par Brigitte Duzan, 16 juin
2012, actualisé 16 septembre 2024
Gu Changwei (顾长卫)
a d’abord été chef opérateur, et il est reconnu
comme l’un des chefs opérateurs les plus géniaux du
cinéma chinois contemporain. Avec « Le
Paon » (《孔雀》),
en 2005, il
s’est affirmé également comme un metteur en scène de
grand talent.
Chef opérateur de la
cinquième génération
Gu Changwei (顾长卫)
est né en 1957 à Xi’an, dans le Shaanxi, dans une
famille d’enseignants. Tout jeune, doué d’une grande
sensibilité artistique, il envisage de devenir
peintre. C’est un enfant timide, qui bégaie un peu :
il en a longtemps gardé une certaine réticence à
s’exprimer en public.
Eveil d’un cinéaste
Gu Changwei
Après le
lycée, il a travaillé dans un cinéma local. C’est ainsi
qu’il a pu voir un grand nombre de films et a commencé à
s’intéresser au cinéma. Mais il lui a fallu attendre la fin
de la Révolution culturelle, et la réouverture de l’Institut
du cinéma de Pékin, en 1978, pour pouvoir commencer ses
études. Il fait donc partie de la célèbre promotion de 1982,
celle des réalisateurs dits de la cinquième génération, mais
lui est issu du département photo, comme Zhang Yimou.
La
première épreuve du concours d’entrée pour ce département
était une épreuve de dessin. La base de la sensibilité
artistique de ces futurs cinéastes était en effet picturale,
et Gu Changwei en est un exemple type. Mais ce n’est pas la
peinture chinoise qui l’a le plus influencé, comme il l’a
expliqué :
« Bien sûr, les films chinois ont une touche typiquement
chinoise, mais cela ne veut pas dire que l’on doive être
obsédé par la recherche de nos racines en peinture
traditionnelle. Ce n’est pas nécessaire. J’aime les tableaux
occidentaux parce qu’ils sont lumineux. La lumière est si
fascinante ! Quand j’étais enfant, j’aimais observer les
nuages. Il leur arrive de cacher le soleil, en le couvrant
petit à petit, tout doucement. Et soudain surgit un rayon de
lumière qui s’élance jusqu’à terre, comme une flèche. Tout
le sol est dans l’ombre, il y a juste, dans le lointain, ce
petit point de lumière. En voyant ce point bouger, j’avais
l’impression d’un signe du dieu de la nature. Une impression
quasiment cosmique. »[1]
Voilà
donc, dès l’abord, l’une des caractéristiques fondamentales
de Gu Changwei : il a su adapter son style à chacun des
films dont il a signé la photographie, mais on retrouve
chaque fois cet extraordinaire sens de la lumière. Il y est
souvent revenu, disant qu’il n’aimait pas les contrastes
violents, mais plutôt les lumières mystérieuses, un peu
fantomatiques, et surtout celles qui offrent une gradation
de nuances subtiles et fluides, comme les variations de
thèmes musicaux dans une symphonie.
Premiers pas
Il a
fait ses premiers pas de chef opérateur en participant à
l’un des films de fin d’études de l’Académie du cinéma :
« Our Fields », tourné en 1981 sur un scénario de Pan Yuanliang
(潘源良) :
une histoire terriblement prenante de jeunes envoyés
défricher les terres sauvages du Grand Nord. Gu Changwei fut
du groupe parti faire du repérage dans le nord du
Heilongjiang en mai 1981.
Le tournage dura ensuite six semaines, sous la
supervision de
Xie Fei (谢飞).
Des tensions se produisirent, Xie Fei voulant
parfois imposer ses vues pour gagner du temps. Gu
Changwei montra à plusieurs occasions qu’il avait
ses propres opinions sur la manière de filmer, et
qu’il était capable d’opiniâtreté quand ses
principes esthétiques étaient en jeu
[2].
A sa sortie de l’Institut,
il fut affecté au studio de Xi’an (西安电影制片厂).
Chef opérateur au
studio de Xi’An
Il fit là ses premières armes comme chef opérateur
de deux films de
Teng Wenji (滕文骥),
en 1984 et 1985 : « On
the Beach » (《海滩》)
et « Big Star » (《大明星》).
Puis, en 1986, il signa la photo du film de Zhang Zi’en (张子恩)
The Miraculous Pigtail
« The
Miraculous Pigtail » (《神鞭》),
adapté de la
nouvelle éponyme de
Feng Jicai (冯骥才).
