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Chen Kaige 陈凯歌

Né en 1952

Présentation

par Brigitte Duzan, 10 décembre 2013, actualisé 20 mai 2018

 

« La terre jaune » (《黄土地》) a fait de Chen Kaige, associé à Zhang Yimou qui en était le chef opérateur, l’emblème du renouveau du cinéma chinois au début des années 1980 et l’un des plus brillants chefs de file de ce qu’on a appelé la cinquième génération. Après une dizaine d’années difficiles, il semble avoir renoué avec une certaine exigence esthétique.

 

1952-1978 : Enfance dorée et jeune instruit au Yunnan

 

Enfance dorée

 

Chen Kaige (陈凯歌) est né à Pékin, en août 1952, dans une famille de cinéastes réputés. Son père était le célèbre réalisateur Chen Huai’ai (陈怀皑) et sa mère était scénariste ; tous deux avaient fait leurs études à l’Institut national d’art dramatique de Nankin où son père avait aussi enseigné.

 

Ses parents lui avaient donné le nom personnel de Aige (皑鸽),

 

Chen Kaige à Cannes en 2012

blanche/pure colombe, qui reprenait l’un des caractères du nom de son père. En 1965, à l’âge de treize ans, gêné par ce prénom encombrant au moment de s’inscrire à l’Ecole secondaire n°4, il opta pour celui, plus viril et conforme à l’air du temps, de Kaige (凯歌) : chant de triomphe !  

 

Son père, cependant, était toujours en tournage, de ci de là, il le voyait rarement ; c’est sa mère dont il fut le plus proche et qui commença à lui inculquer l’amour de la poésie et des lettres ; sa nourrice, qui était d’origine mandchoue, lui racontait les histoires du vieux Pékin. Littérature classique d’un côté, tradition orale de l’autre…

 

Dans la cour carrée de leur vieille demeure, cependant, parvenaient les échos des événements extérieurs : en 1965, les foires furent interdites, puis les cérémonies traditionnelles de funérailles et de mariage, et le marché culturel de Liulichang (琉璃厂) fut fermé. Bientôt la muraille de Pékin fut démolie. La Révolution culturelle s’annonçait.

 

"Handicap familial"

 

Son autobiographie (édition 1991)

 

Déjà sous surveillance, son père avait passé un an à la campagne dans le cadre du mouvement d’éducation socialiste dit « des quatre purifications » (四清运动), lancé en 1963,  puis il avait été envoyé étudier à l’Institut du socialisme. Au printemps 1966, le jeune Chen Kaige y fut convoqué pour aller le voir. Sa mère lui expliqua à son retour que son père avait adhéré au parti nationaliste en 1939, à l’âge de 19 ans, par pur patriotisme, alors que le pays était en guerre ; c’était le seul parti qu’il connaissait. En 1966, cependant, le Guomigdang était démonisé, il était la source de tous les maux du pays.

 

Chen Kaige participa, dans son école, aux attaques contre les professeurs, et en particulier leur professeur principal, qui avait toujours fait preuve de la plus grande gentillesse envers ses élèves. Et quand on amena son père dans leur cour pour

une « assemblée d’accusation », il était parmi la foule massée là, et cria avec les autres le slogan repris en chœur « A bas »… Il avait quatorze ans. Il ne reverrait son père que plusieurs années plus tard, émacié et édenté, dans une Ecole du 7 mai…

 

Il ne réussirait à surmonter le traumatisme qu’en écrivant son autobiographie, en 1989, comme une sorte d’expiation : « Le jeune Kaige » (《少年凯歌》) (1).

 

Jeune instruit au Yunnan

 

Le reste suit la logique du temps. De 1966 à 1968, il vit au jour le jour les arrestations autour de lui, les interrogatoires, les suicides et les luttes entre factions. Au printemps de 1969, il quitte Pékin avec dix grands tubes de dentifrice et une caisse de livres, accompagné à la gare par son père qui avait obtenu pour cela une autorisation spéciale. Il se retrouve dans la région autonome dai du Xishuangbanna, au Yunnan, dans une plantation de caoutchouc. Presque le calme après la tempête. Il y restera sept ans, avec deux permissions pour rentrer chez lui.

 

Pourquoi le Yunnan ? Parce que le climat y était meilleur que dans le Nord de la Chine, parce qu’il allait dans une ferme d’Etat, qu’il recevrait un salaire et aurait du riz à manger. C’était au moment où le conflit frontalier sino-soviétique avait conduit le gouvernement chinois à accélérer les plantations d’hévéas, matière stratégique. Le programme commença par un plan de déforestation, et la forêt tropicale disparut, les arbres abattus puis brûlés dans une sorte de folie collective. Les pages dans lesquelles Chen Kaige décrit la forêt en flammes, puis la montagne dénudée, noire et irréelle comme un décor de théâtre, sont parmi les plus poétiques de son autobiographie.

 

My Brother the Echo

 

En 1971, on vint le recruter pour entrer dans l’armée parce qu’il était un bon joueur de basket. Il quitta donc la plantation, mais resta dans le Yunnan.

