Repères historiques : cinéma de Hong Kong
IV. 1979-1984 La Nouvelle Vague par Brigitte
Duzan, 27 mars 2013
C’est en 1978
qu’émerge dans le cinéma hongkongais un mouvement que l’on a
appelé « Nouvelle Vague » par analogie avec la Nouvelle
Vague française, même si les deux « vagues » n’ont que peu
de choses en commun, hormis la soudaineté de leur apparition
et leur revendication d’un cinéma d’auteur.
Le terme est apparu
pour la première fois en 1976, dans un article du premier
numéro d’une revue de critique de cinéma et de télévision
intitulée « Close Up » (大特写) :
« Les trois chaînes de télévision sont en train de former de
nouveaux réalisateurs. Une nouvelle vague est en train
d’émerger qui va pousser les anciens cinéastes à aller de
l’avant…. » (1)
Quelques temps plus
tard, le Ming Pao (明报)
reprenait la même prédiction, ajoutant que la nouvelle
génération produirait des films cantonais. L’émergence de la
Nouvelle Vague a en effet coïncidé avec le retour sur le
devant de la scène cinématographique hongkongaise des films
cantonais qui avaient subi une éclipse pendant toute la
décennie.
1978 : Naissance de la Nouvelle Vague
hongkongaise
C’est un
film, produit par une nouvelle société de
production, qui est considéré comme l’acte de
naissance de la Nouvelle Vague, à Hong Kong, en
1978.
« The
Extra »
C’est en
effet en 1978 que trois cinéastes qui travaillaient
pour la chaîne de télévision RTHK, Dennis Yu (余允抗),
Yim Ho (严浩)
et
Ronnie Yu (于仁泰),
forment une nouvelle société, la Bang Bang Film
Company (缤缤电影制作),
pour produire « The Extra » (《茄哩啡》),
réalisé par Yim Ho et sorti à la fin de l’année.
Le film
raconte avec chaleur et empathie l’histoire d’un
jeune venu d’une famille pauvre qui tente de
survivre en jouant des petits rôles de figurant
(d’où le titre). Il est aussitôt salué par la
Yim Ho
Dennis Yu
critique
et suivi, l’année suivante, d’une série de quatre
autres films de
jeunes cinéastes de profil et d’âge similaires :
« The Secret » (《疯劫》)
d’Ann
Hui (许鞍华),
« Butterfly Murders » (《蝶变》)de
Tsui Hark (徐克), « Cops and Robbers » (《点指兵兵》)
d’Alex Cheung (章国明)
et « The System » (《行规》)
de Peter Yung Wai-chuen (翁维铨).
Cette même
année 1979, la revue « New Generation » (新一代)
débute une série d’interviews des nouveaux
réalisateurs ; les résultats sont publiés dans une
nouvelle rubrique les concernant où ils sont
désignés expressément sous le terme générique de
Nouvelle Vague. Le mouvement est lancé.
Ces
cinéastes qui ont à peine trente ans ne sont
pourtant pas des inconnus ; ils se sont déjà fait
connaître par leur travail à la télévision.
Des transfuges de
la télévision
Dans les
années 1970, la télévision de Hong Kong a joué un
rôle essentiel dans la constitution d’une culture
locale, en cantonais, et d’une identité propre à ce
qui était encore une colonie britannique. Dans la
seconde moitié de la décennie, en particulier, la
télévision a joué un rôle primordial dans le
rajeunissement et le renouvellement du cinéma de
Hong Kong, en formant tout un réservoir de jeunes
talents.
1. HK-TVB est la première des trois chaînes évoquées par l’article de « Close
Up ». Elle cessa en effet dans les années 1970
d’importer ses programmes de l’étranger pour en
produire de plus en plus localement. En 1972, la
chaîne fit des
The Extra
expériences dans des styles docu-drama qui furent ensuite reprises dans
des séries réalisées par Patrick Tam (谭家明)
ce qui le rendit populaire et amorça sa carrière
cinématographique.
Alex Cheung
En 1976,
TVB lance officiellement une unité de production de
films dirigée par le réalisateur Lau Fong-kong. Il
embauche toute une équipe de jeunes cinéastes, dont
Ann Hui (许鞍华),
Dennis Yu (余允抗),
Yim Ho (严浩),
Alex Cheung (章国明),
Ng Siu-wan (吴小云),
qui, à quelques exceptions près, dont Alex Cheung,
étaient allés étudier dans des écoles de cinéma à
l’étranger avant de revenir travailler à Hong Kong.
Il produit alors des séries de films qui
représentent les débuts de la Nouvelle Vague : CIC
en 1976, Social Worker, Seventeen, Interpol en 1977,
The Detective Story et Taxi Driver en 1978.
L’unité est
dissoute en 1979 pour filmer en vidéo. Mais d’autres
jeunes cinéastes travaillaient aussi pour la chaîne,
en dehors de l’unité de cinéma, dont
Tsui Hark (徐克),
Clifford Choi (蔡继光)
ou Kirk Wong (黃志強).
2. L’autre chaîne importante pour la
formation des cinéastes de la Nouvelle Vague fut Radio
Television Hong Kong (RTHK)
qui avait l’avantage d’être financée par le gouvernement et
n’avait donc pas les contraintes des chaînes commerciales,
soumises à une concurrence féroce.
