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Jia
Zhangke : deuxième société de production, et bientôt un
cinéma d’art et d’essai ?
par Brigitte
Duzan, 18 juillet 2012
C’est au
festival de Shanghai, le 18 juin dernier, que
Jia Zhangke (贾樟柯)
a annoncé officiellement la création d’une seconde
société de production après Xstream Pictures (西河星汇影业),
fondée en 2003 : Yihui Media (意汇传媒).
Genèse et
objectifs
Jia Zhangke
a expliqué que ce sont divers événements qui l’ont
poussé à prendre cette initiative. L’idée a germé
dans son esprit lorsque Han Jie (韩杰)
est venu le voir pour lui demander de produire son
second film, « Hello Mr. Tree »
(《Hello,树先生》) :
il a produit le film avec Xstream Pictures, mais a
commencé à penser qu’il devrait créer une société
pour aider les jeunes réalisateurs à produire leurs
films.
Au même
moment, il a été contacté par le groupe Diageo, pour
réaliser un film promotionnel pour la marque Johnnie
Walker, dans le cadre de leur programme « keep
walking » |
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Jia Zhangke annonçant
la création de YihuiMedia au festival de Shanghai |
(continuez à
marcher). Finalement, le projet évolua vers une œuvre
collective, pour laquelle Jia Zhangke sélectionna cinq
jeunes réalisateurs et réalisatrices, formant ainsi comme
une école : Wei Tie (卫铁),
Song Fang (宋方), Chen Tao (陈涛),
Chen Zhiheng (陈挚恒)et
la réalisatrice malaisienne
Tan Chui Mui (陈翠梅).

Le projet Yulu |
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Le projet,
intitulé
Yulu
(《语路》计划),
consistait en une série de douze courts métrages
confiés à ces jeunes cinéastes, chacun en ayant deux
à faire et Jia Zhangke se réservant le premier et le
dernier. Chaque court métrage est l’esquisse d’un
portrait, en trois ou quatre minutes, d’une
personnalité célèbre du monde socio-économique ou
artistique, insistant sur les obstacles rencontrés
et les échecs subis dans des carrières brillantes,
mais jamais définitivement acquises.
Pour
préparer et réaliser ce travail, les jeunes
cinéastes ont été encadrés et accompagnés par une
équipe de premier plan, dont les deux chef
opérateurs qui travaillent avec Jia Zhangke, Yu
Lik-wai (余力为)
et
Wang Yu (王昱)
(1).
Yulu
a ainsi
servi de véritable pépinière, chaque cinéaste étant
ensuite accompagné dans la réalisation d’un long
métrage produit par Yihui. |
Projets aboutis et
en cours
Yihui Media
a produit le premier long métrage de l’une des
réalisatrices de Yulu,
Song Fang (宋方) :
« Memories Look at Me »
(《记忆望着我》) est sorti en première mondiale au
festival de Locarno,
en août 2012.
Le projet de l’autre réalisatrice de Yulu est
en cours de réalisation :
le film "en
costumes" « Imperial Exam » (《状元图》)
de la
réalisatrice malaisienne Tan Chui Mui (陈翠梅),
sur un scénario de l’écrivain taiwanais Chang
Ta-chun (张大春).
Le
troisième film issu de Yulu en est à
l’écriture du scénario : « Rainbow » (《虹》)
de Chen Tao (陈涛),
que Jia Zhangke a connu parce qu’il a, comme Song
Fang, été l’un des lauréats de la Cinéfondation. Le
film s’annonce comme un road movie mâtiné de
thriller à la chinoise, situé dans le contexte de
l’après-Tian’anmen et des Jeux pan-asiatiques de
1990 à Pékin. |
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Song Fang à la
Cinéfondation |
Parallèlement, Jia Zhangke s’est intéressé à une
autre enfant prodige de la pellicule : la jeune
romancière Quan Ling (权聆)
qui s’est
tournée vers le cinéma après un brillant début de
carrière en littérature (2).Son film, « Lost In
Touch »(《陌生》)
devait initialement être produit par Xstream, mais
a été repris dans le cadre de Yihui. Il sera
interprété par un superbe trio : les acteurs
Zi Yi (子义)
et
Guo
Xiaodong (郭晓冬)
(dont la carrière a démarré avec son rôle dans « Une
jeunesse chinoise » de Lou Ye), et l’actrice
Tao Hong (陶虹).
