|
Tian Zhuangzhuang 田壮壮
Présentation
par Brigitte
Duzan, 4
octobre 2011, actualisé 27 janvier 2023
Tian Zhuangzhuang (田壮壮)
est l’un des plus grands réalisateurs chinois du
vingtième siècle auquel on ne rendra jamais
suffisamment hommage.
Victime d’une censure absurde quasiment tout au long
de sa carrière, il a quand même réussi à réaliser
une œuvre remarquable dont émerge au moins un chef
d’œuvre incontesté : « Le cerf volant bleu » (《蓝风筝》).
On espère que pourra maintenant sortir sans trop
tarder ce qui s’annonce comme un autre
chef-d’œuvre : l’adaptation du « Roi des arbres » (《树王》)
d’A
Cheng (阿城).
Photographe par
hasard
Tian Zhuangzhuang est né en 1952 à Pékin. Ce n’était
pas une période très propice pour naître dans une
famille d’artistes. Or il était le fils de deux
acteurs de cinéma devenus chefs de studios : son
père, Tian Fang (田方),
avait été
|
|

Tian
Zhuangzhuang (田壮壮) |
un
acteur célèbre dans les années 1930, avant de prendre la
tête du Studio de Pékin après 1949 ; sa mère était l’actrice
Yu Lan (于蓝),
populaire dans les années 1950-1960, et chargée de la
direction du Studio pékinois des films pour enfants (北京儿童电影制片厂)
à sa création, le 1er juin 1981, jour des enfants
en Chine.

Tian Fang |
|
Vu l’emploi du temps
de ses parents,
Tian Zhuangzhuang fut
confié à sa grand-mère, mais eut une enfance
relativement protégée et heureuse. La famille vivait
dans un hutong à l’ouest de Pékin qui
s’appelait toujours Baochan hutong, mais les
caractères (qui signifiaient à l’origine ‘précieuse
contemplation’ :
宝禅)
avaient été changés après l’arrivée de Mao au
pouvoir pour devenir ‘précieuse production’ (宝产).
Le quartier était habité par nombre d’acteurs,
réalisateurs et producteurs des studios de Pékin ;
Tian Zhuangzhuang était en particulier voisin de
Chen Kaige, et les deux enfants jouaient souvent
ensemble dans le calme des petites allées.
Avant la Révolution culturelle, il a raconté qu’il
allait souvent jouer au studio de Pékin dont son
père était directeur. Il y allait avec lui les
samedis, dans sa voiture de fonction. Il restait
avec le chauffeur et les employés qui l’emmenaient
parfois assister à un tournage. Son père étant
|
également le directeur adjoint du Bureau du cinéma, il
allait aussi parfois avec lui aux projections de films pour
la censure, essentiellement des films importés, en majorité
russes. Mais ces films étaient très longs, et il n’y
comprenait rien. A la fin d’une de ces projections
interminables, il fut pris de vomissements et il en garda
une franche aversion pour le cinéma qui dura jusqu’à la
Révolution culturelle : ce n’est que lorsqu’il eut
l’occasion d’assister à des projections en plein air avec sa
brigade de production après être parti dans le Grand Nord
qu’il retrouva un certain plaisir à regarder des films.
La Révolution culturelle fut catastrophique pour les
deux familles et leurs amis, classés « membres du
gang noir de la littérature et des arts ». Le
premier à être arrêté fut le scénariste Hai Mo (海默),
qui se suicida le 16 mai 1968. Les parents de Tian
Zhuangzhuang furent à leur tour violemment attaqués.
Son père devait se suicider quelques années plus
tard, en 1974. Lui-même partit en 1968 dans un petit
village près de Jilin (吉林市),
dans la province du même nom, à l’extrême nord-est
de la Chine.
Il n’avait alors aucune intention de se lancer dans
une carrière cinématographique comme ses parents,
les temps ne s’y prêtaient guère, mais le sort en
décida autrement. Pour échapper au travail des
champs, il s’engagea dans l’Armée de Libération, et
fut transféré à Baoding (保定),
dans le Hebei, affecté au département de la
propagande. |
|

