Huang
Wenhai fait partie des documentaristes chinois
engagés ; il a commencé sa carrière de
documentariste indépendant au début des années 2000,
et, en 2013, a choisi de partir vivre à Hong Kong
pour être plus libre de filmer comme il l’entend.
Formation
et débuts
Il est né
en 1971 dans la province du Hunan où il a grandi. Il
a étudié à l’Institut du cinéma de Pékin, puis, à la
fin de ses études, en 1996, est entré à la
télévision.
Il
commence véritablement sa carrière comme assistant
chef opérateur sur le tournage d’un film de
Ding Jiancheng (丁建成)
sorti en 2000 : « Paper » (《纸》).
Le film se passe au milieu des années 1970, dans un
petit village du sud-est de la Chine,
Huang Wenhai
où un vieil homme
collecte des affiches pour faire des collages ; ce faisant,
il raconte sa vie, et celle de sa fille disparue, à un jeune
garçon – des vies fragiles comme des morceaux de papier.
Huang Wenhai à la fin
de ses études en 1996
Ce genre
de réflexion et de travail intéresse plus Huang
Wenhai que
les documentaires pour la télévision qui lui
semblent trop superficiels. Il décide de devenir
documentariste indépendant et, en 2001, démissionne
de CCTV.
Il
commence par être producteur, du documentaire de Hu
Ze (胡择)
sorti en 2002 : « Beijing Suburb » (《北京郊区》).
Le documentaire fera partie du programme spécial
« De Yuanmingyuan à Songzhuang » programmé lors du 1er
festival du cinéma indépendant de Pékin en 2006,
avec « Des vies d’artistes de
Yuanmingyuan » (《圆明园的画家生活》)
deHu Jie
(胡杰)et « Adieu
Yuanmingyuan » (《告别圆明园》)
de
Zhao Liang (赵亮).
Ces
premiers pas sont presque une manière de se créer une
généalogie.
Documentariste
indépendant
Trilogie de
l’absurde
1. En août
2002, caméra au poing, Huang Wenhai va filmer des
adolescents dans un camp d’entraînement militaire
pendant dix jours des vacances d’été, à Langfang (廊坊),
dans le Hebei. Ils étaient tous des fils uniques, de
familles ordinaires, et c’était la première fois
qu’ils vivaient ainsi hors de leur famille. Huang
Wenhai montre dans son film les changements
intervenus dans leurs rapports entre eux, avec leurs
parents et leurs enseignants.
2. Puis,
l’année suivante, il retourne dans son village
natal, dans le Hunan, filmer la vie des gens
ordinaires qui continuent à y vivre, des gens
misérables bien que le pays soit en pleine
croissance à deux chiffres. Cependant, comme,
justement, c’est théoriquement une période d’argent
facile, ils rêvent d’en profiter eux aussi. Mais
tous leurs efforts échouent. Le point fort du film
est dans sa conclusion, laissée à l’initiative des
personnages filmés, avec leur accord. Cette
expérience a fait réfléchir Huang Wenhai sur ce que
lui-même était devenu, et, en lui donnant un
sentiment d’absurdité, lui a donné envie de
continuer en faisant une « trilogie de
l’absurde ».
Le film
s’intitule en français « Poussière hurlante » (《喧哗的尘土》),
et il a été primé au festival d’Amsterdam ainsi
qu’au FID à Marseille en 2004.
3. Son
documentaire suivant, « Les Somnambules » (《梦游》),
s’inscrit donc dans cette perspective. Il est en
noir et blanc. Huang Wenhai voulait montrer la
résistance opposée par les artistes dans un régime
totalitaire, et la relation entre l’artiste et l’art
dans un tel régime. Après le tournage, cependant, il
se retrouve avec des heures de rushes qui ne
correspondent pas à ce qu’il attendait ; il est
bloqué. Finalement, ses personnages ont désiré
changer, mais ont seulement réussi à s’auto-exiler,
se marginaliser. Huang Wenhai a l’impression de se
trouver devant les sculptures de Giacometti,
l’homme immobile… c’est l’immobilisme qui prime.
Il trouve
son film raté, car trop simplifié, dit-il, mais on
ne sait pas trop si c’est vraiment la cause de son
rejet, ou si ce n’est pas plutôt que tout cela est
déprimantpour lui.
4. Il
achève sa trilogie avec « Nous » (《我们》),
un documentaire
coproduit avec la télévision suisse qui poursuit ses
portraits de gens ordinaires. Ici, le personnage
central est un vieil homme de 90 ans qui est devenu
membredu Parti en 1937 et a été un temps secrétaire
de Mao ; mais il a ensuite défendu les idées de
démocratie ce qui lui a valu de nombreuses années de
prison. Pourtant, ni lui ni ses camarades plus
jeunes – au total trois générations - n’ont cessé
d’exprimer leurs opinions libérales et leurs pensées
politiques en faveur d’une ouverture.
Huang Wenhai les laisse parler, ils se lancent dans
de longs monologues, sur des sujets religieux autant
que politiques, le problème essentiel étant de
refuser l’obéissance au système que demande tout
système totalitaire, en se demandant ce qu’on peut
devenir dans la Chine aujourd’hui. Ce qui frappe,
c’est leur ténacité. Elle va devenir celle de Huang
Wenhai aussi.
