devaient diffuser l’image de minorités accueillantes tout en
informant sur leurs particularités culturelles.
Cependant, à part quelques acteurs et techniciens dans les
studios régionaux, l’industrie cinématographique était aux
mains de Han, et ces représentations étaient donc filtrées
par « le prisme urbain, éduqué et masculin » des Han, tout
comme le public était majoritairement han. Les films étaient
réalisés ou doublés en mandarin.
Par ailleurs, si les Han apparaissent dans ces films comme
géographiquement et culturellement homogènes, les non Han,
eux, sont représentés comme attachés à un territoire
déterminé et des pratiques culturelles spécifiques. Les
représentations des non Han dans le cinéma socialiste de
cette
époque sont ainsi construites en opposition
binaire à celle des Han, les non Han étant
caractérisés par des traits négatifs (retard,
fragilité, faiblesse, etc…), selon une hiérarchie
stéréotypée plaçant les Han en position de
guides et protecteurs, et soulignant la loyauté
indéfectible des non Han à leurs « grands frères ».
Exemples-types :
- « La caravane » (《山间铃响马帮来》)
de Wang Weiyi (王为一),
sur un scénario de Bai Hua (白桦),
1954 : au Yunnan, un groupe de |
|
La caravane |
soldats de l’armée de Libération protège des villages Hani
et Miao d’attaques ennemies et patrouille la frontière ;
une caravane de vivres et de sel envoyée par le gouvernement
est détournée par des traîtres
nationalistes tandis qu’une histoire d’amour se développe
entre le chef des gardes frontaliers et une
jeune fille Miao.
- Ce genre d’intrigue incorporant une histoire
d’amour se retrouve dans bon nombre de ces films,
dont « Visitors on the Ice Mountain » (《冰山上的来客》)
de Zhao Xinshui (赵心水),
1963, en pays Ouigour, ou « Five Golden Flowers »
(《五朵金花》)
de Wang Jiayi (王家乙),
1959, dont le héros est un jeune Bai de la région de
Dali.
- Vanessa Frangville cite aussi « Eagles of the
Steppe », ou « Eagles on the Grassland » (《草原雄鹰》)
de Ling Zifeng (凌子风),
1964, histoire de deux vétérinaires kazakh revenu
chez eux, au Xinjiang, après avoir terminé leurs
études dans la capitale » … |
|
Visitors on Ice
Mountain |
Vanessa Frangville souligne que ces films présentent un
caractère d’étrangeté aux yeux d’un spectateur dont il
s’agit de satisfaire la curiosité, avec un certain nombre
d’éléments récurrents qui peuvent être schématisés comme
suit :
- paysages lointains et sauvages formant dès
l’abord un cadre soulignant la marginalité des non
Han, identifiés à leur environnement ;
- caractère primitif de ces populations
illustré par leur proximité du monde animal et une
sensibilité exprimée par des chants et danses,
opposée au sérieux de leurs frères han ; l’auteur
insiste sur la propension à déclarer sa flamme en
chansons ;
- personnages féminins presque uniquement incarnés
par des femmes non han dont l’émancipation
symbolise la marche vers la prospérité et la
modernité apportées par le socialisme ;
- personnages masculins non han apportant une aide
appréciable à l’armée de Libération dans sa
progression périlleuse en territoire inconnu, mais
n’entrant jamais en concurrence avec les Han, leur
infériorité naturelle étant soulignée par
leur petite taille ; |
|
Eagles on the
Grassland |
- les Han sont par ailleurs présentés comme asexués,
la différence étant très nette, par exemple, entre le
personnage très féminisé de Jinhua dans « Five Golden
Flowers » et celui de Qinghua (清华)
dans
« Le détachement féminin rouge » (《红色娘子军》)
de Xie Jin (谢晋),
1961 ;
- Vanessa Frangville souligne enfin l’absence, dans
nombre de cas, d’au moins un parent des personnages
non-Han, situation familiale posant les Han en
substituts de chefs de famille et éducateurs.
La minorité incarne ainsi l’image de l’autre
venant renforcer le sentiment identitaire han. Mais
les non Han, dans les films de la période, sont
aussi conformes au modèle national et les
différences estompées afin de faire ressortir
|
|
Jinhua dans « Five
Golden Flowers » |
l’unité nationale. Ces films sur les minorités « imposent
une vision standardisée des membres de la nation chinoise. »
Ils contribuent à « créer des relations de pouvoir qui
soulignent l’autorité "naturelle" et "historique" des Han
sur les non-Han ».
2. Les non-Han dans le cinéma contemporain :
retournement des stéréotypes
Les années
2000 ont été marquées par un regain de popularité
des films de minorité ; après un certain déclin
pendant les années postérieures à la réforme, un
nouvel essor du genre a même été favorisé par des
mesures spécifiques, aide financière à la production
et promotion dans les festivals, dans le cadre de la
« stratégie culturelle » visant à développer
« l’industrie du cinéma chinois », afin de
promouvoir la diversité et « concurrencer
Hollywood ». Le second festival international de
Pékin, en avril 2012, a ainsi accordé une place
privilégiée à ces films dans son programme.
