par Brigitte Duzan, 24 novembre 2018, actualisé 5 juillet
2019
Née à Chongqing en 1940, Wang Haowei (王好为)
est une réalisatrice renommée et prolifique de la
quatrième génération, génération réellement
sacrifiée car c’est celle des jeunes qui ont terminé
leurs études peu de temps avant la Révolution
culturelle. Wang Haowei n’a pu réaliser son premier
film qu’en 1979.
Elle a pourtant commencé sa carrière dès l’enfance
en jouant un petit rôle au cinéma. Au collège, elle
a continué des activités de théâtre, comme actrice
mais aussi metteuse en scène.
En 1958, elle entre à l’Institut du cinéma de Pékin
dont elle sort diplômée en 1962. Elle commence alors
comme scripte puis assistante réalisatrice au studio
de Pékin, studio où elle va tourner la majorité de
ses films. Les deux premiers films auxquels elle
collabore sont le film d’opéra « Yang Naiwu et
Wang Haowei à ses
débuts
Xiao Baicai » (《杨乃武和小白菜》)
en 1962 et « L’esprit du dragon-cheval » (《龙马精神》)
en 1965.
Il lui faut ensuite attendre la fin de la Révolution
culturelle pour pouvoir recommencer à tourner. Elle est
d’abord, en 1975, assistante de Chen
Huaikai (陈怀皑)
et Qian Jiang (钱江)
pour le tournage de l’un des grands
classiques de la fin de la Révolution culturelle:
« Haixia » (《海霞》), adapté du roman de Li Ruqing (黎汝清)
« Les miliciennes de l’île » (《海岛女民兵》).
En 1976, elle coréalise « Bright Ocean Pearl » (《海上明珠》)
avec Lin Yang (林扬).
Puis, à partir de 1979, elle réalise des films avec son mari
Li Chensheng (李晨声)
comme chef opérateur.
Une comédie
What a Family, 1979
C’est en 1979, en effet, qu’elle réalise son premier
film seule : « What a Family » (《瞧这一家子》),
sur un scénario écrit par un scénariste du studio de
Pékin, Lin Li (林力).
C’est un film qui relate la vie d’une famille
pékinoise ordinaire à travers le conflit entre deux
générations, père et fils, mais sur un mode
humoristique. C’est l’une des rares comédies
réalisées après la Révolution culturelle.
Liu Xiaoqing (刘晓庆)
interprète avec brio le rôle d’une vendeuse qui lui
a valu la même année le prix des Cent Fleurs de la
meilleure actrice
dans un second rôle. Le film a également obtenu le prix du
meilleur film décerné par le ministère chinois de la
Culture.
Par la suite, dans les années du boom économique, les
acteurs interprétant le père et le fils, Chen Qiang (陈强)
[1]
et Chen Peisi (陈佩斯),
qui jouaient pour la première fois ensemble dans le film de
Wang Haowei, ont tourné des comédies ensemble, sur le thème
« Il est glorieux de s’enrichir ».
What a Family
Wang Haowei alterne ensuite sujets ruraux et sujets urbains.
L’amour à la campagne
En 1981, « The Invisible Web » (《潜网》),
de nouveau avec Liu
Xiaoqing, est une critique de l’inégalité
des jeunes devant le mariage, les jeunes filles étant prises
dans une « toile invisible ». C’est le même sujet qu’elle
reprend dans l’un de ses films les plus célèbres, réalisé en
1983 : « Ormosia from the North » (《北国红豆》),
adapté d’un roman de l’écrivaine Qiao Xuezhu (乔雪竹),
Beiguo Hongdou Yexiangsi (《北国红豆也相思》),
et interprété par le duo de grands acteurs Liu Xiaoqing et
Zhang Guoming (张国民).
La jeune Lu Xuezhi (鲁雪枝)
quitte sa ville natale pour aller vivre avec sa sœur aînée
dans les montagnes du Daxing’anling (大
兴安岭),
dans le nord du Heilongjiang, où elle trouve à s’embaucher
comme cuisinière dans une scierie. Elle travaille dur, et
s’éprend d’un travailleur honnête. Mais son beau-frère
n’approuve pas leur liaison et s’oppose à leur mariage. Avec
l’aide du professeur Jiang Youlin (江有林),
Xuezhi décide de gagner son indépendance, mais elle devient
de plus en plus attachée à Youlin, et se retrouve dans une
grande confusion de sentiments.
Outre l’interprétation, le film est remarquable pour la
photographie des montagnes enneigées du grand Nord.
