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Chai Xiaoyu 柴小雨
Présentation
par Brigitte Duzan, 27 janvier 2020
Né à Pékin en septembre 1986, Chai Xiaoyu fait
partie de ces jeunes réalisateurs « post-80 » qui ne
sont pas passés par une formation traditionnelle à
l’Institut du cinéma de Pékin. Rien ne le destinait
à l’origine au cinéma.
De la peinture à la photo et au documentaire
Il a fait ses études supérieures à l’Institut de
technologie de Pékin (北京理工大学).
Mais il a commencé par la peinture, quand il était
lycéen. Dans une longue interview donnée en
septembre 2019, à la sortie de son premier long
métrage,
« Fish
Park » (《鱼乐园》)
,
il a expliqué que, quand il était étudiant, il
regardait beaucoup de films avec un ami. Celui-ci a
ensuite été admis à l’Institut du cinéma de Pékin
(dans le département photo), mais lui a poursuivi
des études artistiques dans l’intention de devenir
styliste. |
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Chai Xiaoyu |
Cependant, dans les dernières années de ses études
universitaires, il s’est intéressé au cinéma et à la
télévision, ainsi qu’à la photographie, et il a commencé à
tourner des courts métrages tout en écrivant aussi des
nouvelles. C’est ainsi que, à la fin de ses études, en 2009,
il a suivi un cours de perfectionnement en photographie à
l’Institut du cinéma de Pékin car, s’il est difficile de
devenir réalisateur, on peut plus aisément devenir chef
opérateur.
C’est à la suite de ce stage de photographie qu’il est entré
dans un département de CCTV (la télévision centrale
chinoise) consacré à la postproduction. C’est à ce moment-là
qu’il a tourné un documentaire sur la préparation du
tournage et la postproduction du film que
Huo
Jianqi (霍建起)
était alors en train de tourner sur la vie de l’écrivaine
Xiao Hong (萧红) : « Falling
Flowers » (《萧红》),
sorti en 2012. Pour cela, Chai Xiaoyu a suivi Huo Jianqi
pendant près d’un an, et c’est ainsi qu’il a commencé sa
carrière de cinéaste.
Il a alors tourné une série de documentaires, avant de se
tourner vers la publicité et réaliser des films
publicitaires.
Assistant réalisateur et chef opérateur
Into Tibet |
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En 2011, il a été assistant réalisateur de la
réalisatrice Wu Na (吴娜)
sur le tournage de son premier film, « Song and
Moon » (《行歌坐月》),
évocation d’une coutume de l’ethnie dai, et des
souvenirs d’enfance de la réalisatrice. Puis il a
encore travaillé avec elle sur le tournage de son
deuxième film, « The Spring of my Life » (《最美的时候遇见你》),
sorti en 2014.
Entre-temps, en 2013, il a été le chef opérateur
d’un documentaire sur le Tibet réalisé par Cheng
Gong (程工) :
« Into Tibet » (《进藏》),
encore appelé « Extraordinary Journey into Tibet ».
L’équipe du film a suivi pendant six mois l’aventure
de dix Chinois parties au Tibet en voiture, dans
huit Minis
,
selon cinq trajets différents, donc avec cinq
équipes de tournage réparties sur les différentes
routes. C’était une fête pour un photographe. |
Premier film : « Fish Park »
Pendant ce temps de formation sur le terrain, Chai
Xiaoyu commençait à penser à son premier long
métrage. Il a écrit le scénario de ce qui devait
être à l’origine un road movie. Mais, n’ayant pas
trouvé de financement adéquat, il a repris le tiers
du scénario pour le développer séparément. C’est
ainsi qu’est né son premier film :
« Fish
Park » (《鱼乐园》).
Ce n’est pas un road movie, mais c’est une longue
déambulation dans les gravats d’un hutong en
démolition de Pékin, sans guère de but, car il ne
semble pas que l’on puisse avoir de but dans ces
ruines à l’abandon, en attente de disparition
prochaine, encore moins quand on est jeune. Le jeune
héros ou contre-héros de l’histoire n’a pour tout
amour que ses poissons et pour unique ambition de
les conserver en vie. C’est un regard décalé et
plein d’humour sur une certaine jeunesse chinoise,
celle qui vit au jour le jour sans rester rivée à sa
table de travail pour essayer d’entrer dans la
meilleure université, voire aller étudier à
l’étranger. Une |
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Fish Park |
jeunesse sans attaches ni racines, qui vit dans un paysage
urbain sans passé, dont l’avenir est fait de barres de béton
au bord de terrains vagues où l’on chercherait vainement une
âme.
C’est un film qui ne ressemble à rien, sauf à son auteur :
d’ailleurs le personnage principal s’appelle Xiaoyu, avec le
caractère yu de poisson, homonyme du yu de
pluie du prénom du réalisateur… Un réalisateur qu’on a
qualifié de « sauvage » (野生导演),
ce qui présuppose le choix de la liberté, loin des
préoccupations et contraintes liées à une « école »
.
Ambitions contradictoires
Quand on lui demande ses influences, il étonne encore. Point
de grand réalisateur ou maître, sauf Jean-Luc Godard, ce qui
est révélateur d’une volonté de sortir des cadres formels et
officiels pour filmer avec la liberté des grands
réalisateurs de la Nouvelle Vague – il y a effectivement
quelque chose de l’esprit d’ « A bout de souffle » dans
« Fish Park ».
Buffalo 66 |
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Cependant,
les films qu’il cite en référence sont surtout des
films de l’underground américain qui reflètent un
univers proche du sien comme « Buffalo 66 », film de
1998 de Vincent Gallo
,
qui est aussi un hommage à Ozu mais sur lequel
semble aussi bien résonner la question lancinante
« qu’est-ce que je peux faire ? j’sais pas quoi
faire… ». Comme autre |
référence, Chai
Xiaoyu cite également « Y tu mamá también », du réalisateur
mexicain Alfonso Cuarón,
prix du meilleur scénario à la Biennale de Venise en 2001 –
peut-être l’idée initiale du road movie préfigurant « Fish
Park ».
Chai Xiaoyu est donc essentiellement un esprit libre et
anticonformiste, ne répondant à aucune doctrine ni règles
préétablies. C’est l’essence même du cinéma d’auteur, mais
cela ne l’empêche pas de vouloir résolument faire du cinéma
« commercial », c’est-à-dire des films accessibles au plus
grand nombre. C’est une ambition intéressante qui doit sans
doute être requalifiée dans le contexte chinois actuel où se
dessine une tendance subtile à occuper les failles d’un
paysage cinématographique dominé par des grosses productions
chinoises rivalisant avec Hollywood. C’est peut-être dans
ces petits films en marge du système que se joue l’avenir du
cinéma chinois.
C’est le titre de l’interview ci-dessus :
le réalisateur sauvage privilégie la liberté, sans se
soucier des contraintes d’une « école » (野生导演的优势在于自由,没有学院派的顾虑)
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