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Wen Muye
文牧野
Né en 1985
Présentation
par Brigitte Duzan, 19 juillet 2014, actualisé
8
mai 2022
Dans la section Pardi di Domani de la 67ème édition
du festival de Locarno (6-16
août 2014) figurait le court métrage « Requiem » (An
Hun Qu《安灵曲》), du
jeune réalisateur Wen Muye (文牧野).
C’était le quatrième qu’il réalisait, mais Wen Muye
était encore très peu connu hors des cercles de
l’Institut du cinéma de Pékin où il était
étudiant-chercheur. Ses trois premiers courts
métrages avaient permis de noter l’étendue et la
diversité de son talent, de l’écriture scénaristique
à la construction
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Wen Muye |
d’ensemble
et à la conception stylistique de ses films, y compris
l’aspect musical.
Il est depuis lors devenu une star du box-office avec
« Dying to Survive » (《我不是药神》)
sorti en Chine le 6 juillet 2018.
Quatre courts métrages
2009 « Stone »
(Shitou《石头》)
Stone |
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Stone/Shitou est le nom d’un chien, le genre
d’animal dont on dit qu’il ne lui manque que la
parole. C’est le compagnon d’un jeune garçon qui vit
dans un quartier ancien de Pékin en voie de
démolition : chien et maître sont chassés par les
pelleteuses, et déménagent dans un appartement que
l’on devine dans la périphérie de la capitale. Peu
de temps plus tard, le chien tombe malade, le jeune
garçon tente de le faire soigner, mais ne réussit
qu’à y perdre son emploi à force d’arriver en
retard….
Le dénouement inattendu, bien que prévisible, fait
de ce court métrage de 13 minutes un premier film
structuré en boucle, superbement bien interprété et
mis en scène dans un registre minimal, y compris –
et peut-être surtout - par le chien. L’introduction
musicale fait tout de suite attendre quelque chose
d’original. |
Stone《石头》http://v.youku.com/v_show/id_XMjA2ODQ1ODUy.html
2010 « Jinlan et Guiqin » (Jinlan
Guiqin 《金兰桂芹》)
Ce second court métrage a en commun avec le premier la
sobriété de la mise en scène et du jeu des deux actrices,
ainsi que l’astuce d’une construction cyclique qui permet de
retrouver à la fin la situation de départ, mais, comme dans
tout cycle naturel, avec une légère mutation, comportant sa
part de signification. Le ton est différent : ironique et
doucement satirique.
Jinlan et Guiqin sont deux vieilles dames également
solitaires, dont l’une a un début de maladie d’Alzheimer,
mais a surtout un caractère difficile ; elles s’entraident,
se disputent et se supportent, vaille que vaille… Tout le
monde en connaît, ainsi, dans son proche entourage ; on peut
d’autant plus apprécier la justesse de ton et
d’interprétation.
Jinlan et Guiqin
http://www.tudou.com/programs/view/qCp0Q_WfDnA/
2012 « Battle »
C’est avec « Battle », en 2012, que Wen Muye sort un
peu de l’ombre, car le film est projeté dans
plusieurs festivals en Chine, et a été primé dans
deux d’entre eux. Il a été produit par
Tian Zhuangzhuang (田壮壮).
Battle est le tatouage que s’est fait graver sur le
dos – et en anglais - un jeune Uyghur nommé Adil qui
est serveur dans un restaurant uyghurà Pékin. Mais,
quand son père, musulman très conservateur, arrive
dans la capitale, le fils a le malheur de dévoiler
son dos, sans le faire exprès. Consternation : le
tatouage est un tabou absolu, car il dévalue la
création d’Allah. C’est l’enfer promis au tatoué,
mais aussi à sa famille…
Le court métrage est une satire sociale plus affûtée
que « Stone », une réflexion sur la place de la
religion dans la société (chinoise) moderne, sur le
respect problématique des traditions et les devoirs
dus aux ancêtres, le père d’abord. |
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Battle |
C’est aussi une critique des préjugés han contre les non
han, ici les Uyghurs, ce qui est plus original que les
Tibétains. Le jeune Uyghur sert de modèle des difficultés de
vie pour les non Han à Pékin, pris entre les traditions
ancestrales et les contrôles tatillons.
Mais la satire reste légère, le style elliptique. Le film se
termine par un protestsong sud-américain : on a évité
les clichés de musique uyghur.
2014 « Requiem » (Anhun Qu《安魂曲》)
Requiem |
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« Requiem » est une nouvelle surprise. Le ton, ici,
est plutôt noir, et semble correspondre à une
tendance de fond du cinéma chinois à l’heure
actuelle.
