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7e édition du West Lake IDF : sept documentaires chinois, hors censure

Jean-Maurice Rocher, 6 novembre 2024

 

« 谁胜谁负谁知谁的苦

孤单的时候就点看纪录片 » - 这扯淡的人生

alternative version (王翼焱)

[ « Qu’on gagne ou qu’on perde, on ne fait que souffrir /

     si t’es trop seul, regarde donc un docu »,

     version « alternative » de la chanson « Foutaise de vie » de Wang Yiyan [1]]

 

Hormis le temps, la 7e édition de l'IDF West Lake (Hangzhou) s'est déroulée du 25 au 27 octobre 2024 dans des conditions à peu près analogues à la 6e édition. Ce festival de documentaires peut être considéré comme une forme d'hétérotopie foucaldienne, dans le contexte d'un cinéma chinois en salles particulièrement sinistré du fait de la censure - même si ce constat ne semble pas partagé par un Jia Zhangke qui, en smoking et lunettes de soleil noires, chantait « 中国电影, don't worry, be happy » sur la scène de la huitième et dernière édition du festival de Pingyao. Les contenus des documentaires chinois diffusés – ceux que je suis allé voir en priorité – n'expriment bien sûr rien d'ouvertement politique, mais s'y dessine tout de même en filigrane un certain nombre de critiques sociétales qui n'ont plus vraiment la possibilité d'apparaître dans les films diffusés en salles après que soit passé le couperet de la censure. Justement, cette année, aucun des documentaires chinois vus au festival n'avait encore obtenu le visa de censure qui implique compromis avec les autorités et triturations absurdes effectuées sur le film. C'est précisément pour cette raison que le concept d'hétérotopie associé à l'IDF West Lake ne semble pas abusif du tout, quand bien même cela implique que plusieurs des films dont il va être question n'auront très probablement aucune autre diffusion en Chine hormis lors de ce festival et rejoindront les « limbes » invisibles et déjà surchargées du cinéma chinois contemporain sans visa de censure...

 

« Obedience » (《十方之地》), Wong Siu-pong (黄肇邦), 2024

 

 

 

 

Wong Siu-pong suit la vie de deux ou trois chiffonniers âgés (avec leur descendance éventuelle) dans quelques rues d'un vieux quartier de Hong-Kong (Hung Hom) visé par des destructions d'immeubles insalubres où résident justement ces chiffonniers menacés d'expulsion. Le film rappellera tout aussi bien les fictions hongkongaises récentes véhiculant des visions noires et/ou marginales de HK, qu'elles soient commerciales (« Limbo » ou « City of Darkness » de Soi Cheang, resp. 2023 et 2024, « The Way We Keep Dancing » d'Adam Wong, 2020) ou auteurisante (« Drifting » de Li Jun, 2021), que certains anciens documentaires phares du continent (« Street Life » de Zhao Dayong, 2006). Wong parvient à éviter le misérabilisme en filmant sans nul artifice ce monde où l'ordure règne, tout en évoquant subtilement son cadre structurant plus général cause d'inégalités sociales. Il propose, dans le même temps, un regard nouveau sur cette ville dont les rues et les architectures ont si souvent été filmées (et de manière magistrale) au moins depuis la « Nouvelle vague » hongkongaise. Le cinéaste filme les rues avec les chiffonniers qui y gravitent en format 16/9e et essentiellement en plan fixe, dans l'horizontalité des trottoirs et la frontalité des façades ; la caméra ne devient subitement lentement mobile qu'une ou deux fois lorsqu'elle se décide à suivre dans un long plan-séquence une trajectoire de chiffonniers arpentant les rues en poussant leurs charrettes. Lorsque la caméra prend de la hauteur, la vue reste prisonnière des buildings environnants et offre très peu de perspective, tout comme les inserts répétés de plans des offices de pompes funèbres qui quadrillent le petit territoire où officient les chiffonniers. Une seule fois, la caméra probablement embarquée dans un drone, filme en vue aérienne et en plan fixe ce théâtre urbain réduit (tout se passe, grosso modo, dans deux rues qui forment un « T »). Elle semble soudain épouser le regard surplombant et divin de Guanyin, dont la population hongkongaise aisée célèbre annuellement la bienveillance dans un temple (Kwum Yum Temple) à proximité. Le geste est fort, qui sans cynisme arrache en même temps le cinéaste à ses concitoyens producteurs de déchets apparemment pieux mais sans égards pour la marge, et du sol ou de la terre censé s'adapter là où le liquide (comprendre le cash-flow) règne en maître, comme le mentionnent les cartons d'ouverture (contenant un proverbe africain) et final (signalant les différents sens du caractère « 水 » en cantonais).