Destructions de la vieille ville de Pékin
Avec « Sunset Street » (《夕照街》)
en 1983, elle revient vers un sujet urbain pour
brosser une peinture de la vie quotidienne à Pékin
au début des années 1980. Cette « rue du
crépuscule » est une allée abandonnée à la veille de
sa démolition, auxquels les habitants sont
viscéralement attachés, et qui expriment leur
tristesse de devoir la quitter, nostalgie du passé
cependant contrebalancée par la joie d’aller vivre
dans un quartier neuf. Toute l’ambiguïté de leurs
sentiments est annoncée dans le titre, qui évoque le
déclin de la vieille ville de Pékin et du mode de
vie qui lui était lié, allusion, comme l’a remarqué
Yom Braester, à un adage populaire
Sunset Street, 1983
exprimé dans un poème de la fin des Tang de Li Shangyin (李商隐)
[2] :
夕阳无限好,
只是近黄昏
Le soleil couchant est d’une infinie beauté,
mais tout
proche du crépuscule.
Yom Braester explique que le poème est en fait lié à
l’histoire de rénovation urbaine de Pékin : le vers a été
cité par Zhou Enlai en réponse à une lettre de Liang Sicheng
(梁思成)
le mettant en garde contre la démolition des murailles et
des tours d’enceinte de la capitale
[3].
Le film dépeint, avec toute l’ambiguïté des habitants
partagés entre regrets et espoirs, ce moment charnière de
l’histoire de la ville, où le redéveloppement urbain
sacrifie les vestiges de la vieille ville, selon le principe
que le changement est inévitable, qu’il est porté par la
« vague de l’époque » (时代的潮流),
concept aussi vieux que le temps qui a présidé aux
destructions urbaines en Chine, encore aujourd’hui. Mais le
film a en fait été tourné avant que la politique de
destruction massive ait été entreprise, et le scénario a été
censuré et révisé pour supprimer, en particulier, les gros
plans sur le bulldozer détruisant les maisons
[4].
Sunset Street 《夕照街》
Retour à la campagne
Looking for the Devil,
1988
« A Fascinating Musical Band » (《迷人的乐队》),
en 1985, est une autre histoire d’amour à la
campagne. Wang Haowei continue sur ce thème dans ses
trois films suivants, en 1986-87, en analysant plus
précisément la vie au village soumise aux retombées
des changements socio-politiques du moment, dont, en
1986, « The Broken Promise » (《失信的村庄》).
En 1988, elle coréalise un film original avec le
réalisateur ouïghour Qika Kuerban (齐卡·库尔班) :
une histoire d’aventure « en costume » qui se passe
« la 3ème année de l’ère Yongzheng » (雍正三年),
soit en 1725, dans le nord-ouest de la Chine :
« Looking for the Devil » (《寻找魔鬼》).
C’est l’année suivante, en 1989, que Wang Haowei
adapte la nouvelle de Tie Ning (铁凝)
« O Neige parfumée » (《哦,香雪》)
qui dépeint une jeune villageoise avide de découvrir
le monde. Le film est sorti en Chine en décembre
1989, et en première mondiale en février 1991 dans
la section Kinderfilmfest 14plus de la 41e
Berlinale. Le rôle principal de Xiangxue (香雪)
est interprété par Xue Bai (薛白),
l’actrice qui interprète le rôle de Cuiqiao dans
« La
Terre jaune » (《黄土地》).
O Xiangxue, 1989
O Xiangxue, 1989
Pour son film suivant, « Divorce » (《离婚》)
en 1992, la réalisatrice adapte une nouvelle éponyme
de Lao She, parue en 1933.
Divorce, 1992
La même année, elle coréalise une comédie avec Li Chensheng,
puis réalise un documentaire sur Lao She, suivi de deux
films télévisés. Elle doit attendre 1999 pour sortir un
autre film, « Yusi, un homme capable » (《能人于四》),
également une comédie. Elle se consacre par la suite à la
production et la réalisation de films télévisés. Mais, en
2015, elle a encore coréalisé un film d’opéra : « Dragon and
Phoenix Bring Prosperity » (《龙凤呈祥》).
Dans le cadre de l’Hommage aux réalisatrices chinoises du
Festival du cinéma chinois de Paris (2019), deux films de
Wang Haowei (王好为)
au cinéma Les 7 Parnassiens à Paris :
- 9 juillet, « Le Chemin du retour » (《村路带我回家》),
film de 1987 adapté de la nouvelle éponyme de Tie Ning (铁凝),
- 25 juillet, « Divorces » (《离婚》),
film de 1992 adapté de la nouvelle éponyme de Lao She (老舍)
initialement parue en 1933.
[1]
Chen Qiang (1918-2012) a commencé comme acteur de
théâtre, en particulier dans « La Fille aux cheveux
blancs » (《白毛女》)
en 1945. Il était l’un des interprètes du film de
Sang Hu (桑弧)
« Les aventures d’un magicien » (《魔术师的奇遇》),
en 1962, et, en 1976, du film « Bright Ocean Pearl »
(《海上明珠》).
[2]
Li Shangyin, ou Li Yishan, 812-858,
poète du déclin de la dynastie des Tang, après la
rébellion d’An Lushan. Le vers cité est le second
d’un poème intitulé « En montant au Leyouyuan »
(《登乐游原》)