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« The Old Donkey » : triste parabole de Li Ruijun

par Brigitte Duzan, 16 juillet 2011, actualisé 24 novembre 2019

 

 « The Old Donkey » (《老驴头》), sorti en 2010, est le second long métrage de Li Ruijun (李睿珺). Il a été présenté au 13ème festival de Deauville en mars 2011 après avoir obtenu le 1er prix au 7ème festival du cinéma chinois indépendant à Nankin en octobre 2010. Il a par ailleurs bénéficié de l’aide à la post-production du Fonds Hubert Bals.

 

C’est un film attachant qui traite de façon originale et personnelle de la difficulté qu’il y a à préserver le tissu des coutumes ancestrales dans les provinces chinoises quand seules quelques personnes âgées en restent dépositaires. C’est aussi le drame de la vieillesse dans un pays qui perd jusqu’au souvenir des valeurs d’antan.

 

Des tombes menacées par la progression du désert

 

Le vieux Ma (Ma Xingchun 马兴春), 73 ans, vit en bordure du désert, dans un village menacé par la progression du sable. Inséparable de

 

Affiche du film

son âne, il est surnommé « Vieil âne » (老驴头”). Il a trois fils et deux filles, mais ils ne s’occupent guère de lui et sa seule ressource est son minuscule lopin de terre.

 

Li Ruijun

 

Les jeunes du village sont partis travailler à la ville car la terre ne suffit plus à les nourrir. Pour lutter contre l’abandon des terres et tenter d’en améliorer les rendements, les autorités locales ont adopté un plan de développement rural : les vieux paysans sont astreints à sous-louer leurs lopins à un villageois formé aux techniques modernes de culture, un certain Zhang Yongfu (张永福)qui est aussi le personnage le plus riche et le plus influent du village, et qui pourrait en retour les employer.

 

Il a réussi à convaincre les paysans du coin : il ne reste plus que le vieux Ma, mais celui-ci reste inflexible, car il se souvient des jours très durs où il travaillait pour un propriétaire terrien, avant la réforme agraire, et considère que la terre est un acquis de la révolution ; il organise même la résistance avec ses voisins.

 

En même temps, les tombes ancestrales sont menacées par l’avancée progressive de la dune au pied de laquelle elles sont situées : à la menace des hommes s’ajoute celle de la nature, bien plus inexorable encore. C’est alors à un autre combat d’arrière garde que se livre le vieil homme, pour tenter de stopper la progression du désert et sauver les frêles monticules de sable où reposent les mânes de la famille.

 

Cela nous donne de magnifiques images du vieil homme plantant péniblement de fragiles arbustes sur la pente raide de la dune, filmé en contre-plongée ou du bas de la dune, superbes images qui soulignent la petitesse de l’homme dans ce décor aride et sauvage, et s’achèvent sur un plan époustouflant de la paroi sableuse transformée en tableau cubiste.

 

Evidemment, l’âne finit par mourir, le vieux Ma aussi, la dernière séquence s’attarde sur les tombes qui vont disparaître ; on sent que le

 

Photo du film

village n’en a plus pour longtemps non plus, avec la vie et les traditions qui y étaient liées.

 

Un drame personnel

 

Li Ruijun est originaire d’un petit village du Gansu, où il est né en 1983 et a vécu ses quatorze premières années, en commençant par des études de peinture et de musique. Ce village est situé en bordure du désert de Badain Jaran (ou 巴丹吉林沙漠) (2), et c’est là, à Gaotai (高台县), dans ce qu’on appelle le « corridor du Hexi », qu’a été tourné le film.

 

Photo du film

 

Après être parti étudier et travailler à Pékin à l’âge de vingt ans, Li Ruijun est ensuite revenu régulièrement chez lui, chaque année pour la fête du Printemps, et a été de plus en plus frappé par l’aspect de désolation que prenaient les lieux où ne restaient guère que les personnes âgées, avec quelques enfants laissés là par les parents partis travailler en ville. Ce qui semble l’avoir le plus choqué est l’abandon de ces vieillards par des enfants pour lesquels ils se sont sacrifiés toute leur vie, y compris pendant la terrible famine du début des années

1960, au moment du Grand Bond en avant (2). De là est née, en 2008, l’idée de son film.

 

Le projet de réforme agraire dont il est question ici est d’autant plus mal accepté par ces vieux paysans qu’ils sont nés dans les années 1920 et ont vécu des jeunesses difficiles sous la coupe de propriétaires terriens qui les exploitaient ; après la réforme des premières années du nouveau régime communiste, ils ont reçu des terres qui ont ensuite été collectivisées. En 1982, la réforme de Deng Xiaoping leur a conféré des droits d’usage sur des terres qui sont cependant restées propriété de l’Etat. Ils considèrent pourtant ces terres comme les

 

Photo du film

leurs, d’où leur résistance acharnée à tout projet de réforme, dans un contexte où elles sont par ailleurs leur seul moyen de subsistance.

 

Photo du film

 

Le film est ainsi une analyse fine des mentalités paysannes de régions isolées en ce début de vingt-et-unième siècle en Chine, alors qu’elle sont confrontées à des menaces tant naturelles qu’humaines, et condamnées à disparaître inéluctablement avec les traditions qu’elles entretenaient, symbolisées ici par les tombes ancestrales enfouies dans les sables.