Mais
c’est l’année suivante, en 1987, que sa carrière décolla
brusquement…
Chef
opérateur de Chen Kaige, Zhang Yimou, Jiang Wen…
C’est dans ce film,
véritablement, que Gu Changwei montre pour la
première fois l’étendue de son génie de la lumière
et des couleurs, le vert luxuriant tournant au rouge
du sorgho s’opposant à l’âpreté des ocres du désert
du Shaanxi, ces ocres mêmes que Zhang Yimou avait
magnifiés dans « La Terre jaune ». Gu Changwei révèle
dans ce film un sentiment profond, presque
religieux, de la nature et de la vie que l’on
retrouvera comme une ligne de fond dans son travail.
C’est
l’art de Gu Changwei qui permet au film d’atteindre la
dimension quasiment mystique que Zhang Yimou voulait lui
donner, en particulier dans les scènes à l’intérieur de la
distillerie, avec ses teintes dorées, comme noyées dans une
fumée d’encens.
Ce sont des couleurs
et une qualité d’image qu’on ne verra guère plus :
le film a été
tourné en Technicolor. En effet, les Américains
étant passés à une technologie plus rapide et moins
chère, les usines Technicolor avaient fermé leurs
portes un peu partout ; lorsque l’usine anglaise
ferma en 1978, elle vendit son matériel au
laboratoire de film et de vidéo de Pékin. Un grand
nombre de films de Chine continentale et de Hong
Kong furent alors réalisés en utilisant ce procédé.
En 1990, Gu
Changwei
travailla encore avec Zhang Yimou, pour tourner « Judou »
(《菊豆》),
également en Technicolor. Puis 1993 est pour lui une
année triomphale : celle de la sortie du film de
Chen Kaige « Adieu
ma concubine » (《霸王別姬》),
couronné de
la Palme d’or au festival de Cannes, ainsi que du
prix FIPRESCI de la critique internationale. Tout le
monde s’accorde pour reconnaître que la
photographie, signée Gu Changwei, est l’un des
facteurs de la réussite du film.
Adieu
ma concubine
In the Heat of the Sun
1993 est aussi l’année de son mariage avec l’actrice
Jiang Wenli (蒋雯丽),
et celle de sa
collaboration avec un réalisateur moins connu, Zhou
Xiaowen (周晓文),
comme chef opérateur de son film « The Trial » (《狭路英豪》).
Ce n’est pas
une œuvre majeure, mais le personnage principal est
interprété par
Jiang Wen (姜文).
Or l’année suivante,
en 1994, celui-ci passe derrière la caméra, et c’est
Gu Changwei qu’il choisit comme chef opérateur, pour
un film où la lumière est également importante : « In
the Heat of the Sun »
(《阳光灿烂的日子》).
Gu Changwei sera aussi son chef opérateur pour « Les
démons à ma porte » (《鬼子来了》),
cette fois-ci pour un superbe travail sur le noir et
blanc. Mais il se sera passé près de six ans entre
les deux…
Transition
Pendant les cinq années de 1995 à 2000, Gu Changwei
se forme aux Etats-Unis où il se familiarise en
particulier avec les méthodes de production
américaines. Il travaille alors avec des
réalisateurs américains, comme le réalisateur
shanghaien émigré Sherwood Hu
dont il est le chef opérateur pour « Warrior Lanling » (《兰陵王》),
film
qui lui vaut le prix de la meilleure photographie au
15ème festival de Hawaï en 1995. Il a
aussi travaillé avec
Robert Altman, pour « The Gingerbread Man » en 1997,
et en a appris pas mal de techniques.
2000 : Passage
derrière la caméra
Quand il rentre en Chine, en 2000, Gu Changwei
décide de passer lui-même derrière la caméra. Les
films qu’il tourne alors n’ont pas grand-chose à
voir avec ceux de la cinquième génération, et
beaucoup plus de points communs avec la sixième,
surtout pour le choix des sujets : des personnages
ordinaires de la vie
courante, marginalisés dans la société. Ils sont en
outre situés dans des petites villes chinoises où
ces personnages ont du mal à trouver une place qui
corresponde à ce dont ils rêvent.
Son premier film est « Le
Paon » (《孔雀》),
couronné de
l’Ours d’argent/Grand prix du jury au festival de
Berlin en février 2005. C’est l’un des films les
plus réussis sur le thème des difficultés rencontrés
par les gens modestes au moment où la Chine se
lançait dans son décollage économique.
L’expérience du réalisateur rejoint celle du
scénariste pour faire de ce film, à travers les vies
de deux frères et de leur sœur, le récit d’une
époque qui est celle de leur jeunesse à tous les
deux, la fin des années 1970 et le début des années
1980. Objectif, selon Gu Changwei lui-même :
« Laisser la vie se dérouler aussi naturellement que
possible… » Il y a une image symbolique, mais elle
est rejetée à la fin du film : elle l’éclaire a
posteriori.
