Tang Shu Shuen
唐書璇/唐书璇
Présentation
par Brigitte
Duzan, 02 juillet 2012
Tang Shu
Shuen (ou Shuxuan) est née en 1941 au Yunnan, mais a
grandi à Hong Kong.
Réalisatrice de Hong Kong
Son
grand-père (paternel) était gouverneur du Yunnan, et
participa au renversement du gouvernement militaire
de Yuan Shikai. Elle avait seize ans quand la
famille alla s’installer à Taiwan où son père avait
été recruté par le gouvernement du Guomingdang. Mais
elle s’est dissociée de cette politique familiale,
au point de supprimer son patronyme des
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Tang Shu Shuen sur le
tournage de « L’arche »,
avec l’actrice Lisa Lu |
documents en
anglais sur elle et ses films (1). Elle figure également au
générique de la version sous-titrée en français de son film
« The Arch » sous le nom de Shu Shuen.
Elle a vécu trois
ans à Taiwan avant de partir aux Etats-Unis en 1960 étudier
le cinéma à l’université de Californie du Sud. Elle est
revenue à Hong Kong au milieu des années 1960, à un moment
où la colonie britannique traversait une période de crise
liée à l’industrialisation du territoire, entraînant des
troubles sociaux reflétant des sentiments nationalistes
exacerbés. Ils se traduisirent en 1966 par une vague de
protestations étudiantes et ouvrières, puis, en 1967, par
des démonstrations anti-impérialistes qui furent ensuite
instrumentalisées par les maoïstes.
Le cinéma aussi
était en crise, à Hong Kong, comme la culture en général. Le
cinéma cantonais, en particulier, avait à faire face à la
double concurrence de la télévision et du cinéma en
mandarin, réagissant par des productions orientées vers les
films de kungfu.
Dans ce contexte,
Tang Shu Shuen émergea comme une voix nouvelle dans le
cinéma de Hong Kong, explorant des thèmes sociaux qui
allaient devenir les sujets privilégiés par la
Nouvelle Vague dans les
années 1970/1980, en revenant à des thématiques qui avaient
été celles du réalisme social du cinéma cantonais des années
1950.
En même temps, elle
était réalisatrice dans un monde essentiellement masculin,
et l’une des premières réalisatrices chinoises notables,
après Esther Eng, première réalisatrice de Hong Kong,
célèbre pour ses « 36 amazones » en 1939 (2), et Ren Yizhi (任意之) qui fut d’abord actrice et scénariste avant d’accéder à la fonction de
réalisatrice en 1957 et tourna un quinzaine de films
jusqu’en 1972.
Tang Shu Shuen
était cependant une voix résolument différente. Elle n’a
tourné que quatre films, mais ils ont suffi à faire d’elle
une figure emblématique et un sujet d’étude fascinant.
Quatre films
« L’arche » |
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Elle est
surtout connue pour ses deux premiers films :
« L’arche »
(《董夫人》)
sorti en 1969 et « China Behind » (《再见中国》)
en 1974.
« L’arche »
est un film de toute beauté sur le tragique
sort d’une femme que le veuvage a condamnée à la
solitude et à la frustration affective et sexuelle
dans un village où elle fait figure de modèle de
vertu, comme dans le grand classique des « femmes
exemplaires ». C’est un film unique qui a
immédiatement posé Tang Shu Shuen en réalisatrice
« en avance sur son |
temps ». Présenté
au festival de Cannes , à la Quinzaine des réalisateurs, et
distribué en France, couronné de trois Coqs d’or à Taiwan,
il est resté un film culte même s’il a totalement disparu
des écrans.
« China Behind »
suit le périple éprouvant d’un groupe d’étudiants chinois
qui tentent de passer illégalement à Hong Kong pendant la
Révolution culturelle. Le film dressait un tableau aussi
sombre vis-à-vis de la Chine communiste que critique
vis-à-vis de Hong Kong et valut au film une interdiction de
treize ans par les autorités de la colonie britannique. Il
ne fut projeté pour la première fois qu’au festival de Hong
Kong en 1984.
Il fut suivi de
deux autres films moins connus : « Sup Sap Bup Dap »
ou « Out of Place » (《十三不搭》)
en 1975 et « The Hong Kong Tycoon » (《暴发户》)
en 1979. Le premier est une comédie satirique sur la passion
des gens de Hong Kong pour le jeu ; le second un mélodrame
qui dépeint l’ascension sociale d’un Hongkongais ordinaire.
Ces quatre films
sont réalisés dans des styles totalement différents.
« L’arche »
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« Sup Sap Bup Dap » ou
« Out of Place » |
apparaît comme le résultat de recherches
esthétiques et stylistiques déjà très
abouties, en noir et blanc,
remarquablement interprété et dirigé, et accompagné d’une
extraordinaire musique sur instruments traditionnels.
« China Behind », également en noir et blanc, est au
contraire filmé dans un style quasi documentaire, avec des
acteurs non professionnels, tandis que « Sup Sap Bup Dap »
ou « Out of Place »
est construit comme une série de courtes séquences colorées
dans un style presque télévisuel.
En dépit de
l’hétérogénéité stylistique, ces quatre œuvres se complètent
et se répondent pour former un corpus exprimant une
subjectivité féminine originale et articulée.
Tang Shu Shuen
lança également, en 1976, une revue de cinéma : le
bihebdomadaire Close Up (《大特写》).
L’échec commercial de ses œuvres l’incita cependant à
abandonner le cinéma. En 1979, elle repartit aux Etats-Unis,
à Los Angeles, où elle ouvrit un restaurant qui eut beaucoup
plus de succès que ses films. Elle y vit encore.
Elle a pourtant
joué un rôle précurseur, annonçant dix ans à l’avance la
Nouvelle Vague du cinéma de
Hong Kong.
Notes
(1) Selon sa
biographe Yau Ching, in Filming Margins: Tang Shu Shuen, A
Forgotten Hong Kong Woman Director, Hong Kong University
Press, juin 2004, 304p.
(2) Elle est taxée
de “First lady of Chinese cinema”, mais elle avait été
précédée par Xie Caizhen
(谢彩贞),
actrice devenue réalisatrice qui tourna un film dans les
années 1920.
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