Son film
obtient une Mention
spéciale décernée par le jury de la section
Orizzonti de la Biennale de Venise en septembre
2008. Il sera ensuite programmé au festival des 3
Continents en 2010.
5.
Huang Wenhai
tourne ensuite « Reconstructing
Faith »
(《西方去此不远》),
un documentaire filmé dans un monastère bouddhiste
de près de trois cents personnesprès de chez lui, à
Yueyang dans le Hunan (湖南岳阳).
C’est une
Poussière hurlante,
2003
Somnambules, 2006
Women, 2008
Reconstructing Faith,
2009
tentative de
trouver une autre réponse à la même question. Les moines du
monastère sont des gens qui
Huang Wenhai
présentant “Reconstructing Faith” à la Biennale
de Venise avec son
producteur Chen Zhiheng 陈志恒
sont
entrés là depuis plusieurs dizaines d’années, et
c’est grâce à la religion bouddhiste qu’ils espèrent
améliorer leur vie, et leur âme.
6. En 2010,
Huang Wenhai réalise un court métrage intitulé
« Crust » (《壳》)
qui est présenté à la Biennale de Shanghai.
Il filme
des ouvriers migrants qui travaillent dans un
chantier naval sur les bords du Yangtse. Vivant dans
des cahutes de misère, ils fabriquent des
super-paquebots pour une compagnie allemande. Le
contraste est déjà saisissant, mais l’extérieur est
noyé dans le brouillard, et les intérieurs sont
sombres. Il y a donc une certaine opacité, un manque
de visibilité qui frappe autant le travail de ces
hommes, que les rapports de leur travail – et
indirectement leurs propres rapports – avec le
capital transnational qui gère leur quotidien. La
musique ajoute au sentiment claustrophobique qui se
dégage de tout le film.
Mais c’est
un court métrage de transition…
Crust, 2010
Peur… Pause… Exil
Le tournage de « Nous » n’avait pas été
sans problèmes ; Huang Wenhai a manqué de justesse être
appréhendé alors qu’il était à l’hôpital auprès d’une
ouvrière qui avait été frappée et blessée par la police. Or,
parmi les personnes interviewées pour le documentaire
figurait le dissident Liu Xiaobo. Trois mois après la
première du film à la Biennale de Venise, Liu Xiaobo était
arrêté pour avoir signé la Charte 08
[1].
A partir de là, Huang Wenhai a été suivi et surveillé.
Deux ans plus tard,
après son retour à Pékinaprès avoir
présenté « Reconstructing
Faith » à
Venise, il est emmené et questionné par la police, qui lui
demande, entre autres, s’il a l’intention de filmer le dalai
lama ! L’expérience lui fait peur, et il se retire pendant
plusieurs mois dans un monastère. C’est là qu’il prend le
nom monastique de Wen Hai (文海)
dont il signe ensuite ses films.
Puis il
part dans le Yunnan rejoindre
Wang Bing (王兵)
qui était en train de tourner ce qui aller devenir
« Les trois sœurs » (《三姊妹》).
Il lui sert dechef opérateur en se disant qu’il
était a priori peu dangereux pour lui de participer
au tournage d’un film sur trois petites filles dans
un village perdu des montagnes du Yunnan.
Effectivement, il n’a pas été inquiété pendant les
deux ans qu’il a passé là avec Wang Bing. Mais il a
eu droit à une nouvelle descente de police dès qu’il
est revenu à Pékin.
Finalement,
quand une université de Hong Kong l’a approché en
2013 pour lui demander d’écrire un livre sur
l’histoire récente des documentaires en Chine, il a
accepté l’offre et est parti à Hong Kong. Le livre a
été publié en octobre 2016 sous le titre « Le regard
de l’exil : témoignage sur les documentaires
indépendants chinois ».
C’est ainsi
qu’il a pu mener à bien son septième documentaire,
plus engagé que tous ceux qu’il avait réalisés
jusque-là, et qui lui aura demandé quatre ans de
travail.
Documentariste plus engagé que jamais
7. Ce
documentaire, « We, the Workers » (《凶年之畔》)
[2],
a été présenté en première mondiale au festival de
Rotterdam en janvier 2017, et figure en compétition
au festival Cinéma du réel à Paris fin mars.
Pour
réaliser ce film, Huang Wenkai a passé un an à vivre
avec les personnages filmés dans des logements
exigus du Guangdong. Il en a rapporté des images
frappantes des usines et des chantiers navals, mais
surtout des conditions éprouvantes dans lesquelles
les activistes des ONG et autres organismes de
défense des droits des travailleurs encouragent
ceux-ci à s’unir pour lutter pour leurs droits et
leurs salaires,
We, the Workers 2017
(affiche du festival
de Rotterdam)
L’histoire du
documentaire indépendant,
par Huang Wenhai
au risque de se
faire enlever et tabasser par des hommes de mains payés par
les industriels, avec l’accord tacite des autorités locales
et des agents de la sécurité nationale.
We, the
Workers, trailer
Filmographie
Réalisateur
2002 Au camp
d’entraînement militaire
《军训营纪事》 -
71 min
Trilogie de
l’absurde :
2003 Poussière
hurlante /Floating Dust
《喧哗的尘土》
- 111 min