par Brigitte Duzan, 24 novembre 2018, actualisé 21 janvier 2025
Née à
Chongqing en 1940, Wang Haowei (王好为)
est une réalisatrice renommée et prolifique de la quatrième
génération, génération réellement sacrifiée car c’est celle
des jeunes qui ont terminé leurs études peu de temps avant
la Révolution culturelle. Wang Haowei n’a pu réaliser son
premier film qu’en 1979.
Wang Haowei à ses
débuts
Elle a
pourtant commencé sa carrière dès l’enfance en jouant un
petit rôle au cinéma. Au collège, elle a continué des
activités de théâtre, comme actrice mais aussi metteuse en
scène.
En
1958, elle entre à l’Institut du cinéma de Pékin dont elle
sort diplômée en 1962. Elle commence alors comme scripte
puis assistante réalisatrice au studio de Pékin, studio où
elle va tourner la majorité de ses films. Les deux premiers
films auxquels elle collabore sont le film d’opéra « Yang
Naiwu et Xiao Baicai » (《杨乃武和小白菜》)
en 1962 et « L’esprit du dragon-cheval » (《龙马精神》)
en 1965.
Il lui
faut ensuite attendre la fin de la Révolution culturelle
pour pouvoir recommencer à tourner. Elle est d’abord, en
1975, assistante de Chen Huaikai (陈怀皑)
et Qian Jiang (钱江)
pour le tournage de l’un des
grands classiques de la fin de la Révolution culturelle :
« Haixia » (《海霞》),
adapté du roman de Li Ruqing (黎汝清)
« Les miliciennes de l’île » (《海岛女民兵》).
En
1976, elle coréalise « Bright Ocean Pearl » (《海上明珠》)
avec Lin Yang (林扬).
Puis, à partir de 1979, elle réalise des films avec son mari
Li Chensheng (李晨声)
comme chef opérateur.
Une
comédie
C’est
en 1979, en effet, qu’elle réalise son premier film seule :
« What a Family » (《瞧这一家子》),
sur un scénario écrit par un scénariste du studio de Pékin,
Lin Li (林力).
C’est un film qui relate la vie d’une famille pékinoise
ordinaire à travers le conflit entre deux générations, père
et fils, mais sur un mode humoristique. C’est l’une des
rares comédies réalisées après la Révolution culturelle.
What a Family, 1979
Liu Xiaoqing (刘晓庆)
interprète avec brio le rôle d’une vendeuse qui lui a valu
la même année le prix des Cent Fleurs de la meilleure
actrice dans un second rôle. Le film a également obtenu le
prix du meilleur film décerné par le ministère chinois de la
Culture.
Par la
suite, dans les années du boom économique, les acteurs
interprétant le père et le fils, Chen Qiang (陈强)[1]
et Chen Peisi (陈佩斯),
qui jouaient pour la première fois ensemble dans le film de
Wang Haowei, ont tourné des comédies ensemble, sur le thème
« Il est glorieux de s’enrichir ».
What a
Family
《瞧这一家子》
Wang
Haowei alterne ensuite sujets ruraux et sujets urbains.
L’amour à la campagne
En
1981, « The Invisible Web » (《潜网》),
de nouveau avec Liu
Xiaoqing,
est une critique de l’inégalité des jeunes devant le
mariage, les jeunes filles étant prises dans une « toile
invisible ». C’est le même sujet qu’elle reprend dans l’un
de ses films les plus célèbres, réalisé en 1983 et sorti
l’année suivante : « Beiguo Hongdou » (《北国红豆》),
adapté d’un roman de l’écrivaine Qiao Xuezhu (乔雪竹),
Beiguo Hongdou Yexiangsi (《北国红豆也相思》),
et interprété par le duo de grands acteurs Liu Xiaoqing et
Zhang Guomin(张国民).
Projet
d’affiche pour Beiguo hongdou
La
jeune Lu Xuezhi (鲁雪枝)
quitte sa ville natale pour aller vivre avec sa sœur aînée
dans les montagnes du Daxing’anling (大
兴安岭),
dans le nord du Heilongjiang, où elle trouve à s’embaucher
comme cuisinière dans une scierie. Elle travaille dur, et
s’éprend d’un travailleur honnête. Mais son beau-frère
n’approuve pas leur liaison et s’oppose à leur mariage. Avec
l’aide du professeur Jiang Youlin (江有林),
Xuezhi décide de gagner son indépendance, mais elle devient
de plus en plus attachée à Youlin, et se retrouve dans une
grande confusion de sentiments.
Outre
l’interprétation, le film est remarquable pour la
photographie des montagnes enneigées du grand Nord.
Beiguo Hongdou
Destructions de la vieille ville de Pékin
Avec
« Sunset Street » (《夕照街》)
en 1983, elle revient vers un sujet urbain pour brosser une
peinture de la vie quotidienne à Pékin au début des années
1980. Cette « rue du crépuscule » est une allée abandonnée à
la veille de sa démolition, auxquels les habitants sont
viscéralement attachés, et qui expriment leur tristesse de
devoir la quitter, nostalgie du passé cependant
contrebalancée par la joie d’aller vivre dans un quartier
neuf. Toute l’ambiguïté de leurs sentiments est annoncée
dans le titre, qui évoque le déclin de la vieille ville de
Pékin et du mode de vie qui lui était lié, allusion, comme
l’a remarqué Yom Braester, à un adage populaire exprimé dans
un poème de Li Shangyin (李商隐)[2] :
夕阳无限好,
只是近黄昏
Le
soleil couchant est d’une infinie beauté, mais tout proche
du crépuscule.