Meng Xiaojun transportait sa femme et sa fille en
moto quand celle-ci a été percutée par un camion. Sa
femme est morte, lui légèrement blessé, mais sa
fille a besoin d’être opérée, et l’opération est
largement au-dessus de ses moyens. C’est alors que
le gardien de la morgue lui propose un moyen de
réunir l’argent nécessaire…
Wen Muye n’en finit pas de montrer qu’il est capable
de changer de thème et de style à volonté, comme
explorant les limites de ses possibilités. On est
curieux de voir ce que sera son premier long
métrage… |
Le succès avec « Dying to Survive »
Le film a surpris tout le monde par son succès aussi
soudain qu’inattendu au box-office, dû en grand
partie au bouche-à-oreille. Intitulé en chinois « Je
ne suis pas le dieu de la médecine », « Dying to
Survive » est en effet inspiré d’une histoire vraie
qui touche l’ensemble de la population chinoise,
affectée par le coût de la santé, et en particulier
des médicaments, tellement chers que beaucoup ne
peuvent les payer en l’absence de couverture
médicale. Une maladie met souvent une famille sur la
paille.
Le scénario est inspiré de l’histoire de Lu Yong (陆勇),
un malade atteint de leucémie chronique qui, ne
pouvant se procurer les médicaments chinois sous
licence, a acheté des génériques anticancéreux bon
marché en Inde, puis en a organisé tout un trafic
pour en faire profiter un millier de patients
chinois atteints eux aussi de leucémie. En 2013, le
bureau de la Sécurité publique de la ville de
Yuanjiang (沅江市),
au Hunan, a découvert ses paiements par carte bleue
à l’occasion d’une enquête sur un gang de cartes
bleues, ce qui |
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Dying to survive,
affiche pour la sortie
du film en Chine |
a déclenché un procès pour contrefaçon de médicaments. Des
centaines de patients atteints de leucémie sont descendus
dans la rue pour protester contre l’arrestation de Lu Yong,
attirant l’attention des autorités. Finalement, sous la
pression de l’opinion publique, le procès a été annulé et Lu
Yong libéré, le 29 janvier 2015.
Produit et interprété (dans le rôle principal) par Xu Zheng
(徐峥)
,
le film a touché bien des cordes sensibles dans la
population et a contribué à un assouplissement de la
législation en vigueur en Chine sur l’importation des
génériques indiens pour le traitement des cancers – en
l’occurrence une diminution de 33 % des taxes.
Le
film a été primé lors de la 55ème édition du
festival du Golden Horse, avec le prix du meilleur
réalisateur décerné à Wen Muye, le prix du meilleur acteur
(principal) décerné à Xu Zheng, ainsi que le prix du
meilleur scénario à l’équipe de scénaristes, dont le
réalisateur. Il a également été primé, entre autres, aux
festivals de Montréal, de Hainan et de Hong Kong. Mais sa
notoriété lui vient en premier lieu de son succès auprès du
public et de son impact socio-politique.
Wen
Muye a tenté de renouveler ce succès populaire avec son
deuxième long métrage : « Nice View » (《奇迹.笨小孩》),
sorti pour les fêtes en février 2022.
La suite avec « Nice View »
Nice View |
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« Nice View » (en chinois, « miracle, stupide
gamin »《奇迹.笨小孩》)
se passe en 2013. À la suite de la mort de sa mère,
Jing Hao (景浩)
part avec sa petite sœur à Shenzhen pour tenter de
profiter des opportunités qu’offre la région. Grâce
à un ami, il achète un lot de téléphones mobiles
défectueux invendables dans l’idée d’en revendre les
pièces détachées. Mais, quelques temps plus tard, le
gouvernement passe une loi pour régulariser la vente
des téléphones, et son affaire est à l’eau, il lui
reste à rembourser son emprunt. Sur quoi le médecin
scolaire détecte une maladie de cœur congénitale
chez sa petite sœur : elle a besoin d’une opération,
coûteuse bien sûr. Jing Hao se bat pour faire
repartir son affaire avec l’aide d’une tante qui
travaille dans une maison de retraite ; pour gagner
un peu d’argent, il reprend son ancienne activité de
laveur de carreaux. |
Le film accumule les clichés, mais il est bien joué.
Surtout, il est dans la ligne. Il se passe en 2013, un an
après le « voyage dans le sud » de Xi Jinping, médiatisé
comme le parallèle du voyage à Shenzhen de Deng Xiaoping en
1992 qui avait été le signal du redémarrage de l’économie
après le marasme entraîné par les événements de 1989. Wen
Muye reprend le message véhiculé par les deux leaders : si
vous travaillez dur, vous réussirez. C’est l’un des
principes du « rêve chinois » modernisé par Xi Jinping. Le
« miracle » du titre est une référence directe au miracle du
rêve chinois ainsi conçu. « Nice View », en ce sens, est
presque un film éducatif.
Il est arrivé en troisième position au box-office chinois au
début de 2022, après le film de guerre « La bataille du lac
Changjin » (《长津湖》)
et la comédie « Too Cool to Kill » (《这个杀手不太冷静》).
Wen Muye est désormais du domaine des statistiques.
Filmographie
Courts métrages
2009 Stone Shitou《石头》
2010 Jinlan et Guiqin
《金兰桂芹》
2012 Battle
2014 Requiem Anhun Qu《安魂曲》
Longs métrages
2018 Dying to Survive《我不是药神》
2022 Nice View《奇迹.笨小孩》
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