Yu Lan actrice |
Il
n’avait cependant pas l’intention d’être soldat toute sa
vie. Ce n’est cependant qu’au bout de trois ans dans l’armée
qu’il fit une rencontre qui l’orienta différemment. Sa mère
connaissait un écrivain qui travaillait pour un journal de
l’armée et lui demanda s’il aurait une idée pour que son
fils puisse apprendre un métier. Il envoya le jeune Tian
Zhuangzhuang voir un ancien soldat, photographe de l’armée
qui avait commencé à faire des photos pendant la guerre de
Corée, Zhang Wenbo. Tian Zhuangzhuang se forma à la photo
avec lui, mais sans devenir un passionné ; son travail
consistait surtout à photographier les soldats en train de
lire les citations du président Mao et à expliquer comment
ils les mettaient en pratique, devenant des soldats modèles.
Tian
Zhuangzhuang travailla ainsi cinq ans comme photographe. A
son retour à Pékin en 1976, il obtint alors un poste
d’assistant cameraman au Studio du film agricole de Pékin et
acquit là une première expérience
pratique de la
réalisation cinématographique.
Premiers pas derrière la caméra

Heroic sons and
daughters |
|
En 1978, Deng Xiaoping décida de réouvrir les
universités qui avaient été fermées pendant la
Révolution culturelle et organisa le premier
concours d’entrée depuis une dizaine d’années ; en
mai, l’Académie du cinéma de Pékin (北京电影学院)
fit de même, et dans la même
effervescence. Tian Zhuangzhuang fut admis, mais
dans le département de mise en scène et non de
photographie. En effet, Tian Zhuangzhuang avait
alors 24 ans et la limite d’âge pour les
candidatures était de 23 ans, sauf pour la mise en
scène où elle était de 25 ans.
Pour la petite histoire, l’examen, cette année-là,
comportait l’analyse du film « Heroic Sons and
Daughters » (《英雄儿女》),
film de 1964 de Wu Zhaodi (武兆堤)
sur la guerre de Corée, dans lequel son père
interprétait l’un des rôles principaux. Tian
Zhuangzhuang remit sa copie au bout d’une
demi-heure et sortit pour fumer
une cigarette en attendant |
son ami
Chen Kaige qui continuait à écrire fiévreusement
comme les autres candidats.
A
l’Académie, il étudia tout spécialement le scénario et le
montage, et comme il avait déjà une expérience du tournage
(photo et éclairage), il devint vite un élément moteur de ce
qui devint la promotion 1982, la première après la
Révolution culturelle, et future ‘cinquième génération’. Il
constitua autour de lui un groupe de jeunes partageant les
mêmes idées, le même style simple et naturel, au cinéma
comme dans la vie.
Tian Zhuangzhuang était l’opposé de Chen Kaige,
considéré comme l’intellectuel de la promotion. Il
était un fervent admirateur du ‘vétéran’ Shui Hua
(水华),
auteur, entre autres, des deux grands classiques des
années 1959-60 : « La boutique de la famille Lin » (《林家铺子》)
et « Une famille révolutionnaire » (《革命家庭》)
dans lesquels avait joué Yu Lan. Comme les autres,
Tian
Zhuangzhuang voulait évidemment innover, mais sans
rupture totale avec le passé : il a servi de lien
avec les générations précédentes, mais surtout la
troisième, celle de Shui Hua et de ses parents. Son
« Cerf volant bleu » affiche d’ailleurs des
similarités de composition, de style narratif et de
rythme avec les films de Shui Hua.
C’est pendant l’été
1980 que Tian
Zhuangzhuang tourna
le premier court
métrage de la 5ème génération, avec
deux de ses camarades, Xie Xiaojing (谢小静)
et
|
|

Shui Hua |
Cui
Xiaoqin (崔小芹).
On leur confia en
effet la mission de réaliser un court métrage afin de tester
du nouveau matériel vidéo qui venait d’arriver, du matériel
Sony. C’était une occasion inespérée.

