Huo Jianqi
(霍建起) est
un réalisateur de la cinquième génération
relativement peu connu hors de Chine, ses
principales récompenses ayant été glanées dans les
festivals chinois. Il est pourtant intéressant à
plus d’un titre, ne serait-ce que par ses
adaptations originales et pleines de sensibilité
d’œuvres littéraires.
1982 :
Directeur artistique
Huo Jianqi
(霍建起) est né en janvier 1958 à Pékin. En 1976, il est
envoyé à la campagne, mais il n’y reste pas
longtemps. En 1978, il entre à l’Institut du film de
Pékin, quand celui-ci rouvre ses portes après la
Révolution culturelle. Huo Jianqi
fait donc partie de la ‘cinquième génération’ des
réalisateurs chinois, mais a fait ses classes dans
le département des beaux-arts.
C’est le
dessin qui fut en effet sa première passion, et
c’est
Huo Jianqi
par le dessin qu’il
est arrivé au cinéma, par le dessin qu’il a défini son
esthétique et sa vision artistique. On retrouve très souvent
dans ses films une approche picturale, dans la composition
d’un paysage, d’une scène en extérieur, ou d’un portrait.
Diplômé en 1982, il
entre comme directeur artistique au studio de Pékin. Il
collabore alors, entre autres, avec
Tian Zhuangzhuang (田壮壮),
pour « Septembre » (《九月》)
et « Le voleur de chevaux » (《盗马贼》),
sortis respectivement en 1984 et 1986, et, au tout début des
années 1990, avec Xia
Gang (夏钢)
pour « Unexpected Passion » (《遭遇激情》)
et « After Separation »《大撒把》).
1995 :
Réalisateur
The Winner
Ce n’est
qu’en 1995 qu’il commence sa carrière de
réalisateur, avec « The Winner » (《赢家》) :
l’histoire d’un handicapé champion de course à pied
qui se porte au secours d’une jeune fille victime
d’un accident dans la rue ; il en résulte qu’elle
tombe amoureuse de lui, sans se rendre compte qu’il
a été amputé d’une jambe et porte une prothèse.
Le scénario
est inspiré d’un personnage réel, Sun Zhangting (孙长亭).
Né en 1966 à Tianjin, après avoir perdu sa jambe
gauche dans ce que les Chinois appellent la « guerre
d’autodéfense » (自卫反击战),
c’est-à-dire la guerre sino-vietnamienne de 1979, il
devint champion des Jeux paralympiques, et créa une
société de membres artificiels en 1991.
Le film
contient en germes deux caractéristiques
essentielles du style de Huo
Jianqi : à la fois romantique et résolument
réaliste, en ligne avec le néo-réalisme qui se
développait en littérature au même moment.
Il tourne
son deuxième film l’année suivante : « The Singer »
(《歌手》),
sorti en 1997, histoire d’une chanteuse qui finit
par s’engager dans l’Armée de libération.
La carrière
de Huo Jianqi démarre cependant véritablement avec
le succès international que remporte son film
suivant, sorti en 1999 et couronné d’un triple Coq
d’or (金鸡奖)
et du prix du meilleur film au festival de Montréal:
« Postmen
in the Mountains » (《那山,那人,那狗》).
L’histoire
se déroule dans les montagnes verdoyantes du sud du
Hunan. Le personnage principal est un postier qui a
couru la montagne toute sa vie, d’un village isolé à
un autre, pour apporter aux villageois le réconfort
non tant d’une lettre épisodique que d’un contact
avec le monde extérieur. Arrivé à l’âge de la
retraite, il fait une dernière fois le trajet avec
son fils pour l’initier au métier qu’il lui lègue,
avec la mission humaine qui lui est liée.
C’est un
film simple, tout en émotion contenue, qui a eu
autant de succès en Chine même que dans les
festivals étrangers. Il nous dépeint une Chine
profonde, isolée et sauvage, qui rappelle celle du
juge Feng.
Là aussi il s’agit d’un dernier voyage, et y est
associée toute la nostalgie d’un monde ancien qui
disparaît peu à peu.