A partir de 1974, RTHK
produit la série de films sans doute la plus
populaire de son histoire, et celle qui va durer le
plus longtemps : « Below the Lion Rock » (《獅子山下》) ;
vu leur succès, les films passent à une heure en
1978 ; ceux réalisés en 1978 et 1979 sont signés de
grands noms de la future Nouvelle Vague et portent
déjà leur marque :
Ann Hui (许鞍华),
Allen Fong (方育平),
Kirk Wong (黃志強), David Lam (林德禄),
Rachel Zen (单慧珠),
etc…
3. La
troisième chaîne importante pour la Nouvelle Vague
fut Commercial Television CTV, créée en 1977.
C’était cependant le moment où l’âge d’or de la
télévision de Hong Kong était à son apogée, ainsi
que le rôle primordial qu’elle joua dans la création
d’une culture locale. La chaîne disparut dès 1979.
Sa fermeture entraîna le passage au cinéma des deux
jeunes réalisateurs qui y avaient été embauchés
Patrick Tam
- Patrick Tam (谭家明)
et Tsui
Hark (徐克).
D’autres suivirent, poursuivant lemouvement amorcé l’année
précédente par Yim Ho et Dennis Yu quand ils avaient quitté
RTHK, mouvement baptisé Nouvelle Vague par la presse.
1979-1984 : un
mouvement très diversifié
Tsui Hark
Nouvelle
Vague, certes, mais qui n’avait rien d’un mouvement
concerté. C’était tout au plus une réaction aux
circonstances, et une réaction de survie. Ces jeunes
cinéastes avaient en commun une approche réaliste,
sensible aux problèmes sociaux de leur temps,
acquise à la télévision, et un style en rupture avec
la génération précédente ; ils répondaient aux goût
d’une société qui s’était diversifiée en
s’enrichissant. Ils n’avaient cependant pas de
programme commun et encore moins de ligne
dogmatique.
La Nouvelle
Vague s’est traduite, en cinq ans, par une floraison
d’œuvres de genres et de styles différents, dont le
seul point commun est sans doute l’originalité, la
recherche esthétique et la créativité. Même quand
ils investissent le domaine traditionnel du wuxia
ou des films de fantômes, ces réalisateurs se
jouent des conventions et des codes du
genre. Le premier
film de Tsui
Hark, « The Butterfly Murders », ou le
second d’AnnHui, « The Spooky
Bunch », en sont des exemples types.
Mais ils
vont tous évoluer très vite vers des styles
correspondant à leur personnalité propre, à leur
vision de la vie et de la société. C’est ce qui les
rapproche de la Nouvelle Vague française : une
conception très personnelle de l’œuvre
cinématographique comme cinéma d’auteur, fondée sur
le concept de « caméra-stylo » développé par
Alexandre Astruc :
« L’auteur écrit avec sa caméra comme un écrivain
écrit avec un stylo ».
Malgré leur diversité, on peut définir quelques aspects thématiques des
films de la Nouvelle Vague :
-une
sensibilité particulière aux questions sociales, et
en particulier au sort des femmes ;
-l’expression
d’expériences individuelles se fondant dans la
mémoire collective ;
-des
préoccupations plus politiques sur l’identité
Ann Hui
nationale, et celle
des immigrés dans un contexte culturel étranger ;
-la
déconstruction/reconstruction de légendes classiques…
Autant de thématiques qui sont cependant traitées de façon originale par
des procédés nouveaux autant narratifs que visuels. S’il est
un point commun à tous les réalisateurs de la Nouvelle
Vague, c’est certainement l’innovation.
Déclin après 1984
La
Nouvelle Vague a connu
sa période de plein épanouissement pendant les années
1980-1982. Une trentaine de films furent alors réalisés.
Mais, à partir de 1984, le mouvement fut peu à peu
marginalisé par l’essor des comédies de Cinema City qui
devinrent les grands succès commerciaux de Hong Kong.
Cinema City (新艺城)
avait été créée à l’origine par trois acteurs,
Raymond Wong, Karl Maka et Dean Shek (黄百鸣、石天、麦嘉),
sous le nom de Warrior Films (奋斗影业公司).
Mais la société fut recapitalisée – et rebaptisée - en 1980
par l’entrée au capital du PDG de Kowloon Motor Bus (九龙巴士公司).
Tsui Hark y travailla de 1981 à 1983. Elle vint alors
concurrencer les grands du secteur, Golden Harvest et Shaw
Brothers.
Le premier logo de Cinema City
La société commença
par produire des comédies à petits budgets, mais se
spécialisa à partir de 1980 dans la comédie d’action, avec
des stars populaires, dont Chow Yun-fat. Peu à peu formatés
et standardisés du scénario à la réalisation, ces films
devinrent d’immenses réussites commerciales qui
correspondaient aussi avec l’esprit qui régnait à Hong Kong
après la déclaration commune sino-britannique signée en
1984, annonçant la rétrocession du territoire à la Chine en
1997 : les Hongkongais anxieux virent leur salut dans la
fuite, et d’abord la fuite dans la distraction.
Ce concours de
circonstances, à nouveau, entraîna le déclin de la Nouvelle
Vague. Les réalisateurs rejoignirent un secteur commercial
gonflé par l’arrivée de producteurs indépendants et donc
très concurrentiel. Ils n’en perdirent pas pour autant leur
créativité, mais ils durent l’adapter à de nouvelles
exigences, incluant les résultats au box office.
(1) Cité par
Pak Tong Cheuk, Hong Kong New Wave Cinema, Intellect Press,
Bristol/Chicago 2008, p.10.