En 2007, son second film,
« Le premier souffle du
printemps » ou « Lichun»
(《立春》),
n’a pas connu le même succès que le premier. Le
rôle principal y est pourtant magistralement
interprété par son épouse, l’actrice - et maintenant
réalisatrice -
Jiang Wenli (蒋雯丽),
qui a obtenu
pour son interprétation le prix de la meilleure
actrice au festival de Rome en 2007.
Ce personnage
principal est une femme « laide » - c’est spécifié
littéralement dans le scénario – qui a une superbe
voix et rêve d’être chanteuse d’opéra, mais n’arrive
pas à
Les démons à ma porte
Le paon (Peacock)
Lichun
dépasser le niveau
de petit professeur de chant dans une petite ville des
confins de la Mongolie intérieure. C’est un film complexe et
déroutant, qui reste méconnu.
2011 : Le tournant de « Love for Life »
Love for Life
Gu Changwei a eu du mal,
ensuite, à trouver le financement d’un autre film.
C’est sans doute ce qui l’a poussé à accepter la
commande du gouvernement pour un film sur le SIDA :
ce fut « Love
for Life »
(《最爱》)
en 2011. Encensé par beaucoup, c’est en fait un film
bancal et décevant, avec une première partie qui
ressemble plus ou moins à du Gu Changwei, et une
deuxième partie totalement différente, qui tourne à
la guimauve. Evidemment, on comprend bien que Gu
Changwei n’a pas eu les coudées franches, mais on
aimait bien l’étudiant obstiné qui s’opposait à son
maître Xie Fei. .
Malgré tout, on sent
encore dans ce film cette fabuleuse foi en la vie
qui est celle du réalisateur. C’est elle aussi que
l’on retrouve dans son superbe court métrage réalisé
en 2012 dans le cadre d’un
projet youku réunissant quatre
films sur le thème « Beauté 2012 » (“美好2012”):
« Long
Tou » (《龙头》).
Ce court métrage semble d’ailleurs être comme
l’émanation de la pensée qui n’a pas pu s’exprimer librement
dans « Love for Life ». D’ailleurs
on retrouve, comme acteurs, une
scénariste du film et l’écrivain Yan Lianke dont un
roman est sensé avoir fourni la base du scénario.
Il est quand même
rageant que ce soit un film comme « Love for Life »
qui ait valu à Gu Changwei la notoriété qu’il
n’avait pas réussi à obtenir avec ses deux premiers
films. On espérait cependant que le succès de ce
film lui permettrait de trouver les financements et
les soutiens nécessaires pour réaliser des projets
personnels… mais cela n’a pas été le cas.
Long Tou
Love on the Cloud
Gu Changwei est
ensuite passé à la comédie urbaine, avec « Love on a
Cloud » (《微爱之渐入佳境》),
sorti pour les fêtes de Noël 2014, un film dans
l’air du temps, production de la Huayi Brothers,
avec Angelababy et le nouvel acteur Michael Chen (ou
Chen He
陈赫),
dont le seul objectif était de parvenir à bien se
placer au box- office. Ce qu’il a assez bien réussi,
se plaçant en seconde position derrière la grosse
coproduction en 3D de
Tsui Hark sorti au même moment, «
The Taking of Tiger
Mountain » ou « La
prise de la montagne du Tigre » (《智取威虎山》).
2024 : Retour derrière la caméra avec « The Hedgehog »
Il aura fallu
attendre près de dix ans pour voir à nouveau un film
de Gu Changwei sur les écrans : ce film, c’est
« The Hedgehog » (《刺猬》),
adapté d’une nouvelle de Zheng Zhi (郑执)
intitulée « Le syndrome de l’immortel » (《仙症》).
Il a décroché le prix du meilleur scénario
[3] au 26e
festival de Shanghai en juin 2024, et il est sorti
en Chine le 23 août suivant.
« The Hedgehog »,
c’est-à-dire « le hérisson », est une histoire
typique de Gu Changwei : l’histoire d’un ado et de
son oncle, l’un - Zhou Zheng (周正)
- qui bégaie et se trouve pour cela marginalisé,
voire ostracisé, et l’autre – Wang Zhantuan (王战团)
- un peu fêlé, tout aussi inadapté à la vie sociale.
Deux anti-héros dans la Chine moderne, qui
s’épaulent en vivant dans leur rêve, hors des
contingences du quotidien.
The
Hedgehog
Le film
est porté par l’interprétation des deux acteurs principaux :
-Wang Junkai (王俊凯),
du boys’ band TFBoys, dans le rôle du jeune Zhou Zheng,
-et l’inénarrable
Ge You (葛优)
dans celui de son oncle Wang Zhantuan.