Liu Jie
Le succès
du film doit beaucoup à l’interprétation naturelle
et retenue de l’acteur principal, Teng Rujun (滕汝骏),
d’ailleurs récompensé du Coq d’or du meilleur acteur
pour ce
rôle. Il s’est remarquer pour son interprétation de l’oncle
Quant au
fils, il est interprété par
Liu Jie (刘烨): c’était son premier rôle, il avait dix-neuf ans…
Bande annonce
2. Le second film
de Huo Jianqi, « A love of blueness » (《蓝色爱情》),
sorti en 2000, est une heureuse surprise, dans un genre
totalement différent. Il est adapté d’une autre nouvelle, de
la romancière Fang Fang (方方),
représentante du néo-réalisme en littérature, dont les
œuvres sont généralement la peinture de chroniques
familiales désespérées, marquées par la violence, l’échec et
le malheur (1).
Rien de cela ici :
un jeune policier, Tai Lin (邰林),
se précipite pour empêcher une jeune femme, Liu Yun (刘云), de se
jeter du haut d’un pont. Il ne s’agit cependant pas d’une
tentative de suicide, explique la jeune fille, cela fait
partie de son entraînement en ‘method acting’ ; mais elle
raconte aussi qu’elle a tué son père, qui a disparu, mais
aurait trempé dans un meurtre non éclairci vingt ans plus
tôt… Bref, c’est un personnage complexe, plein de zones
d’ombres, cette
A love of blueness
Liu Yun, sa mère aussi, et l’histoire
devient une sorte de roman policier baroque, sur fond de
réflexion sur les rapports entre l’art et la vie, et les
limites entre les deux.
C’est filmé de
main de maître : la caméra s’attache de près aux expressions
des visages (caractéristique que l’on retrouvera magnifiée
dans le film suivant), et dans des couleurs diffuses qui
semblent faites pour préserver, ou nimber, le mystère
latent ; la photo est signée Zhao Lei (赵镭),
également chef opérateur de « Winner » et de « Postmen in
the Mountains ». Le film a obtenu le Coq d’or du meilleur
réalisateur en 2000.
On retrouve par
ailleurs Teng Rujun dans ce film, aux côtés de
Pan Yueming (潘粤明)
dans le rôle du policier Tai Lin, Pan Yueming que l’on
retrouve, lui, dans un rôle
secondaire dans le film suivant…
3. Ce film, c’est
«
Life Show » (《生活秀》),
adapté de la nouvelle éponyme de
Chi Li (池莉).
C’est un film où l’on
retrouve l’émotion contenue qui fait
le charme de : « Postmen in the Mountains » et les gros
plans sur les visages de « A Love of Blueness », un film
magnifié par le travail sur la photo ; c’est un film de
peintre, qui filme les détails comme un peintre fait des
esquisses (2).
Il porte en lui,
cependant, comme une fêlure intime, un germe d’imperfection
qui explose dans la scène décisive qui forme l’apogée du
scénario, crise paroxysmique qui tombe dans l’excès alors
que tout le reste du film est marqué une grande retenue,
mais qu’on oublie devant la beauté épurée de la séquence
finale.
Cette "fêlure",
cependant, va se retrouver dans les derniers films de Huo
Jianqi : aucun ne vaudra les trois précédents, malgré les
récompenses qu’ils pourront obtenir.
Après « Life
Show »
En 2003 sort « Nuan »
(《暖》),
d’après une nouvelle de Mo Yan (莫言)
(3). La nouvelle est une sorte de fable, dans un style dense
typique de l’auteur, avec une forte dimension symbolique qui
lui donne de la profondeur, mais le film a totalement gommé
cet aspect-là. Il reste de belles images, trop belles dans
le cas de Nuan en particulier, on en oublie qu’elle a été
théoriquement défigurée.
Le film a pourtant
remporté, entre autres, le prix du meilleur film et du
meilleur acteur au 16ème festival de Tokyo.
Life Show
Nuan
A Time to Love
Deux ans plus tard,
Huo Jianqi sort un petit mélo pour la Saint-Valentin : « A
Time to Love », en chinois tout simplement « La fête des
amoureux » (《情人结》).