 

Plus tard, à l’automne 1986, il reviendra sur les lieux pour préparer le tournage de son film « Le Roi des enfants » (《孩子王》) et il aura l’impression de ne jamais en être parti. Après ce film, au moment de partir aux Etats-Unis, en rangeant ses affaires, il retrouva le cahier qui avait été son journal de bord, pendant

qu’il était là-bas. Il y avait épinglé des papillons chassés pendant ses jours de congé. Le cahier était sali,

les ailes des papillons abîmées : il pensa qu’elles ressemblaient à sa vie, ces années-là….

 

En 1975, cependant, Chen Kaige peut revenir à Pékin, pour travailler dans le Laboratoire de traitement de films et vidéos (电影洗印厂). En 1978, à la réouverture des universités, il est admis à l’Institut du cinéma de Pékin, dans le département de mise en scène. Commence alors pour lui une période intensément créative.

 

1982-1992 : la décennie merveilleuse

 

Il participe en 1980 au tournage d’un premier film, pour la télévision du Fujian, comme assistant de Huang Jianzhong (黄健中). En juin 1982, à la fin de ses études à l’Institut du cinéma, il est affecté au Studio des enfants, à Pékin (北京儿童电影制片厂). Au printemps, il avait déjà travaillé dans ce studio avec Wang Junzheng (王君正) sur le tournage du film « My Brother the Echo » (《应声阿哥》), ce qui fut considéré

 

 

La Terre jaune

 comme son travail de fin d’études.

 

1. C’est alors qu’il rejoint le Studio du Guangxi (广西电影制片厂) et, avec Zhang Yimou comme chef opérateur, tourne le film qui amorce une nouvelle ère dans l’histoire du cinéma chinois : « La Terre jaune » (《黄土地》). Sorti en première internationale au festival de Hong Kong en 1985, le film suscita la stupeur, tant par la nouveauté du style, que par la hardiesse du propos : par le biais du sort réservé à la jeune Cui Qiao (翠巧), il laissait entendre que les paysans ne pouvaient rien attendre du Parti…

 

2. Chen Kaige enchaîne avec « La grande parade » (《大阅兵》), témoignage sur la préparation du 35ème anniversaire de la fondation de la République populaire. Toujours avec Zhang Yimou derrière la caméra, le film est moins novateur stylistiquement que « La Terre jaune », mais explore un thème nouveau, les relations entre le collectif et l’individu.

 

Chen Kaige en 1985, au moment du tournage de La Grande Parade

 

La grande parade

 

3. Chen Kaige est ensuite appelé par Wu Tianming (吴天明) au studio de Xi’an pour adapter la nouvelle d’A Cheng (阿城) « Le Roi des enfants » (《孩子王》). Le film reprend la critique du système éducatif développée par A Cheng dans sa nouvelle, mais y ajoutant une vision élargie du thème de la libre initiative et de la liberté individuelle. Cette fois, le chef opérateur n’est plus Zhang Yimou mais Gu Changwei (顾长卫) ; le film est une splendeur visuelle : c’est l’image qui porte le sens, bien plus que les dialogues.

 

Cependant, présenté à Cannes en 1988, le film n’a aucun succès ; les critiques le trouvent même ennuyeux. C’est pourtant certainement l’un des plus beaux films de Chen Kaige, sinon le plus beau. C’est celui qui lui est le plus personnel, fondé sur son expérience propre, et celui qu’il dit préférer de tous les films qu’il a réalisés.

 

4. Entre-temps, il a obtenu une bourse du Conseil culturel asiatique qui lui permet de partir étudier trois ans aux Etats-Unis, à l’Ecole de cinéma l’Université de New York.

 

Life on a String, le musicien aveugle


Au début de 1989, il tourne une vidéo musicale pour le single « Do You Believe in Shame » du groupe Duran Duran. Chacun des membres du groupe y est représenté dans une histoire différente, avec, à la fin, une série de dominos tombant les uns sur les autres, pour finalement former un point d’interrogation, comme sur la pochette du disque.
 

Duran Duran - "Do You Believe In Shame"


A son retour en Chine, il tourne « La vie sur un fil » (《边走边唱》), d’après une nouvelle de Shi Tiesheng (史铁生) : à travers le douloureux parcours de deux musiciens aveugles, il adapte ce qui était une méditation sur le sens de la vie, au-delà de la poursuite de rêves illusoires, en une fresque allégorique, visuelle et musicale.

 

5. Le succès vient en 1993 avec « Adieu ma Concubine » (《霸王别姬》), qui obtient la Palme d’or au festival de Cannes (ex-aequo avec « La leçon de piano » de Jane Campion). Le film marque un tournant dans la carrière et l’œuvre de Chen Kaige : il s’oriente désormais vers optique beaucoup plus commerciale, en concurrence directe avec son alter ego Zhang Yimou. Mais cette orientation ne donne pas de résultats probants.

