|
Xie Fang
谢芳
Présentation
par Brigitte Duzan, 22 octobre 2014
Xie Fang est l’une des grandes actrices du cinéma
chinois d’avant la Révolution culturelle. Bien
qu’elle n’ait joué que dans trois films avant 1966,
sa présence et ses rôles à l’écran, à la fin des
années 1950 et surtout au début des années 1960, ont
pris un aspect iconique.
Naissance d’une icône
Elle est née en novembre 1935 à Huangpi, dans le
Hubei (湖北黄陂).
Son père et sa mère étaient enseignants, tous deux
dans des établissements religieux. Son père
enseignait dans un séminaire, sa mère avait fait ses
études à l’université Yenching (燕京大学).
Deux ans plus tard, la famille déménage à Shanghai
et c’est là que Xie Fang grandit, dans une
atmosphère favorisant son éveil intellectuel et
artistique, mais aussi sous l’influence de
|
|

Xie Fang |

A sa sortie du lycée,
à Hankou, en 1951 |
|
l’intérêt croissant de son père pour le Parti
communiste. L’occupation japonaise les pousse
cependant bientôt à fuir Shanghai.
Xie Fangtermine le lycée à Hankou en 1951 et
s’engage alors dans une troupe de théâtre devenue
peu de temps plus tard la Troupe de théâtre et
d’opéra de Wuhan (武汉歌剧院).
Elle en devient très vite l’une des actrices
principales, jouant dans les grandes pièces du
répertoire du théâtreparlé ou chanté, comme « La
fille aux cheveux blancs » (《白毛女》)
ou « Hua Mulan » (《花木兰》).
|
A la fin de la décennie, elle est invitée par le
studio de Pékin pour interpréter le rôle
emblématique de l’héroïne révolutionnaire Lin
Daojing (林道静)
dans le film réalisé en 1959 par Cui Wei (崔嵬)
et Chen Huai’ai (陈怀皑) :
« Le
Chant de la jeunesse (《青春之歌》).
Le succès du film, et de son interprétation, en font
une actrice brusquement célèbre et populaire ; elle
se consacre ensuite uniquement au cinéma.
En 1962, elle figure dans la liste,établie par le
Bureau du cinéma, des vingt-deux plus grandes stars
chinoises de l’époque,. C’est sans doute cela qui
lui vaut d’être choisie pour son rôle suivant.
En 1963, elle interprète avec une extrême
sensibilité le rôle de Tao Lan (陶岚)
dans
« Février,
printemps précoce » (《早春二月》)
de
Xie Tieli (谢铁骊) :
icone révolutionnaire, peut-être, mais loin des
clichés et des images statufiées, elle représente |
|

Dans le rôle de Lin
Daojing |
un personnage humain, en proie au doute et déchiré par ses
sentiments.

Les 22 stars de 1962
(Xie Fang
en 4ème position sur
la rangée du haut) |
|

Dans Février,
printemps précoce |

Dans Sœurs de scène
(à g.) |
|
Xie Fang achève la période avec, en 1964, son
troisième rôle iconique, celui de Chunhua (春花)
dans
« Sœurs
de scène » (《舞台姐妹》),
le chef d’œuvre de de
Xie Jin (谢晋) :
Chunhua est une jeune paysanne en fuite pour éviter
un mariage arrangé, qui, recueillie par une troupe
d’opéra, finit par devenir l’actrice vedette de la
troupe, et, en 1950, à la fin du film, chef d’une
troupe itinérante interprétant des opéras
révolutionnaires.
Le film a été attaqué dès les débuts de la
Révolution culturelle pour avoir mis en scène et
défendu des valeurs bourgeoises, mais c’était une
attaque visant |
le vice-ministre de la culture
Xia Yan (夏衍)
qui avait encouragé Xie Jin à le tourner et apporté quelques
modifications au scénario. Xie Jin sera vilipendé, pas les
actrices.
Le rôle de Chunhua ne fera que renforcer l’image iconique de
Xie Fang comme héroïne révolutionnaire. C’est d’ailleurs
cette image qui nuira à la poursuite de sa carrière après la
Révolution culturelle.
Une image très typée
L’image de Lin Daojing est celle qui prime toutes
les autres incarnations de Xie Fang à l’écran. C’est
une image comparable à celle de Hua Mulan, mais, au
lieu d’une femme combattant pour sauver la nation à
la place et au nom de son père et de sa famille dans
un système de valeurs éminemment confucéen, Xie Fang
incarne la femme qui lutte pour la patrie en tant
que bras armé du Parti et agent de la révolution, ce
qui implique au contraire un défi aux valeurs
familiales. |
|