Comme les films précédents, celui-ci est adapté d’une œuvre
littéraire : cette fois une nouvelle d’un recueil de
l’écrivain An Dun (安顿)
intitulé « Les inconnus au rendez-vous » (《相约陌生人》).
L’histoire est
celle de deux Roméo et Juliette chinois, amis d’enfance mais
séparés par la haine qui oppose les deux familles, la mère
du garçon accusant la famille de la fille d’être responsable
du suicide de son mari. Une histoire à faire pleurer Margot,
remarquablement interprétée par deux acteurs très populaires
auprès du public chinois,
Vicky Zhao (赵薇)
et Lu Yi (陆毅),
mais qui ne s’élève guère au-dessus de la romance télévisée.
Le film suivant, « Li
Shuangliang » (《愚公移山》),
fait partie de la série de films sortis pour célébrer
l’esprit national au moment des Jeux olympiques de Pékin, en
2008. C’est une sorte de conte écolo qui fait référence à
l’une des plus célèbres histoires chinoises à la base de
chengyu (4) : celle du vieil homme qui réussit à force
d’efforts à araser une montagne qui bloque l’accès à sa
maison ; elle a donné le chengyu « Yugong déplace les
montagnes » que cite le titre chinois.
Il s’agit ici d’un
Yugong moderne : le film est la transposition passablement
embellie de la vie d’un ancien ouvrier d’un groupe
métallurgique de Taiyuan qui – à l'âge de sa retraite en
1983 – entreprit d'évacuer une énorme pile de déchets
crachés par son usine. En 1993, il avait réussi à
transformer sa folle idée en une affaire très profitable et
à créer des magnifiques jardins à la place des déchets.
Li Shuangliang
On trouve
l’histoire de Li Shuangliang sur le site de la compagnie
Taiyuan Iron and Steel (le groupe Taigang 太钢集团公司,
à Taiyuan), le « Li Shuangliang spirit » étant cité comme
représentatif de l’esprit de l’entreprise : la métallurgie
verte (绿色钢城) (5)
! Il est aussi devenu un modèle idéologique, et l’un des
lauréats du premier prix environnemental en Chine.
C’est le Lei Feng (雷锋)
écolo du 21ème
siècle, l’avant-garde de la Chine en lutte contre la
pollution.
« Li Shuangliang »
est tourné dans un style semi documentaire, avec, toujours,
de superbes images, mais, en outre, vers la fin, l’histoire
surimposée de l’épouse de Li Shuangliang, traitée en
quelques flashbacks, car il faut toujours une histoire
d’amour même dans les fables morales, ou surtout dans les
fables morales, pour attirer le public auquel elles sont
destinées.
Snowfall in Taipei
Sorti l’année
suivante, en 2009, « Snowfall in Taipei » (《台北飘雪》)
est l’histoire d’un jeune Taiwanais qui accueille une jeune
chanteuse venue se réfugier dans la petite ville près de
Taipei où il habite : elle a perdu sa voix et veut se
cacher. Il lui trouve un job, la protège, l’emmène voir un
médecin et évidemment tombe amoureux.
L’intérêt principal
de cet autre mélo est qu’il s’agit de la première
co-production Chine-Taiwan-Japon. Adapté d’une nouvelle
japonaise, il est sorti en première mondiale au festival de
Tokyo. Il est produit par la société taiwanaise Three Dots
et distribué en Chine par Polybona. C’est une affaire
commerciale rondement menée, pour cumuler les trois publics
nationaux, avec le soutien actif des autorités de Taiwan…
Huo Jianqi
s’affirmait ainsi de plus en plus comme l’un des
nombreux
réalisateurs chinois de talent absorbés par la machine à
fabriquer des mélos populaires. Au début des années 2010,
cependant, il semble avoir amorcé une nouvelle étape, en
passant à un autre genre très en vogue en Chine : le film
historique romancé.
2011 : Biographies
historiques romancées
La période
privilégiée dans les deux films sortis en 2011 et 2012 est
le début du vingtième siècle, période riche en personnages
brisés par l’histoire, et en particulier en personnages
féminins tragiques qui se prêtent à des adaptations
romancées.
