Surtout
connu comme pionnier de l’activisme gay en Chine,
Cui Zi’en est un artiste sensible et fécond,
écrivain, scénariste, réalisateur, producteur... Il
est devenu une figure incontournable du cinéma
indépendant chinois.
D’abord
écrivain et scénariste…
Né en 1958
dans la province du Heilongjiang, Cui Zi’en (崔子恩)
a d’abordfait des
études de littérature à l’Institut chinois des
sciences sociales et il a commencé à écrire.
Cui Zi’en
Ses premières
nouvelles datent de la fin des années 1980, mais c’est le
roman « Lèvres pêches » (《桃色嘴唇》),
publié à Hong Kong en 1997, qui lui a valu un début de
notoriété. Traduit en français par Sylvie Gentil et publié
chez Gallimard/Bleu de Chine en 2010, il a pour personnage
central un vieil homme jeté en prison pour avoir châtré son
fils, violoniste homosexuel ; sur son lit de mort, il
raconte sa vie à son médecin, en un long monologue tourmenté
évoquant sa propre homosexualité…
Le protégé de madame
Qing
Ses récits
ultérieurs poursuivent le même propos, mais sur un
ton plus léger. Beaucoup sont la source
d’adaptations cinématographiques. La première des
nouvelles de Cui Zi’en
à être adaptée au cinéma, en 1999, est « Men and
Women » (《男男女女》),
film réalisé par Liu Bingjian (刘冰鉴)
et sorti en France sous le titre « Le protégé de
madame Qing ».
L’histoire, typique de Cui Zi’en, est celle d’un
jeune campagnard timide qui est embauché à Pékin par
une boutiquière, la madame Qing du titre. Lorsqu’il
n’affecte aucun intérêt pour la jeune A Meng qu’elle
lui a présentée, elle commence à se poser des
questions. Mais elle-même va rompre avec son mari
pour vivre avec A Meng…
Après ce
film, Cui Zi’en passe lui-même derrière la caméra,
peut-être parce qu’il trouve la mise en scène de Liu
Bingjian trop édulcorée.
… Puis cinéaste
Son
premier film fait l’effet d’une bombe : c’est un
véritable manifeste pour la liberté sexuelle et
contre toute discrimination basée sur des
différences entre sexes que le film montre comme
étant essentiellement floues.
Les
premiers films
Ce premier
film est, en 2002, « Enter the Clowns »
(《丑角登场》),
adapté d’une nouvelle éponyme publiée en 1998. Le
personnage principal est un jeune garçon du nom de
Xiao Bo qui vit dans un univers où les lignes de
démarcation entre sexes sont floues et mouvantes, au
point de devenir presque surréaliste : les
changements de sexe sont monnaie courante, mais
restent déroutants. Cependant, les excès de la
narration finissent par agir sur la perception du
spectateur, et, à la fin du film, Cui Zi’en réussit
à semer le doute sur la définition même de
l’identité sexuelle. Rien ne semble plus assuré. Le
résultat est libérateur.
Enter the Clowns
Extrait 1
Extrait 2
Le film est
provocateur à l’extrême, comme si la provocation était la
seule manière de faire entendre sa voix pour un artiste
voulant défendre une vision atypique et dérangeante de la
société.
The Old Testament
Un second
film, cette même année 2002, pousse le sujet un peu
plus loin, avec un titre lui-même provocateur « The
Old Testament » (《旧约》). Le film est en trois parties, intitulées comme des livres de l’Ancien
Testament, qui traitent de trois thèmes : la
sexualité, l’homophobie et le sida.
Dans « Le
chant de Salomon », un couple d’homosexuels voit sa
relation menacée par l’arrivée d’un ancien amant de
l’un des deux, atteint du sida, qu’il se sent obligé
d’héberger. Dans « Proverbes », un triangle amoureux
est constitué d’un homme qui cherche à conserver son
amant et sa femme ; au bout du compte, et l’amant et
l’épouse finissent par se demander s’il vaut la
peine de se battre pour lui. Dans « Psaumes »,
enfin, un couple hétéro tente d’empêcher le jeune
frère du mari de coucher avec son ami.
Le film
(sous-titres anglais)
Ces deux
films sont suivis en 2003 de « Night Scene »
(《夜景》), initialement prévu comme un film de fiction, sorte de troisième volet
d’une trilogie, mais se présente dans sa version
finale comme une série d’interviews de jeunes
homosexuels à Pékin, aujourd’hui. Le style est ici
plus soigné. Le film commence par une très belle
scène d’un jeune garçon filmé à travers un aquarium,
confession crue d’une vie ardue qui tranche avec les
évolutions paisibles des poissons dans l’eau.
Chaque
interview est ainsi traitée comme un tableau, dans
une gamme de couleur différente. L’ensemble finit
par dessiner le portrait d’un monde surtout
nocturne, où les différences d’identités, ici aussi,
sont ténues, accentuées par le fait que les
prostitués sont interprétés par des acteurs,
contribuant à brouiller les distinctions entre
réalité et fiction.