L’image de
l’engagement révolutionnaire |

L’image iconique de la
ferveur révolutionnaire |
|
Contrairement aux stars du cinéma d’après 1949, elle
n’a pas incarné de personnage du type héros
soldat-paysan-ouvrier comme voulu en priorité par
Mao dans ses « causeries au forum de Yan’an sur la
littérature et les arts ». Ses rôles ont été des
étudiantes, intellectuelles progressistes et
artistes de l’époque prérévolutionnaire qui
surmontent leur handicap de classe pour devenir
révolutionnaires.
C’est en ce sens qu’elle a incarné des modèles
types, comme le voulait la fonction didactique
octroyée au cinéma dans la Chine nouvelle. |
Symbole impérissable
L’image de Xie Fang était tellement forte qu’elle s’est
perpétuée. Quand elle a voulu reprendre le cinéma à la fin
des années 1970, elle a eu beaucoup de mal à trouver des
rôles dans le contexte de l’ouverture, et du renouveau du
cinéma chinois. Xie Fang apparaissait comme une figure typée
du passé.
Elle joue encore dans deux films en 1980 : dans « La
seconde poignée de mains » (《第二次握手》)
de la réalisatrice Dong Kena (董克娜),
et, aux côtés de Li Rentang (李仁堂),
dans « Traces de larmes » (《泪痕》)
de Li Wenhua (李文化).
Le premier film est l’histoire de jeunes
scientifiques dévoués à leur pays, de leurs idéaux,
leur amitié et leurs amours entre 1928 et 1958 ; le
second est un film sur l’importance et les
lendemains de la chute de la Bande des quatre ; dans
les deux, elle apporte une valeur symbolique de par
son image même. Dans les descriptifs de ces films,
elle n’est pas notée comme Xie Fang, mais comme
« l’actrice Xie-Fang- |
|

Dans La seconde
poignée de mains en 1980 |
interprète-du-rôle-de-Lin-Daojing » (女主人公林道静的扮演者谢芳).

Dans le rôle de
l’impératrice Cixi en 2008 |
|
En 1982, en revanche, c’est justement à cause de
cette image que
Huang Jianzhong (黄健中),
à l’encontre du choix du studio de Pékin, lui a
préféré
Zheng Zhenyao (郑振瑶)
pour le rôle de Jin Qiwen (金绮纹)
dans
« Ruyi »
ou « Le talisman » (《如意》).
On la rencontre ensuite, au cinéma et à la
télévision, dans des rôles mineurs. Elle est
toujours active et reste une excellente actrice. On
l’a vue, par exemple, à la télévision en 2008, sous
les traits de l’impératrice Cixi (慈禧太后)
dans le téléfilm |
« Le héros part au combat » (《壮士出征》),
un pastiche de film historique réalisé au moment des Jeux
olympiques.
Etonnamment, lors de ses apparitions publiques,
encore aujourd’hui, Xie Fang reste l’icône Lin
Daojing, à moins qu’on ne célèbre l’héroïne
postrévolutionnaire Chunhua, celle qui disait à sa
« sœur de scène » lors de leurs retrouvailles au
début de la Chine nouvelle : « Il faut maintenant
nous changer sérieusement ».
Aujourd’hui, cependant, ce qu’on retiendra peut-être
avant tout, c’est son regard, un regard si expressif
qu’il ne nécessitait pas de discours superflu.
Essais autobiographiques et souvenirs
- « A l’écran et en coulisses »《银幕内外》
- « Le passé à toute vitesse »
《往事匆匆》 |
|

Xie Fang en 2012 |
Bibliographie
China on Screen, Cinema and Nation, Chris Berry/Mary
Farquhar, Columbia University Press, 2006.
Chapitre5 : How should a Chinese woman look? Woman and
Nation, p. 108
Ce chapitre, dans sa première partie, offre une analyse de
l’image de la femme à travers les trois rôles de Xie Fang
interprétés en 1959-1965.
|
|