 

Le film est lent, volontairement bien sûr, mais pêche quelque peu par l’aridité d’un scénario qui nous vaut des séquences un peu trop

répétitives du vieil homme plantant et arrosant ses frêles plantations, au détriment du développement des caractères secondaires.

 

Bien sûr, le résultat est un superbe travail de quadrillage de la dune qui témoigne de l’œil de peintre du cinéaste, ainsi que du talent du directeur de la photo, Yang Jin (杨瑾) (3). Mais l’intérêt a tendance à fléchir parfois, ce qui explique sans doute que le film n’ait pas été primé dans la plupart des festivals où il était en compétition.

 


 

A lire en complément

 

Quelques propos sur le film « The Old Donkey » de Li Ruijun

par Yang Xi

 

L’histoire se déroule dans un village au bord du désert, dans la province du Gansu, où un vieil homme surnommé ‘Lao lütou’, c’est à dire ‘vieil âne’, est confronté à une double menace : l’une d’origine naturelle, la tombe de ses parents risque d’être enterrée sous l’avancée des sables du désert ; l’autre d’origine humaine, un riche du village veut mettre la main sur son lopin de terre qui se situe au milieu de ses terrains à lui. Bien qu’il ait cinq enfants, dont trois fils et deux filles, le vieil homme ne peut rien attendre d’eux, sauf sa fille aînée, car ils sont partis travailler en ville, parce que cultiver la terre ne permet plus de vivre.

 

Au lieu de déménager les ossements de ses parents et d’accepter la proposition du riche propriétaire, Lao lütou choisit de lutter contre ses deux adversaires : la nature et l’homme. Il plante des arbustes pour empêcher l’invasion du sable. Planter sur du sable n’est pas facile pour un vieil homme de 73 ans, d’autant plus qu’il s’agit d’une dune : le sable glisse quand il marche sur la pente, il lui est difficile de rester debout. En outre, comme c’est l’hiver, il doit aller très loin chercher de la glace et la briser pour pouvoir arroser.

 

Quand j’ai vu le personnage dans le film glisser en bas de la pente de sable et remonter avec beaucoup de peine pour recommencer quelques instants plus tard, j’ai pensé au roman de Marguerite Duras « Le Barrage contre le Pacifique », dont le personnage principal, la mère, lui ressemble beaucoup. La mère a acheté une concession au bord de l’Océan Pacifique avec ses économies de vingt ans, mais on lui a donné une terre inondée régulièrement par les marées car elle n’a pas soudoyé le personnel de l’administration. Elle a construit un barrage pour protéger sa concession contre les vagues. Mais, chaque année, le barrage est détruit par des crabes et elle est donc obligée de le reconstruire tous les ans. Le critique littéraire Monsieur LIU Mingjiu décrit cet acte comme celui de Sisyphe, dans la mythologie grecque, condamné à remonter constamment une énorme pierre. Dans « le Mythe de Sisyphe », Albert Camus qualifie Sisyphe de héros. On peut aussi considérer Lao lütou comme un héros en lutte contre le désastre naturel et l’injustice huimaine dont il est victime : ce petit personnage est un modèle de courage et de dignité humaine.

 

Dans le film, une scène a aussi évoqué pour moi une tradition chinoise : Lao lütou fait un rêve dans lequel ses parents morts sont sur le point d’être enterrés sous le sable, il crie déséspérément ‘papa’, ‘maman’ ! Le lendemain, il brûle de l’encens et fait une offrande sur l’autel de ses parents. Ce rêve contribue à sa détermination de planter des arbustes pour protéger leur tombe.

 

En Chine, quand on rêve des parents, des proches morts, on considère que c’est un signe qu’ils ont besoin de quelque chose ou qu’ils ont un problème dans l’au-delà. Leurs souhaits doivent être respectés . Une nuit, mon grand-père mort m’est apparu en rêve, j’en ai informé ma famille par téléphone ; ma grande sœur a fait une offrande à ma place devant la tombe de mon grand-père, dans mon pays natal. Je ne pense pas que ce soit une superstition, c’est plutôt une tradition transmise de génération en génération.

En général, les Chinois ne croient pas en Dieu, mais il y a des gens qui croient quand même en quelque chose. Si un jour on ne croyait plus en rien, si on ne respectait personne, si on ne craignait rien, ce serait pour moi la fin du monde.

 

Ecrit le 22 novembre 2019 dans le carrel 28 de la BULAC, à l’INALCO,

à la suite de la projection du film le 14 novembre dans le cadre du Ciné-club Chine de l’INALCO.

 

 

 

Notes

(1) Sur ce désert, voir le diaporama (avec carte) :

http://www.slideshare.net/alainbayod/dsert-badain-jaran

(2) Sur cette famine, voir en particulier les nouvelles de Zhang Xianliang :

http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_ZhangXianliang.htm

et le livre « Stèle funéraire » (《墓碑》) de Yang Jisheng (杨继绳):

http://www.icilachine.com/culture/livres/1593-stele-funeraire.html

(3) Yang Jin, lui-même également réalisateur, est le directeur de la photo de tous les films de Li Ruijun, à commencer par le premier, « Solstice d’été » (《夏至》), sorti en 2007, une sorte de fable optimiste sur la quête du bonheur.

(4) Sur Su Tong, voir : http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_SuTong.htm

La nouvelle, peu connue, fera l’objet d’une présentation et traduction sur ce même site.

                                                                                                        

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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