Night Scene
Affinement du style
et adoucissement du ton
Après les outrances
initiales, Cui Zi’en a donc peu à peu affiné son style et
soigné ses scénarios, en offrant une vision plus sobre de
son univers, et finalement plus émouvante.
My Fair Son
En 2005, il
réalise l’un de ses plus beaux films à cette heure :
« My Fair Son » (《我如花似玉的儿子》),
dont le titre lui-même évite la provocation crue des
premiers films – il s’agit d’une expression
littéraire
如花似玉rúhuāsìyù, désignant une
femme« belle comme une fleur et comme du
jade ».
Il donne
le ton du film : sensible et retenu. Après des
années de séparation, un jeune artiste revient chez
son père, entrepreneur aisé. L’atmosphère est
tendue, le fils renfermé, mais il se détend peu à
peu au contact d’un employé de son père, sorte
d’homme à tout faire qui a ses habitudes dans la
maison. Mais, les relations entre les deux jeunes
gens étant devenues intimes, le père renvoie
l’employé et lui demande de ne jamais revoir son
fils.
Le film
est empreint d’une grande douceur, filmé et
interprété avec sensibilité, et semble marquer un
tournant dans l’œuvre
de Cui Zi’en,
reflétant une maturation intellectuelle autant
qu’artistique.
« My Fair
Son » est complété en 2006 par un film qui reprend
cette même tonalité en demi-teinte : « Refrain »
(《副歌》)
est une chronique de vie au quotidien, celle de deux
jeunes gens qui partagent un petit appartement le
long d’une voie ferrée. L'un, poète comme le sont
les simples d'esprits, espère se faire fleur en en
mangeant ; l'autre, atteint du SIDA, craint de le
laisser seul et sans ressources à sa mort. Tous deux
se soutiennent et se protègent. Cui Zi’en montre une
nouvelle
Refrain
maîtrise
esthétique, dans ce film, avec ses deux personnages en
équilibre instable dégageant une sorte de grâce.
Documentaires
Queer China, Comrade
China
Cette
vision pacifiée se double d’une réflexion
approfondie sur son sujet. En 2008, Cui Zi’en
réalise le documentaire « Queer China » (《志同志》)
qui dresse un tableau historique de l’évolution du
mouvement gay dans la Chine moderne au cours des 80
dernières années. Il examine comment les progrès en
matière de loi et d’éducation, mais aussi en matière
de couverture par les médias, ont transformé peu à
peu un mouvement qui était à l’origine un tabou
absolu en une culture spécifique, et en passe d’être
socialement acceptée, comme partout.
Queer China
(sous-titres anglais)
Mais Cui Zi’en ne
se borne plus à traiter des sujets sur l’homosexualité. Il
s’intéresse aussi à d’autres marginaux sociaux. C’est ainsi
qu’en 2007 il a tourné un documentaire sur des enfants de
migrants privés d’éducation à Pékin : « We are the … of
communism ».
Il a filmé les
enfants d’une communauté de migrants dont l’école a été
fermée par les autorités sous le prétexte que les locaux
n’étaient pas sûrs. Le résultat, ironique, est qu’ils se
sont retrouvés dans des locaux bien plus insalubres, puis
dans un bus désaffecté, et enfin dans la rue. Jusqu’à ce
qu’il n’en reste plus qu’une petite quinzaine à continuer à
suivre quelques cours de fortune.
Bande annonce
Professeur et
Producteur
Cui Zi’en est entré
à la fin des années 1980 comme professeur de littérature à
l’Institut du cinéma de Pékin. Mais, en 1991, après avoir
proclamé son homosexualité, il a été privé de cours, donc de
salaire, et interdit d’enseignement pendant dix ans. Il a
recommencé ses cours en 2001.
Mais il est devenu
une figure très influente du cinéma indépendant chinois, se
faisant producteur à l’occasion pour aider des jeunes
cinéastes parmi ses élèves à réaliser leurs œuvres. C’est
ainsi que, en 2008, il a produit le second film de Yang Jin
(杨瑾),
« Er Dong » (《二冬》),
et, en 2010, le second film de Li Ruijun (李睿珺),
« The Old Donkey » (《老驴头》),
dont le directeur de la photographie était… Yang Jin. Il y a
là comme une école autour de son maître.
Filmographie
(Principaux films
réalisés)
2002 Enter the Clowns 《丑角登场》
The
Old Testament 《旧约》
2003
Feeding Boys, Ayaya 《哎呀呀,去哺乳》
Keep Cool and Don't Blush 《脸不变色心不跳》
Night Scene 《夜景》
2004
An Interior View of Death 《死亡的內景》
The Narrow Path 《雾语》
Shitou and That Nana 《石头和那个娜娜》
Star Appeal 《星星相吸惜》
2005 My
Fair Son
《我如花似玉的儿子》
Withered in a Blooming Season 《少年花草黄》
2006 Refrain 《副歌》
2007 We
are the … of communism (documentaire)
2008 Queer
China, ‘Comrade’ China 《誌同志》
(documentaire)