Vanessa
Frangville note que ce nouvel essor se présente
cependant avec des caractéristiques différentes qui
tiennent |
|
Qinghua dans « Le
détachement
féminin rouge »
|
au contexte
économique, social et politique : développement économique
accéléré au détriment de l’environnement et des populations
pauvres et marginales, modification de la question
identitaire dans un contexte plus globalisé.
Les films récents,
dit-elle, inversent donc les stéréotypes antérieurs, sous
deux aspects principaux :
a) les non Han
continuent à être représentés dans des contrées reculées et
sous-développées, mais ce caractère n’a plus la même
connotation négative, nécessitant une action corrective :
ils sont au contraire présentés comme des modèles pour les
Han qui ont, eux, perdu leur « intégrité primitive » et sont
aliénés par une sur-modernisation. Le monde non han apparaît
dans ce contexte comme un paradis perdu.
b) par ailleurs,
ce n’est plus le socialisme qui est appelé à résoudre les
problèmes de la différence entre Han et non Han, celle-ci se
résout pour ainsi dire d’elle-même dans une histoire
commune et un héritage national, une âme
nationale léguée par la Chine ancestrale. La promotion de la
« société harmonieuse » est ainsi le souci commun.
Mais la
rupture des stéréotypes antérieurs, socialistes, est
en fait fondatrice de nouveaux mythes qui placent le
Han de nouveau en position dominante. Le monde non
han sert de médiateur pour permettre au Han de se
forger une nouvelle identité, puis disparaît lorsque
celle-ci est achevée.
Diminué,
affaibli par la vie urbaine moderne, le Han émerge
encore plus fort de cette expérience qui l’arme
d’une nouvelle spiritualité.
Exemples-types :
- Dans le
film de Zhang Jiarui (章家瑞) « When Ruoma was 17 »
(《诺玛的十七岁》),
2002, la jeune Hani Ruoma échange sa vie de petite
vendeuse de maïs contre celle de modèle exotique
offert à l’objectif des touristes, dans l’espoir de
pouvoir un jour gravir les étages d’un immeuble
urbain dans |
|
Plain of Paradise |
un ascenseur.
-
L’histoire de « The Plain of Paradise » (《天上草原》),
2002, de Sai Fu (塞夫)
et Mai Lisi (麦丽丝),
se situe en Mongolie intérieure, dans la région de
Tenggelitala, qui
signifie
"paradis" en mongol ; un jeune Han, devenu muet à la
mort de ses parents, est recueilli par un ancien
prisonnier qui a connu le père de l’enfant en
prison ; malgré l’univers violent où il doit se
faire une place, l’enfant finit par retrouver un
certain équilibre.
- Vanessa
Frangville cite encore « Kekexili » (《可可西里》),
2004 : ce célèbre film de
Lu Chuan (陆川) suit un journaliste de Pékin venu faire un reportage sur les activités
d’une patrouille tibétaine de volontaires dont la
mission est de protéger les dernières antilopes de
la région du Kekexili contre les trafiquants de
cette espèce protégée. |
|
Kekexili |
- Enfin,
dernier exemple cité,
« Ganglamedo »
(《岡拉梅朵》),
de la réalisatrice Dai
Wei (戴玮),
est un chef d’œuvre du genre, sorti en 2006 :
Ganglamedo est à la fois une légende, le nom d’une
chanson tibétaine très populaire ("Fleur de Lotus")
et, dans le film, celui d’une jeune fille célèbre
dans les années 1940 pour la chanter ; amoureuse
d’un peintre han, mais forcée d’épouser un autre
homme, elle disparaît après un dernier rendez-vous
manqué ; soixante ans plus tard, elle apparaît en
rêve à une ex-chanteuse qui a perdu sa voix et
décide de partir au Tibet à sa recherche… le reste
de l’histoire est comme un songe éveillé.
Pour
confirmer la thèse de Vanessa Frangville, produit
par China Film et Han Sanping, le film a été
fortement appuyé par les instances officielles :
sorti en 2007, il a été présenté au 11ème
festival de cinéma international de Shanghai en
2008, puis au festival du cinéma chinois de Paris en
septembre 2009. |
|
Ganglamedo |
Depuis quelques
années, ce même festival a d’ailleurs à son programme un ou
deux films « de minorité » ; en 2012, le programme comporte
pas moins de quatre films qualifiés d’ « ethniques » :
filmés dans les zones à minorités kazakh, mongole, hani et
buyi. Le mouvement semble s’étendre et se diversifier.
A l’opposé, Pema
Tseden montre une voie totalement novatrice dans la
représentation du Tibet, des Tibétains, de leur langue et de
leur culture, en approchant cette réalité de l’intérieur.
S’il arrive à faire école, au-delà de son chef opérateur
Sonthar Gyal déjà passé à la réalisation, une page pourrait
être tournée dans ce domaine.
|
|