Yu Lan dans La
boutique de la famille Lin |
|
Ils trouvèrent
l’idée du scénario dans une nouvelle qui avait paru
dans le journal des étudiants de l’université de
Pékin : « Un coin sans soleil »
(《没有太阳的角落》)
d’un auteur
du nom de Shi Tiesheng (史铁生).
La nouvelle
raconte l’histoire de trois jeunes handicapés qui
peignent des motifs de fleurs sur des reproductions
d’anciens objets de laque dans un petit atelier
d’une vieille allée de Pékin ; leur vie
|
terne
est soudain transformée par l’arrivée inopinée d’une jeune
fille qui leur apporte une lueur de vie et d’affection, mais
le verdict de son père médecin est terrible : leur infirmité
est incurable. A la fin, elle sera la seule à pouvoir
s’inscrire à l’examen d’entrée à l’université, en 1978, et
réussira grâce à l’aide des trois autres…
Les
trois étudiants réalisateurs décidèrent de rencontrer
l’auteur et découvrirent un jeune homme lui-même handicapé,
condamné à un fauteuil roulant. Pendant tout
l’été, ils vinrent le chercher pour l’emmener non loin de
chez lui, chez l’un de leurs professeurs, pour élaborer
ensemble le scénario. Après huit révisions, le script fut
enfin accepté, sous le titre « Un coin à nous »
(《我们的角落》).
Le court métrage fut ensuite adapté en film télévisé, et,
bien qu’il n’ait pas été diffusé, les censeurs l’ayant jugé
trop déprimant et d’un ton trop négatif, il eut un profond
impact dans le milieu de l’Académie.
Pendant le printemps et l’été 1981, ensuite, Tian
Zhuangzhuang réalisa avec une petite équipe son
second court métrage : un film en noir et
blanc d’après
une nouvelle semi-autobiographique de Wang Anyi (王安忆)
:
« Notre petite
cour » (《我们的小院》)
.
La cour en question est celle d’une troupe de
théâtre pendant la Révolution culturelle, et la
nouvelle décrit les petits différends de leur vie
quotidienne. C’est une nouvelle très courte, mais
dont l’adaptation demandait une douzaine d’acteurs.
Parmi ceux-ci
figurait le réalisateur Zhang Jianya (张建亚)
qui collaborait aussi au tournage avec Xie Xiaojing
(谢小静)
tandis que l’équipe de photo comprenait, outre
Zhang Yimou (张艺谋),
Hou Yong (侯咏)
et
Lü Yue (吕乐)
qui restèrent de
grands amis de Tian Zhuangzhuang. L’équipe se
retrouvera en 1982 pour tourner son premier long
métrage, « L’éléphant rouge » (《红象》).
Echecs commerciaux et
premières critiques
1. C’est sa mère, Yu Lan, qui demanda à Tian
Zhuangzhuang de tourner « L’éléphant rouge »
pour le Studio du film pour enfants qu’elle
dirigeait. Le scénario était déjà prêt : c’était
l’histoire de trois enfants à la recherche d’un
éléphant sacré dans les forêts de Xishuangbanna,
dans le Yunnan. Le budget était minime, et le
tournage s’annonçait dans des conditions difficiles,
en pleine forêt. Tout le monde n’était pas prêt à le
faire.
Pendant l’été 1981, pendant que leur dernier court
métrage était en post-production, Tian Zhuangzhuang
et Zhang
Jianya partirent au Yunnan avec 500 yuans en poche
pour faire du repérage tout en travaillant sur le
scénario. Ils empruntèrent des bicyclettes, couvrant
quinze à vingt kilomètres par jour. Ils revinrent
ensuite à la fin de l’automne pour tourner le film
|
|