 

« The Dream of Super Bridge » (《江桥梦》), Wang Yang (王杨), 2024

 

 

 

 

S'il ne brille pas par sa mise en scène, et contrairement à ce que laissait craindre son titre - reprenant le vocable dream très connoté politiquement dans l'ambitieuse Chine de l'ère Xi, ce documentaire est fort éloigné du lisse reportage CCTV de propagande typique, à la gloire des constructions monumentales que réalisent les ingénieurs et ouvriers chinois partout dans le pays en dominant la nature pour moderniser les infrastructures du pays. Le documentaire de Wang Yang s'avère finalement être un film moins sur la construction du gigantesque pont qui doit surplomber le Yangtsé à Wuhan, que sur la manière dont tentent de se « construire » quelques-uns de ses constructeurs qui participent au développement de leur pays tout en voyant leur propre vie de famille foutre lentement le camp. À distance des leurs, sans arrêt sollicités par leurs employeurs, encouragés à donner toujours plus par la remise de récompenses ayant tout de « médailles en chocolat », aliénés par des valeurs traditionnelles patriarcales qui leur inculquent de se sacrifier pour leur famille ou que « tant que le fils n'est pas marié la vie du père n’est pas complète », fascinés aussi par les œuvres effectivement spectaculaires qu'ils parviennent à construire (au point d'en prendre régulièrement des photos pour les voir grandir « tel un enfant qui petit à petit devient homme »), ils passent ainsi à côté de leur propre vie de famille, et de leur vie tout court : leur femme menace de les quitter ou divorce, leurs enfants regardent leurs récompenses avec un profond mépris ou pleurent face à leur sacrifice jugé inutile et absurde, ils estiment leur propre espérance de vie à 50 ans... Le film se termine en musique de la plus belle des manières : lors du générique, se met à retentir d'un seul coup une chanson de propagande des années 80 très enjouée, vantant les mérites des chantiers accomplis par la génération Deng Xiaoping. Ce final, tout en étant émotionnellement fort, renvoie soudain (et de façon, semble-t-il, quelque peu ironique) l'ensemble des spectateurs à une question généralement laissée informulée concernant le bilan humain de la fameuse « modernité chinoise », quarante ans après les premières réformes.

 

Interlude 1

 

Si chacun des deux films précédents possède un plan surplombant filmé à l'aide d'un drone (au-dessus des hauts immeubles de HK dans le premier film, au-dessus du pont qui traverse le Yangtsé dans le second « à la manière CCTV »), c'est parce que leur réalisateur considère au contraire le documentaire comme un microscope tentant d'ausculter la vie de quelques individus qui vivent au pied de monumentales structures de béton et d'acier (des chiffonniers survivant tant bien que mal dans les rues de HK dans le premier film, des ouvriers qui sacrifient tout à la construction du pont tout en voyant leur famille se disloquer dans le second).

 

« Guian » (《奶奶》), Nicole Chi Amén (臻彩玲), 2023

 

 

 

 

