par Brigitte Duzan, 8 octobre 2016, actualisé 4 décembre
2024
Geng Jun est un cinéaste indépendant, réalisateur et
scénariste, dont les films reflètent le
désenchantement bordant l’absurde souvent lié, dans
le cinéma chinois, au nord-est chinois dont il est
originaire.
Il est né à Hegang (鹤岗),
dans le Heilongjiang, en février 1976. Après avoir
terminé le secondaire en 1996, il est parti à Pékin
où il a enchaîné les petits boulots : vendeur de
raviolis surgelés, serveur dans des chambres
d’hôtel, gérant d’une salle de billard, éditeur d’un
journal, et vendeur d’annonces publicitaires.
Un univers à la Li Hongqi
Finalement, en 2002, il se lance dans la production
de courts métrages réalisés en numérique. Il réalise
tout de suite « Chinese Hawthorn » (《山查》)
et, l’année suivante,
Geng Jun
Sporadic Diaries, 2003
« Sporadic Diaries » (《散装日记》)
qui obtient en 2004 le prix du meilleur scénario au
1er festival international de vidéo.
C’est le prototype du film d’humour noir qui sera
l’une des caractéristiques du style de Geng Jun : il
se passe à Hegang, et fait le portrait de la
jeunesse désœuvrée et fauchée du coin qui passe ses
journées à glander dans les bars internet.
En 2004, il réalise son premier long métrage,
toujours en numérique, « Barbecue » (《烧烤》),
qui est en compétition au festival des 3-Continents
à Nantes, et l’année suivante au festival de
Rotterdam.
Geng Jun commence à être connu : on le compare à
Godard. Et c’est vrai qu’on pense souvent à Godard,
en voyant ses films, à « Pierrot le fou » ou « A
bout de souffle », en particulier… c’est le même
univers d’ennui et d’oisiveté, débouchant sur une
violence qui ne débouche sur rien. La posture
favorite des personnages de Geng Jun est debout
contre un mur, fumant une cigarette, dans une image
sans ouverture.
Mais l’influence, aussi, est celle de Li Hongqi (李红旗) :
l’atmosphère des films de Geng Jun ressemble
beaucoup à l’univers d’ennui, où il ne se passe
rien, caractéristique de films comme « Routine
Holidays » (《黄金周》)
ou « Winter
Vacation » (《寒假》).
D’ailleurs, Li Hongqi n’est pas seulement une
éminence grise derrière Geng Jun, il a participé au
montage de son film suivant.
Barbecue, 2004
C’est en 2009 que Geng Jun réalise son second long métrage,
« Youth » (《青年》),
qui poursuit sa peinture de la même jeunesse désorientée et
sans perspective, dans un nord-est désolé qui ne semble pas
avoir entendu parler du miracle économique chinois. Il est
impossible à ses personnages de se sortir
Youth
de leur condition de parias, ils se retrouvent à
l’hôpital, meurent dans des accidents, voient la
fille qu’ils aiment les abandonner pour d’autres, et
toute l’amitié du monde ne peut les sauver.
Avec son producteur
Fan Xin pour la présentation
de Youth au 4ème
festival de Rome (oct. 2009)
Poetry and Disease
En 2011, « Poetry
and Disease»
(《诗与病的旅程》)
est un documentaire de deux heures sur un poète,
Zhang Xixi (张稀稀),
qui a étudié dans une école de beaux-arts à Pékin
mais n’a pas supporté la vie dans la capitale.
Souffrant de dépression, il est rentré chez lui se
soigner. Sa maladie tourne à la schizophrénie, et il
tente de la guérir en écrivant des poèmes.
Ennui et humour noir
En 2012, Geng Jun revient vers le court métrage avec
« Airplane » (《飞机》),
puis réalise l’année suivante son film sans doute le
plus connu : un moyen métrage de 50 minutes sur
trois copains toujours aussi paumés que les
précédents, mais très drôles dans leurs efforts
désespérés pour s’en sortir, désespérés car ils ne
sont même pas capables de violence : avec « The
Hammer and Sickle Are Sleeping »
(《锤子镰刀都休息》),
Geng Jun est passé à la comédie, d’un humour noir
très réussi.
Airplane
Le film a obtenu le prix du meilleur court métrage
au 51ème
festival du Golden Horse à Taipei.
En 2016,
« Free
+ Easy
» (《轻松+愉快》)
poursuit dans le même style. C’est un film très
réussi qui a obtenu, entre autres, le prix spécial
du jury au festival Sundance en janvier 2017. Le
film est produit par
Blackfin, mais, parmi les
producteurs, on trouve aussi
Wang Xuebo (王学博),
autre cinéaste dans l’orbite de Li Hongqi.
En juin 2017,
Blackfin
a annoncé au Festival international de cinéma de
Shanghai (SIFF) la production d’un autre film de
Geng Jun, sélectionné par la plateforme de
financement du festival, SIFF Project : « Manchurian
Tiger »
(《东北虎》).
Le film est sorti en 2021 au festival de Shanghai où
il a décroché le Gobelet d’or du meilleur film de
fiction.
The Hammer and Sickle
Are Sleeping
Free+Easy
Bande
annonce
Être gay dans le nord-est
En
novembre 2024, Geng Jun a fait sensation lors de la 61ème
édition du festival du Golden Horse à Taipei où son film « Bel
Ami » (《漂亮朋友》)
a été quatre fois primé : meilleur acteur, meilleure photo
et meilleur montage, plus prix du public. C’est une nouvelle
production de Blackfin.
Derrière le titre se devine le roman de Maupassant – le
titre chinois est la traduction de « Bel-Ami », dans la
version de 1984. On a dit par ailleurs que le film est une
comédie légère à la française sur les gays du nord-est
(chinois). C’est bien la suite des films précédents, comme
le troisième volet d’une trilogie déjantée – d’ailleurs on
retrouve bon nombre des acteurs de « Manchurian Tiger »,
dont le principal, Zhang Zhiyong (张志勇),
qui a été primé. Mais c’est aussi, tout simplement, un film
sur la liberté, qui ne peut être que totale sinon ce n’est
plus la liberté, comme le dit l’un des personnages (100%的自由才是自由,
自由的四周只能是自由)…
Bande
annonce
Filmographie
Courts métrages numériquesDV短片
2002 Chinese Hawthorn
《山查》
30’
2003 Sporadic Diaries《散装日记》39’
Courts et moyens métrages
2012 Airplane
《飞机》24’
2013 The Hammer and Sickle Are Sleeping
《锤子镰刀都休息》50’
Longs métrages
2004 Barbecue《烧烤》97’
2009 Youth
《青年》108’
2011 Poetry and Disease
《诗与病的旅程》
120’ Documentaire