 

1993-2012 : la décennie décevante

 

En 1996, avec « Temptress Moon » (《风月》) (2), Chen Kaige tente de capitaliser sur le succès de «  Adieu ma Concubine » en reprenant deux des trois acteurs, les deux plus « glamour », Gong Li (巩俐) et Leslie Cheung. Cela ne suffit pas : les critiques sont réservées et le public boude le film.

 

Trois ans plus tard, produit par China Film et Han Sanping, « L’Empereur et l’assassin » (《荆柯刺秦王》) est une fable 

 

Adieu ma Concubine

« en costumes » qui glose sur la nécessité d’un Empire unifié fort, avec à la fois Gong Li et

 

Chen Kaige (à g.) avec son père (au centre)

et le critique Chen Shanguo en août 1993

 

Zhou Xun (周迅), et, dans le rôle principal,  Zhang Fengyi (张丰毅) qui jouait déjà dans « Adieu ma Concubine ». Le film obtient le Grand prix technique au festival de Cannes. Il est lourdement didactique.

 

Les films suivants sont sans intérêt : « L’enfant au violon » (《和你在一起》) est un mélo larmoyant, « Wu Ji » (《无极》) un pseudo film de wuxia qui, tentant de surfer sur la vogue des films de ce genre déclenchée par « Tigre et Dragon », accumule les clichés et arrive de toute façon après la bataille ; « Mei Lanfang »

(《梅兰芳》) est une romance sans profondeur qui ne réussit pas à capter l’âme de cet immense artiste,

un film inutile qui n’ajoute rien au personnage, mais le dépeint au contraire sous un jour banal….

 

2012 et après…

 

Chen Kaige semble avoir tourné une nouvelle page en 2012 avec un film inattendu, adapté d’une nouvelle publiée sur internet et reflétant un fait de société inquiétant : « Caught in the Web » (《搜索》).  

 

Il a maintenant deux projets en préparation qui semblent se présenter comme deux volets d’un diptyque.. En juillet 2013, il était dans le Hubei avec son épouse Chen Hong (陈红) pour superviser les repérages pour son prochain film, une adaptation d’une série populaire de l’auteur japonais de science fiction, de récits d’aventures et d’arts martiaux Yumemakura Baku : « Le moine Kūkai » (《沙门空海》).

 

 

L’Empereur et l’assassin

 

Le Moine Kukai

 

Legend of the Demon Cat

 

Chen Kaige a ensuite annoncé avoir obtenu le visa de censure pour le scénario d’un nouveau film adapté d’un récit du maître de la littérature de wuxia contemporaine en Chine, Xu Haofeng (徐浩峰) (3).

 

1. Le film est sorti, le 7 juillet 2015, sous le titre « Monk Comes Down the Mountain » (《道士下山》), en 3D ainsi que sur les écrans IMAX. C’est le plus gros succès commercial de Chen Kaige, depuis ses débuts. Il annonce une vague de wuxiapian en Chine continentale…


2. L’histoire du moine Kukai est sortie en Chine en décembre 2017, sous le titre « Legend of the Demond Cat » (Yāo Māo Zhuàn妖猫传).   Il s’agit d’une coproduction sino-japonaise ; la moitié des acteurs sont japonais. Mais l’histoire est typiquement chinoise et se passe sous la dynastie des Tang, dans la capitale d’alors, Chang’an.

 

Le poète Bai Letian (白乐天) et le moine Kukai (僧人空海) conjuguent leurs forces pour traquer un mystérieux chat qui serait le véritable responsable de la mort de la concubine Yang Guifei. Le démon de chat a réussi à posséder la femme d’un général et sème le chaos dans la capitale… Le film est plutôt du genre fantastique que du véritable wuxia.

 


 

Filmographie

(hors courts métrages)

 

1984  La Terre jaune 《黄土地》

1986  La Grande Parade 《大阅兵》

1987  Le Roi des enfants 《孩子王》  d’après le roman d’A Cheng (阿城)

1991  La Vie sur un fil 《边走边唱》 d’après la nouvelle de Shi Tiesheng (史铁生)

1993  Adieu ma concubine 《霸王别姬》 Palme d’or au festival de Cannes

1996  Temptress Moon 《风月》 (2)

1999  L'Empereur et l'Assassin 《荆柯刺秦王》

2002  Feu de glace (Killing Me Softly) 《温柔地杀死我》

2002  L'Enfant au violon (Together) 《和你在一起》

2005  Wu Ji, la légende des cavaliers du vent (The Promise) 《无极》

2008  Mei Lanfang 《梅兰芳》

2010  Sacrifice 《赵氏孤儿》

2012  Caught in the Web 《搜索》  

2013  Le moine Kūkai 《沙门空海》 (en préparation)

2014  Monk Comes Down the Mountain 道士下山

2017 Legend of the Demon Cat妖猫传

 

 

Notes

(1) Publié en français sous le titre Une jeunesse chinoise, traduit du chinois par Christine Corniot, Philippe Picquier, 1995

(2) Wang Anyi a écrit un long article sur le film, à lire en ligne (en chinois) :

https://movie.douban.com/review/6641744/

(3) Sur Xu Haofeng (徐浩峰), voir :

www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_XuHaofeng.htm

 

 

 

 

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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