« Guian » appartient au corpus artistique produit par la 3e génération de la diaspora chinoise ayant immigré en Amérique à l'époque de la Chine maoïste, mais en Amérique Centrale (Costa Rica) plutôt qu'aux USA (pour ce dernier cas, on pourra par exemple regarder les films récents de Sean Wang : « Nai Nai & Wai Po », 2023, « Didi », 2024). Avec son film, Nicole Chi Amén rend hommage à sa propre grand-mère décédée (qui donne son titre au film) en tentant, avec sa caméra, de percer le mystère d'une personne proche mais qui lui est pourtant restée inconnue toute sa vie, à l'image du premier plan où elle filme la maison de sa grand-mère en voie de démolition à travers le petit trou d'une palissade. L'évident désir de voir de cette séquence introductrice traverse tout le documentaire de la cinéaste qui se nourrit d'un intérêt évident pour la matière malaxée, écrasée, décomposée filmée en très gros plans et toujours en mouvement (nourriture, insectes, etc.). Ce beau geste de « matérialisme » filmique s'accompagne également de nombreuses interrogations sur la matière linguistique composite qui entoure la réalisatrice et sa famille (espagnol, chinois, dialecte du sud de la Chine). C'est que Chi Amén vise, comme elle le dit en voix-off à la fin de son film, à restituer au plus près aux spectateurs « la texture des conversations qu'elle n'a jamais pu avoir avec sa grand-mère ». Bien sûr, cela est incontournable dans ce type de cursus artistique, la cinéaste en profite pour évoquer en creux les tensions qu'elle a vécues et qu'elle vit encore elle-même en tant que petite fille d'immigrés, mais dans un sens toujours très respectueux de sa famille. Il faut reconnaître à Chi Amén le bon goût de nous éviter les stéréotypes habituels sur les différences culturelles, qu'elle laisse malicieusement aux conducteurs de taxi rencontrés et qui s'expriment devant sa caméra. Paradoxalement, la deuxième partie du film où la réalisatrice se rend en Chine sur les traces du village de sa grand-mère semble moins percutante, comme si l'écart culturel et linguistique radical la mettait désormais trop à distance de la matière, à la manière des batteries de pétards de Nouvel An dont il vaut mieux regarder l'explosion de loin pour éviter l'accident.

 

« Flames, White Snow, Yellow Roses » (《烟火白雪黄玫瑰》),

Wang Chao (王超), 2024 [En compétition. Prix du jury du West Lake IDF 2024]

 

 

 

 

« Flames, White Snow, Yellow Roses » s'inscrit dans la grande tendance (appréciée) du documentaire chinois contemporain, son réalisateur Wang Chao (pas le cinéaste renommé auteur entre autres de « L'orphelin d'Anyang », mais un homonyme qui signe ici son premier film) y suivant dans son quotidien un personnage singulier qui occupe le centre du film : son propre oncle à la démarche claudicante, vivant dans une petite ville du Nord-Est (Dongbei). Pour autant, dans ce documentaire, l' « oncle Wang » n'a absolument rien de particulier ; il s'agit d'un pauvre bougre, célibataire, qui vit au jour le jour de petites combines dans la précarité, et dont l'un des seuls talents consiste apparemment à savoir enchaîner les shots sur le terrain de basket (ce qui n'est déjà pas rien, d'autant plus qu'il a dans le passé perdu l'usage d'un œil dans une bastonnade). Du coup, le film n'a pas grand-chose à raconter sinon le désœuvrement de l'oncle et de ses proches, le cinéaste en faisant visiblement partie. La bonne idée de Wang Chao est de faire de ce désœuvrement le cœur même du film, en le resituant dans un continuum allant des vagues massives de licenciements d'ouvriers des années 1990 dans la région du Dongbei, jusqu'aux difficultés économiques engendrées par la politique « zéro-covid » draconienne menée par le gouvernement chinois de 2020 à 2022. La présence même du neveu, devenu cinéaste chez son oncle, est liée à son licenciement à Beijing. Ce contexte économique, essentiel mais qui ne peut être ouvertement critiqué en Chine, n'est que très rapidement évoqué par la voix-off froide et clinique du cinéaste, à la manière d'un rapport implacable. Wang croit tenir un vague happy-end pour son film et son oncle, lorsque ce dernier parvient à acheter un petit appartement avec l'argent gagné grâce à la revente de bungalows insalubres dont il avait hérité. Mais, rattrapé par la réalité, le bref happy-end bifurque soudainement vers un long plan fixe sur les restes de l'oncle (décédé chez lui d'une crise cardiaque) sortis du four du crématorium local. Afin d'anticiper ce plan subversif, le cinéaste a pris la peine d'insérer une longue séquence nocturne qu'il filme « caméra à l'épaule », marchant dans une ruelle de la ville enneigée. Filmée, selon le réalisateur, avant la mort de son oncle et constituant son premier souvenir du défunt, cette séquence où il n'apparaît pas (l'une des rares du film) annonce sa mort dans une longue nuit. Elle témoigne du fait qu'une froideur ressentie (y compris dans le ton d'une voix) n'est pas nécessairement synonyme d'absence d'émotion ou de point de vue.