L’éléphant rouge

Zhang Jianya (à g.),
Hou Yong (milieu)
et Feng Xiaoning (à
d.) sur le tournage
de L’éléphant rouge |
avec
l’équipe de « Notre petite cour », plus
Feng Xiaoning (冯小宁)
comme directeur artistique.
2. Tian
Zhuangzhuang tourna ensuite un film pour la télévision,
puis, en 1984, un film pour le studio de Kunming : « September »
(《九月》).
C’est, dans les dix-sept premières années de la République
populaire, le portrait d’une jeune enseignante que ses
méthodes d’enseignement et son ton humaniste mènent à une
confrontation avec les autorités. Le scénario était l’œuvre
du jeune scénariste Yan Tingting (严亭亭),
qui, après avoir vu
« L’éléphant rouge », l’avait envoyé à Tian Zhuangzhuang,
lequel était alors sur le tournage de « Border Town » (《边城》), comme assistant du
réalisateur,
Ling
Zifeng (凌子风).
Tian
Zhuangzhuang fut conquis par la première partie du scénario,
mais modifia la seconde partie qui était une apologie du
régime communiste. Mais les scènes rajoutées par le
réalisateur furent ensuite coupées au montage, dénaturant
son œuvre. Les critiques dont il fut alors l’objet sont une
préfiguration de celles dont il fut la cible avec
ses deux films suivants :
« On the Hunting Ground » (《猎场扎撒》)
en 1985 et
« Le
voleur de chevaux » (《盗马贼》)
en 1986.
Ces
deux films représentent un tournant majeur dans la carrière
de Tian Zhuangzhuang,
un changement radical de style et de modèle
cinématographique qui fut le résultat direct d’une
Conférence internationale sur le cinéma organisée à Pékin en
1984 par deux cinéastes sino-américains de Hong Kong,
Shirley Sun et Peter Wang. L’événement dura quinze jours,
avec des invités de marque, dont Martin Scorsese et Shohei
Imamura qui avait amené « La Ballade de Narayama » sorti
l’année précédente.
Tian
Zhuangzhuang en sortit plus que jamais convaincu de la force
visuelle du cinéma, et de sa capacité à transmettre une
atmosphère, un état d’âme, sans être interrompu par les
dialogues, et sans avoir à raconter une histoire in extenso.
3. « On the
Hunting Ground » fut réalisé à l’invitation du
Studio de Mongolie intérieure.
Tian Zhuangzhuang
alla vivre un mois avec les pasteurs mongols en
préparation du film, après quoi il révisa le
scénario qui lui avait été remis et qui comportait
une intrigue complexe sur les thèmes de la
domination masculine et de la jalousie. Dans le film
ne reste qu’un élément thématique : celui de la
transgression des codes de chasse ancestraux des
Mongols par un chasseur, et son châtiment ultérieur.
Le film a un caractère semi documentaire, |
|

On the Hunting Ground |
l’alternance
de paix et de violence, la cohabitation de l’homme et des
animaux reflétant la dualité et les forces contradictoires
de la société mongole, où la loi traditionnelle est
l’élément structurant fondamental. Les Mongols qui avaient
participé au tournage trouvèrent que le film rendait
parfaitement la réalité de la vie mongole, mais les
dirigeants du Studio, eux, estimèrent qu’il accentuait trop
la pauvreté de la population.

Le voleur de chevaux |
|
« Le
voleur de chevaux »,
quant à lui, explore la relation des hommes à la
religion dans la société tibétaine à travers le
conflit intérieur que vit un homme, Norbu, qui vole
des chevaux pour vivre tout en étant un bouddhiste
fervent. Il finit par être exclus du clan avec sa
famille le jour où il vole un cadeau du gouvernement
au monastère local. Peu de temps plus tard, son fils
meurt, et cette mort est considérée comme un
châtiment divin. Norbu et sa femme se font alors
nomades et parcourent les festivals bouddhistes.
« Le voleur de
chevaux » est en cinémascope ; les dialogues sont
réduits au minimum, toute la force du film est dans
l’image, la lumière et la couleur plus le son. La
beauté du paysage est transcendée en beauté
spirituelle, et les cérémonies bouddhistes
atteignent une solennité, une dignité presque
surréelles. |
Les
deux films furent très mal reçus par les autorités
chinoises. Non seulement leur forme elliptique, à l’intrigue
minimale tout comme les dialogues, déroutèrent les critiques
tout autant que le public, mais en plus le film démasquait
la propagande officielle qui louait le développement et la
modernisation des minorités nationales. « Le voleur de
chevaux » mit huit mois à passer la censure, et pour une
diffusion limitée, après suppression de deux séquences
d’enterrements célestes. Le film dut aussi préciser une
date, l’année 1923, c’est-à-dire bien avant l’entrée au
Tibet de l’Armée populaire de Libération, en 1950, et ce
afin d’expliquer la pauvreté et la mentalité primitive de la
population qui y sont exposées.