Le tournage devrait commencer en août 2012.
Un pied
aussi dans la distribution
Avec Yihui
Media, Jia Zhangke s’affirme ainsi comme le
véritable mentor et parrain de la génération
montante du cinéma chinois après avoir fait figure
de chef de file de la sienne, la sixième. Il apporte
à ces jeunes cinéastes le |
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Tan Chui Mui |
soutien
dont il a lui-même manqué à ses débuts, leur fournit
une assistance et un cadre, et une alternative à la
dangereuse solution du cinéma dit indépendant qui
devient trop souvent une souricière, se muant in
fine en ghetto.
Il
structure ainsi ses activités de production, Xstream
Pictures (西河星汇影业) continuant
par ailleurs ses opérations avec des sources de
financement différentes et pour des films à budgets
plus conséquents. L’un des derniers films produits,
ou plutôt coproduits, dans ce cadre a été le
documentaire « Fidai » de Damien Onouri, jeune
réalisateur français qui a réalisé en 2008 un
documentaire de 54 minutes sur Jia Zhangke intitulé
« Xiao Jia rentre à la maison ». « Fidai » a fait
partie des projets de la Dubai Film Connection en
2010. C’est un film sur les souvenirs de la
révolution algérienne et la guerre civile des années
1990 contés par un homme qui les a vécues.
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Quan Ling primée au
festival de Shanghai |

Fidai |
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Les projets
de Jia Zhangke vont néanmoins plus loin. Les films
« d’auteur » ont une visibilité réduite en Chine en
raison des difficultés de diffusion (3) ; bien plus
que la production, c’est devenu la principale pierre
d’achoppement. Il a donc élaboré un projet de salle
de cinéma dédiée aux films d’art et d’essai à Pékin,
la première de ce genre dans la capitale (4). Il l’a
annoncé sur son microblog Weibo en mars dernier,
précisant qu’il ne s’attendait pas à ce qu’il puisse
en faire une opération rentable, mais qu’il le
financerait avec des fonds provenant d’autres
activités.
Le lieu est
trouvé : dans un complexe d’équipements culturels
dans l’un des nouveaux quartiers périphériques en
plein essor de la capitale, proche de plusieurs
grandes universités. Il y aura une petite salle
d’une centaine de places, mais aussi un café et une
librairie, pour en faire un |
lieu d’accueil et
d’échange, vivant et attirant. Si les résultats sont
favorables, d’autres salles du même genre pourraient être
ouvertes dans d’autres grandes villes, à commencer par
Shanghai et Canton.
Comme il vise une
exploitation normale, il lui faudra se limiter aux films
ayant obtenu un visa de censure, ce qui vaut également pour
les films étrangers qu’il voudrait aussi faire connaître en
Chine et qui seront en outre limités par les quotas
d’importation.
C’est certainement
le projet le plus audacieux que Jia Zhangke ait jamais
lancé. Il est cohérent avec le reste de sa démarche, qui
vise à faire du cinéma d’auteur dans les contraintes du
système officiel, pour ne pas se couper du public chinois.
Mais ce n’est pas gagné.
En attendant, il
s’apprête enfin à commencer, vers la fin de l’année, le
tournage de son film « The age of
Tattoo » (《刺青时代》)
qui sera, lui,
coproduit par la société Milky Way de
Johnnie To et
Xstream Pictures.
Notes
(1) Yu Lik-wai a
signé la photo de tous les films de Jia Zhangke depuis
« Xiao Wu », et, en 2008, a travaillé sur la photo de « 24
City » avec Wang Yu qui a commencé sa carrière avec « Suzhou
River » de Lou Ye, en 2000.
(2) Sur Quan Ling,
voir :
http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_QuanLing.htm
(3) La Chine
développe son réseau de salles, mais dans le haut de gamme,
si bien que seuls les films commerciaux très grand public et
à gros budget ont une chance d’être distribués. Seulement la
moitié des films chinois produits sortent en salles, et les
blockbusters américains se taillent la meilleure part du
marché.
(4) Le MOMA a une
programmation mixte, et seul le Ullens Centre réussit à
faire figure de cinéma d’art et d’essai, mais parce qu’il
n’est pas enregistré comme salle de cinéma ; il est toléré
et son avenir est toujours problématique, sa fermeture avait
même été annoncée l’an dernier.
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