 

« Anĝelo in 1948 » (《小影1948), Huang Ruoyi (黄若倚), 2024

[En compétition. Prix du meilleur documentaire chinois du West Lake IDF 2024]

 

 

 

 

Huang Ruoyi conçoit son documentaire autour de l'histoire d'amour contrariée de ses grands-parents paternels aujourd'hui décédés. De ce qui ressort des documents écrits présentés dans le film, son grand-père, qui entretenait une liaison avec une maîtresse, avait tout de ce que l'on appellerait aujourd'hui un mari « toxique ». Ces documents intimes représentent des archives familiales, lettres ou photos d'époque, configurées de différentes manières à l'écran : textes des lettres en sous-titres avec filmage de l'appartement actuel des parents ou imprimés en animation sur du faux papier, mise en parallèle de photos et de lettres, etc. Le père du cinéaste les manipule, les consulte, longuement à son bureau, comme fasciné par cette histoire ancienne. Mais l'excellent dispositif « triangulaire » de mise en scène, mis en place par le jeune réalisateur, permet surtout aux spectateurs d'assister à la manière dont un conflit issu du passé se répand par ricochets dans le présent du foyer où résident les générations suivantes. En effet, Huang Ruoyi se situe au cœur d'un triangle constitué de son père (qui prend la défense de son père invoquant avec nostalgie la tradition patriarcale), sa mère (qui apporte de la contradiction en s'opposant ouvertement à lui) et des documents extirpés du passé (qui provoquent des remous). Les trois longues scènes de « discussions » pendant les repas sont exemplaires du dispositif. Le cinéaste n'y constitue pas un angle du triangle dans la mesure où il ne participe pas, il est là dos à sa caméra posée dans le couloir mais ne parle jamais pendant les soliloques de son père, y compris lorsque ce dernier l'interpelle ; il se contente d'observer avec une certaine sagesse qui connaît l'inutilité de réagir à ses propos toujours plus réactionnaires. Toutefois, l'écart entre les deux parents n'est pas seulement révélé par le dispositif discursif triangulaire lors des repas. Ailleurs, de discrets plans de la mère qui passe le balai, qui sert les plats à son mari, ou qui travaille dans la cuisine pendant qu'il se rase tranquillement en pyjama dans la salle de bain, témoignent d'une domination patriarcale bien réelle au sein du foyer. Une domination qui restera, une fois remisés dans un tiroir tous les documents du passé.

 

Interlude 2

 

Ces trois premiers films (si je ne me trompe) sont tout à fait prometteurs dans la forme, mais comportent également un danger dans le fond pour la suite de l'œuvre  de leurs auteur.rice.s car il sont principalement axés sur leur propre famille – ce qui, en soi, reste un acte d'auto-déconstruction courageux. Tout comme les jeunes cinéastes qui commencent leur œuvre de fiction par un film plus ou moins autobiographique sur leur jeunesse, il reste à voir si, par la suite, leur intérêt et leur caméra sont aussi capables de se tourner vers l'autre, au-delà du périmètre familial.

 

« A Song River » (《凤凰山下·词》), Zhu Xin (祝新), 2024

[Prix du jury de la jeunesse & Prix de la critique cinéphile du Pingyao Crouching Tiger Hidden Dragon IFF 2024]

 

 

 

 