Sunset Street, 1983
Yom
Braester explique que le poème est en fait lié à l’histoire
de rénovation urbaine de Pékin : le vers a été cité par Zhou
Enlai en réponse à une lettre de Liang Sicheng (梁思成)
le mettant en garde contre la démolition des murailles et
des tours d’enceinte de la capitale[3].
Le
film dépeint, avec toute l’ambiguïté des habitants partagés
entre regrets et espoirs, ce moment charnière de l’histoire
de la ville, où le redéveloppement urbain sacrifie les
vestiges de la vieille ville, selon le principe que le
changement est inévitable, qu’il est porté par la « vague de
l’époque » (时代的潮流),
concept aussi vieux que le temps qui a présidé aux
destructions urbaines en Chine, encore aujourd’hui. Mais le
film a en fait été tourné avant que la politique de
destruction massive ait été entreprise, et le scénario a été
censuré et révisé pour supprimer, en particulier, les gros
plans sur le bulldozer détruisant les maisons[4].
Sunset Street 《夕照街》
Retour à la campagne
« A Fascinating Musical Band » (《迷人的乐队》),
en 1985, est une autre histoire d’amour à la campagne.
Wang
Haowei continue sur ce thème dans ses trois films suivants,
en 1986-87, en analysant plus précisément la vie au village
soumise aux retombées des changements socio-politiques du
moment, dont, en 1986, « The Broken Promise » (《失信的村庄》).
En
1988, elle coréalise un film original avec le réalisateur
ouïghour Qika Kuerban (齐卡·库尔班) :
une histoire d’aventure « en costume » qui se passe « la 3ème
année de l’ère Yongzheng » (雍正三年),
soit en 1725, dans le nord-ouest de la Chine : « Looking for
the Devil » (《寻找魔鬼》).
Looking for the Devil,
1988
C’est
l’année suivante, en 1989, que Wang Haowei adapte la
nouvelle de Tie
Ning (铁凝)
« O Neige parfumée » (《哦,香雪》)
qui dépeint une jeune villageoise avide de découvrir le
monde. Le film est sorti en Chine en décembre 1989, et en
première mondiale en février 1991 dans la section
Kinderfilmfest 14plus de la 41e Berlinale. Le
rôle principal de Xiangxue (香雪)
est interprété par Xue Bai (薛白),
l’actrice qui interprète le rôle de Cuiqiao dans « La
Terre jaune » (《黄土地》).
O Xiangxue, 1989
Pour
son film suivant, « Divorce » (《离婚》)
en 1992, la réalisatrice adapte une nouvelle éponyme de
Lao She (老舍)
parue en août 1933. La nouvelle raconte l’histoire de Lao
Li, un petit intellectuel venu travailler à Pékin qui rêve
d’une vie « poétique ». Il fait venir sa femme et ses deux
enfants, mais sa femme, qui n’a pas fait d’études, ne
s’habitue pas à la vie en ville et Lao Li devient la risée
de ses collègues. Il est frustré et attiré par la bru de son
propriétaire, mais celui-ci a des problèmes avec son fils,
et deux de ses collègues qui voulaient divorcer finissent
par abandonner. Finalement Lao Li démissionne de son poste à
Pékin et revient dans son village avec sa femme et ses
enfants.
Divorce, 1992
La
même année, Wang Haowei coréalise une comédie avec Li
Chensheng, puis réalise un documentaire sur Lao She, suivi
de deux films télévisés. Elle doit attendre 1999 pour sortir
un autre film, « Yusi, un homme capable » (《能人于四》),
également une comédie. Elle se consacre par la suite à la
production et la réalisation de films télévisés. Mais, en
2015, elle a encore coréalisé un film d’opéra : « Dragon and
Phoenix Bring Prosperity » (《龙凤呈祥》).
Dans
le cadre de l’Hommage aux réalisatrices chinoises du
Festival du cinéma chinois de Paris (2019), deux films de
Wang Haowei (王好为)
ont été projetés au cinéma Les 7 Parnassiens à Paris :
- 9
juillet, « Le Chemin du retour » (《村路带我回家》),
film de 1987 adapté de la nouvelle éponyme de Tie Ning (铁凝),
- 25
juillet, « Divorce » (《离婚》),
film de 1992 adapté de la nouvelle éponyme de Lao She (老舍).
[1]
Chen Qiang (1918-2012) a commencé comme acteur de
théâtre, en particulier dans « La Fille aux cheveux
blancs » (《白毛女》)
en 1945. Il était l’un des interprètes du film de
Sang Hu (桑弧)
« Les aventures d’un magicien » (《魔术师的奇遇》),
en 1962, et, en 1976, du film « Bright Ocean Pearl »
(《海上明珠》).
[2]
Li Shangyin, ou Li Yishan, 812-858,
poète du déclin de la dynastie des Tang, après la
rébellion d’An Lushan. Le vers cité est le second
d’un poème intitulé « En montant au Leyouyuan »
(《登乐游原》)