par Brigitte Duzan, 14 août 2015, actualisé 17 novembre 2018
Bi Gan est un jeune réalisateur chinois indépendant
dont le troisième film, et second long métrage,
« Kaili Blues » (《路边野餐》),
est sorti en août 2015, en première mondiale, au
festival de Locarno, dans la section Cineasti del
presente. C’est une reconnaissance bien méritée pour
un jeune cinéaste qui s’est peu à peu bâti un
univers mouvant, aux confins de la poésie et du
cinéma.
Il est né en juin 1989 dans la ville de Kaili, dans
la province méridionale du Guizhou (贵州凯里) ;
l’un des rares détails supplémentaires que
mentionnent ses biographies chinoises est qu’il est
d’ethnie miao, ce qui n’aurait pas d’importance en
soi si l’on n’en retrouvait quelques traces dans ses
films, dans la musique surtout.
Bi Gan
Bi Gan est d’abord poète, et son œuvre est construite à
partir de personnages et d’éléments structurels utilisés
comme des pièces de lego, qui finissent par constituer des
leitmotivs en constante mutation. On a ainsi une œuvre qui
se déroule comme une symphonie, avec des thèmes énoncés en
ouverture et développés ensuite avec des variations. Un
semblant d’unité est donné par le cadre : la ville de Kaili.
Les premiers films
1. En 2011, son premier film, « Tiger » (《老虎》),
est un long métrage de 70 minutes qui se passe, donc, à
Kaili. Le personnage central est un mauvais poète du nom de
Chen Kai (陈开).
Il a fait un jour un casse avec son ami Lao Wai (老歪)
- 歪
wai signifiant tordu, malhonnête ; mais il est le seul à
avoir
Tiger
écopé d’une peine de prison. Lao Wai a par ailleurs
un petit frère qui « voit loin » (“看花眼”).
Le film dépeint la rencontre entre Chen Kai, le
petit frère de Lao Wai et une nouvelle apprentie
arrivée dans le salon de coiffure local, comme un
coup du sort. L’histoire est présentée comme une
« fugue » (赋格),
impliquant thème et variations.
2. Le deuxième film de Bi Gan, « The
Poet and Singer
» (《金刚经》),
est un court métrage en noir et blanc de 22 minutes, en
dialecte de Guizhou, où l’on voit apparaître un thème
fondamental repris dans le film suivant : thème bouddhiste
de la vacuité et de l’illusion, donné par le titre chinois
qui signifie Sutra du diamant. Chen Kai est devenu Chen
Sheng (陈升)
– avec une infime variation sur le second
caractère : c’est le même personnage, interprété par
le même acteur, devenu l’acteur fétiche de Bi Gan :
Chen Yongzhong (陈永忠).
On retrouve aussi Lao Wai…
Chen Sheng et Lao Wai se retrouvent au bord d’une
rivière, près d’un poteau en bois, où ils se sont
donné rendez-vous pour attendre le « moine Hua » (“花和尚”)
– variation du nom du petit frère du film précédent.
Sur le
The Poet and Singer
(Le sutra du diamant)
poteau est gravé le Sutra du diamant. Chen Sheng attend
surtout le vent, qui doit apporter le salut en faisant
disparaître les fautes …
Ces deux films ont été projetés
lors des 8ème et 9ème éditions du
festival du cinéma indépendant de Pékin, en 2011 et 2012
respectivement, et le second est passé au festival Shadows,
à Paris, en novembre 2012. En outre, « The Poet and Singer »
a figuré parmi les films sélectionnés par l’Ifva
(Incubator for film & visual media in Asia), pour la 19ème
édition de son festival, à Hong Kong, en mars 2014 ; le film
y a obtenu une
Mention spéciale
[1].
3. On retrouve Chen Sheng – et Chen Yongzhong – en 2015 dans
« Kaili
Blues
» (《路边野餐》),
long métrage qui reprend les personnages précédents, avec à
nouveau des variations, comme si chacun avait une histoire
cachée que l’on découvrait peu à peu, mais sans être sûr que
la nouvelle version soit
Kaili Blues
authentique, ou le soit plus que la précédente. Ce
qui recoupe le thème de l’illusion du Sutra du
diamant, qui est cité d’entrée, au début du film.
L’ami du beau-frère de Chen Sheng auquel il envoie
son fils porte le même nom que le « moine » du film
précédent (“花和尚”) ;
c’est un ancien mafieux avec lequel Chen Sheng a
fait un casse qui a mal tourné, ce qui lui a valu
neuf ans de prison : on retrouve l’histoire du Lao
Wai de « Tiger ». De ce premier film, on retrouve
aussi le personnage de l’apprentie coiffeuse, sous
les traits de la coiffeuse rencontrée par Chen Sheng
au cours de son périple, et qui lui rappelle son
épouse décédée…
C’est bien un univers que s’est créé Bi Gan, univers
poétique et mystérieux, où l’on aperçoit de ci de là
des visages connus, ou qui le semblent, ou qui en
rappellent d’autres que l’on a connus. Il faudrait
projeter ces trois films à la suite.
Transition
Après « Kaili Blues », Bi Gan a été considéré comme l’un des
jeunes réalisateurs chinois les plus prometteurs.
En 2016, il a d’abord réalisé un mini court métrage de 1’23,
comme un court essai cinématographique, diffusé sur
internet, qui porte le titre alternatif plein d’humour :
« Images des prix du 53ème festival du Golden
Horse » (第53届金马奖形象)
Un mystérieux poisson rouge
2018 : « Long Day’s Journey into Night »en
compétition à Cannes
En mai 2018, le film figurait en compétition officielle dans
la section Un certain regard au festival de Cannes.
Clip du festival de Cannes
En novembre 2018, il a obtenu les prix de la meilleure
photographie (cosignée Yao Hung-i, Dong Jingsong, David
Chizallet) et de la meilleure musique (cosignée
Lim Gionget Point Hsu)
au 55ème festival du Golden Horse, à Taipei.
Il sortira le 30 janvier 2019 sur les écrans français, sous
le titre « Un grand voyage vers la nuit ».