Bi Gan rate la
sortie de son film, en Chine, en déroutant les spectateurs
chinois
par Brigitte Duzan, 7 janvier 2019
Le nouveau film, très attendu, de
Bi Gan (毕赣)
– « Long Day’s Journey into Night » (《地球最后的夜晚》)
– vient de faire les frais, lors de sa sortie en
Chine, d’une campagne promotionnelle tapageuse et
trompeuse.
Sorti le 31 décembre 2018 sur les écrans chinois, le
film a fait 38 millions de $ de recettes le premier
jour, en battant tous ses concurrents, ce qui
constitue un record pour un film d’art et d’essai ;
mais, après un bouche-à-oreille dévastateur, il
s’est
Long Day’s Journey
into Night avec Tang Wei et Huang Jue
effondré, à 1,5 million le second jour, pour passer au
sixième rang du box-office le lendemain, le mercredi 2
janvier.
La campagne publicitaire avait en effet astucieusement
planifié les projections pour qu’elles se terminent sur le
coup de minuit, et permettent aux couples d’amoureux de
terminer leur soirée de cinéma en s’embrassant au seuil de
la nouvelle année, comme les acteurs à l’écran. Toute la
publicité a tourné autour de cette idée romantique, et cela
a marché : il s’était déjà pré-vendu pour 15 millions de $
de billets avant même la date de sortie.
Malheureusement, la promotion trompait les spectateurs en
leur donnant à penser qu’ils allaient voir un film de fin
d’année du genre sentimental et nostalgique, avec une
séquence en 3D à mi-parcours, l’histoire étant celle d’un
homme qui revient dans sa ville natale vingt ans après
l’avoir quittée, à la recherche de la femme qu’il aimait. Or
l’histoire est une chose, la manière de la traiter en est
une autre.
Bi Gan faisant la
promotion du film avec Tang Wei
(photo The Guardian)
Au
festival de Cannes, en mai dernier, où le film est
sorti en première mondiale, il a été salué comme le
plus beau film de Bi Gan, mais aussi le plus
exigeant et le plus complexe
[1],
avec une longue séquence onirique de près d’une
heure et une histoire difficile à comprendre pour
des gens habitués à voir des blockbusters ou à
regarder des séries à la télévision. Il aurait mieux
valu préparer l’auditoire. Les spectateurs ont
commencé à sortir au bout de vingt minutes ou se
sont endormis, et se sont ensuite répandus en
injures sur les réseaux sociaux en
s’estimant grugés. La valeur boursière du principal
investisseur,
Huace Films (华策影视)
[2],
a perdu près de 300 millions de $.
Pourtant, s’il est vrai que sa sortie est un fiasco, le film
aura quand même réussi à faire plus de 40 millions de $ de
recettes en moins de trois jours en salles. Le film de Bi
Gan a ainsi fait mieux que tous les films d’art et d’essai,
ou prétendus tels, sortis récemment en Chine : en septembre
dernier, « Ash Is Purest White » (《江湖儿女》)
de
Jia Zhangken’a fait que 10 millions de $
d’entrées, et, en 2014, même le thriller pourtant populaire
« Black
Coal, Thin Ice » (《白日焰火》)
de
Diao Yinan (刁亦男)
n’a pas dépassé 15,2 millions de $.
Il ne faudrait cependant pas en être amené à juger « Long
Day’s Journey into Night » en termes de réussite ou d’échec
financier. Le film mérite mieux. C’est ce que les
spectateurs français vont pouvoir apprécier par eux-mêmes
car le film va sortir en France le 30 janvier
prochain.
Bande annonce
[1]
Voir la critique enthousiaste des
Inrockuptibles :