Le premier, « The
Seal of Love » (《秋之白华》), sorti en 2011, est ainsi l’histoire romancée de deux personnages qui
ont marqué les débuts du Parti communiste chinois : Qu
Qiubai (瞿秋白
- 1899-1935)et sa
seconde épouse, Yang Zhihua (杨之华
- 1900-1973).
Mais le film est centré sur la seconde qui en est la
narratrice.
Membre du mouvement
étudiant radical qui suivit le 4 mai 1919, elle vint étudier
à Shanghai, où elle tomba sous le charme charismatique de Qu
Qiubai qui était l’un des enseignants de l’université. Elle
devint la secrétaire de la section féminine de la branche
shanghaïenne du Guomingdang, au moment de l’alliance avec
les communistes. Puis, à la mort de la première épouse de Qu
Qiubai, pendant l’été 1924, elle divorça pour se remarier
avec lui, et partagea alors les dangers de son existence, au
milieu des mille revirements politiques de l’époque.
Falling Flowers
Yang Zhihua est
interprétée tout en finesse par l’une des actrices
récurrentes des films de Huo Jianqi, Dong Jie (董洁),
celle aussi qui interprète l’aveugle dans « Happy Times » (《幸福时光》)
de
Zhang Yimou. Qu Qiubai est interprété par l’acteur
découvert par ce dernier pour tenir le rôle principal dans
« Under
the Hawthorn Tree » (《山楂树之恋》) :
le sino-canadien Shawn Dou (窦骁).
Il est moins convaincant que Dong Jie, et sans doute pas
assez mûr pour ce rôle.
Mais le film est
une performance visuelle, filmé par le chef opérateur de Huo
Jianqi depuis « Life Show » : Sun Ming (孙明).
Bande annonce
Huo Jianqi avait
ensuite annoncé un film sur la romancière Xiao Hong, il est
sorti sous le titre anglais
« FallingFlowers »《萧红》)
(6). Son lancement a été officialisé par une conférence de
presse à Pékin le 15 juin 2012, et il est en compétition
pour la Coupe d’or au 16ème
festival international de cinéma de Shanghai
qui a débuté le lendemain et va se terminer le 13 juillet.
Il se présente d’ores et déjà comme un retour à la veine des
très beaux films tournés au tournant
Falling Flowers
de l’année 2000, et
dans la lignée du précédent.
Un mot sur la
scénariste Si Wu
La scénariste de
tous ces films est Si Wu (思芜)
:
elle est aussi l’épouse du cinéaste, ils sont mariés depuis
près de vingt ans. C’est à elle que l’on doit la touche très
féminine des scénarios de Huo Jianqi, avec une tendance,
cependant, à l’hyperbole (mélo)dramatique, heureusement
corrigée très souvent par l’art de son mari et la superbe
photo de Sun Ming.
Su Xiaowei
Ce que l’on sait
moins, c’est que Si Wu est le nom de plume de Su Xiaowei (苏小卫). C’est
elle qui est l’auteur, entre autres, du scénario du film de
Feng
Xiaogang (冯小刚)sur le
tremblement de terre de Tangshan
« Aftershock »(《唐山大地震》).
Su Xiaowei
travaille au Bureau du Cinéma, au sein de l’Administration
d’Etat du cinéma, de la radio et de la télévision (le
SARFT) ; elle est directrice adjointe du bureau central qui
traite les scénarios de cinéma : cela signifie que, deux
fois par semaine, elle participe aux sessions de travail du
bureau de la censure.
Quant à
son travail de scénariste, il est axé principalement sur des
‘main melody films’ (“主旋律”),ce
qu’on appelle tendancieusement en France ‘films de
propagande’.
Connaissant les ficelles et les arcanes des pouvoirs de
censure, elle est maîtresse dans l’art du scénario qui émeut
sans irriter. Personnage influent, elle est l’ombre occulte
de Huo Jianqi.
(4) Chengyu :
expressions figées, le plus souvent de quatre caractères, à
valeur quasi adverbiale, énonçant un principe d’action fondé
sur des valeurs morales fondamentales.