Ce documentaire ne manque pas d'intérêt mais repose trop essentiellement sur l'enregistrement de la parole sacrée des « maîtres » (dont le compositeur de cantopop Siu Hak - 小克) prononcée sur une musique douce, pour ne pas s'interroger sur la pertinence d'avoir réalisé un film plutôt que d'avoir écrit un article sur le sujet abordé : la poésie Ci (), et plus précisément un poème de Su Shi (苏轼) écrit à Hangzhou (« 江城子 »). Le point de vue personnel repose plus sur la scénarisation (et donc encore l'écriture) que sur la mise en scène qui ne présente pas d'intérêt particulier, même si Zhu Xin se demande comment faire au début avec son petit groupe d'amis. Cette question esthétique cruciale initiale aboutit, hélas, à un ensemble de scènes « méta » de tournage un peu prétentieuses, typiques d'un certain jeune cinéma chinois qui par-là jouent la « modernité facile » en évitant de problématiser la représentation (constat en adéquation dans ce film avec toute la partie « tarte à la crème » de reconstitution d'époque). Rendre visible le petit collectif d'amis qui gravite autour du réalisateur et l'aide dans ses recherches et son tournage constitue une bonne idée, même si sa nécessité n'apparaît pas toujours évidente pour le film. C'est encore plus le cas des scènes du quotidien où le réalisateur met en avant ses relations conflictuelles avec sa mère, tout comme de la dernière partie à Hong Kong avec Siu Hak et des vidéos d'archive du mariage de ses parents qui alourdissent la fin du film car son réalisateur tient absolument à lui apporter un habillage personnel superflu et superficiel. Le plus gênant repose sans doute dans l'impression que les discussions/reconstitutions (amusantes au début) autour d'une ligne précise du poème (mentionnant que des notes de cithare jouées sur la rivière Qian/dans une fête s'entendent du lac de l'Ouest où le poète se trouve sur un bateau) s'escriment interminablement et en vain à vouloir prouver son exactitude rationnelle, pour aboutir à l'évidence - pourtant prononcée par une experte de poésie chinoise qui mobilise la notion de yi jing (意境) - qu'en définitive tout cela n'a pas beaucoup d'importance pour bien ressentir le poème.

 

« Ms. Hu's Garden » (《胡阿姨的花园》), Pan Zhiqi (潘志琪), 2024

[Prix Golden Goblet du meilleur film documentaire du Shanghai IFF 2024]

 

 

 

 

« Ms. Hu's Garden » est le second documentaire de Pan Zhiqi projeté au West Lake IDF, après le très prometteur « 24th Street » (24号大街》) diffusé lors de la 2e édition du festival en 2018. Le film, produit par CNEX, était en chantier depuis de nombreuses années, et j'ai eu une curieuse impression de déjà-vu devant sa première partie tournée au début des années 2010. Une première version, ne contenant pas la dernière partie la plus récente, aurait-elle circulé à une époque ? Je n'ai pas été en mesure de retrouver ce qui aurait pu expliquer cette impression. Dans le suivi des déplacements imposés de cette Madame Hu « haute en couleur » qui doit quitter sa maison d'un quartier délabré de Chongqing en voie de destruction où elle entretient un « jardin » fantastique composé de déchets saugrenus agencés suivant une logique qui lui appartient et où elle accueille des travailleurs migrants (民工) sans le sou, revient l'intérêt de Pan Zhiqi déjà rencontré dans « 24th Street » pour les individus ballottés malgré eux par les politiques d'urbanisation des villes. Au pessimisme dépressif du jeune fils, s'oppose l'inlassable vitalité de la vieille mère revenue de tout, et devenue reine des bas-fonds labyrinthiques de la mégalopole. Si la fin du film laisse en apparence et de manière plutôt consensuelle le sentiment de donner gagnante la résilience de Madame Hu relogée dans le minuscule appartement de son fils avec une petite partie des trésors de son jardin, les images du nouveau parc touristique artificiel érigé à la place du vieux quartier où résidait la femme dans son hôtel de fortune, puis le lent travelling arrière final face à l'uniforme façade de l'immeuble où elle réside désormais, actent surtout une nouvelle victoire d'escrocs très puissants sur la vieille femme retirée dans les ruines sans aspérités de son merveilleux château de songes d'antan.

 

Pour finir….

Même si l'on peut regretter, au vu des documentaires chinois projetés, que les réalisatrices soient si rares, et que le domaine de la coexistence (, thème du festival en 2024)  se restreigne trop souvent au cercle familial (quand bien même il est fortement et courageusement problématisé) sans s'étendre à d'autres types de communautés plus politiques en recherche de modèles de société différents tels qu'ils éclosent un peu partout (y compris en Chine), cette nouvelle édition aura été riche. Comme d'habitude je ne terminerai pas sans remercier toutes les personnes qui font que ce festival peut continuer et qu'il est justement, en lui-même, un beau modèle de coexistence face à la médiocrité ambiante.

 


 

[1] La chanson dit : «生活太多苦  la vie est trop de souffrance, … 谁胜谁负谁知谁的苦 qu’on gagne ou qu’on perde, de toute façon on souffre, 孤单的时候就点燃一根烟 quand t’es trop seul, grille-toi donc une cigarette… »  (BD)

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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