Norbu |
|
A cause de leur
caractère avant-gardiste, les deux films,
considérés comme expérimentaux, furent des
échecs et critiqués comme élitistes.
Tian Zhuangzhuang
essaya pourtant de présenter son film au festival de
Cannes en 1984, tandis que Zhang Yimou faisait de
même avec « La terre jaune ». Etant sur cassettes,
les deux films furent négligés. Ce n’est qu’en 1987
|
que
« On the Hunting Ground » fut projeté au festival de
Rotterdam, mais les dialogues en tibétain avaient été
doublés en chinois, avec sous-titres anglais, faisant du
film un avatar de plus de la production chinoise habituelle
en ce domaine, encore aujourd’hui classée « films de
minorités ethniques » (少数民族电影).
Le
réalisateur était devenu célèbre à la suite d’une interview
donnée en septembre 1986 à la revue Cinéma populaire (大众电影) :
au journaliste qui lui opposait le peu de succès rencontré
par « Le voleur de chevaux », il avait répondu que ce film
était fait, en réalité, pour le siècle suivant – sur quoi un
fonctionnaire du Bureau du film lui avait rétorqué qu’il
devrait attendre ce moment-là aussi pour toucher son
salaire.
4.
Tian Zhuangzhuang continua alors, les trois années
suivantes, avec une série de trois films moins
ouverts à controverse : « Street Players » ou « Les
joueurs de tambour » (《鼓书艺人》),
d’après une pièce de Lao She, « Rock’n Roll Kids » (《摇滚青年》),
sorte de musical rock, et « La salle d’opération
spéciale » (《特别手术室》).
Il a par la suite désavoué ces films.
Après les événements de la place Tian’anmen, en
1989, Tian Zhuangzhuang fut le seul représentant du
cinéma chinois à figurer parmi les trente trois
personnes à signer une lettre ouverte demandant la
libération des prisonniers politiques. |
|

Rock’n Roll Kids |
Dans l’atmosphère
de chasse aux sorcières et censure renforcée qui
s’ensuivirent, il tourna un film "historique en costume" :
« L’eunuque
impérial Li Lianying » (《大太监李莲英》),
qui obtint une mention spéciale au festival de Berlin en
1991.
Mais il
allait affronter les foudres des autorités avec son film
suivant : « Le cerf-volant bleu » (《蓝风筝》),
présenté à Cannes en 1993 et grand prix du festival de Tokyo
la même année, malgré le boycott de la délégation chinoise
qui voulait protester contre le fait que le film n’avait pas
reçu l’aval des autorités.
Le cerf-volant bleu et
ses conséquences
1. « Le
cerf-volant bleu » est l’histoire des
malheurs subis par une famille pendant les diverses
périodes de répression politique des années
1953-1967. C’est certainement le film le plus
personnel de
Tian Zhuangzhuang,
celui qui reflète ses souvenirs d’enfance, ceux de
sa famille et de ses amis, un chef d’œuvre.
Co-produit par un
studio de Hong Kong et le Studio de Pékin, il
commença par un rejet du scénario par les autorités
de censure. En
1992, le tournage terminé, Tian Zhuangzhuang se vit
ensuite interdire d’envoyer le film en
post-production au Japon, comme c’était prévu ; en
fait, le Studio de Pékin n’osa même pas demander
l’autorisation. C’est finalement lorsque, un an plus
tard, le distributeur néerlandais Fortissimo Film
Sales acquit les droits de distribution mondiaux que
le film put être passé en fraude à l’étranger par
des amis et monté, selon le scénario et les
indications de Tian Zhuangzhuang, mais en son
absence. |
|

Le cerf volant bleu |
Il a
expliqué par la suite qu’il avait réalisé le film sachant
que cela lui vaudrait beaucoup d’ennuis, mais qu’il fallait
qu’il le fasse « pour se libérer de l’obsession d’avoir à le
faire ».
2. En mars 1994,
en raison
de la controverse qu’il déclencha,
Tian Zhuangzhuang
démissionna du Studio de Pékin. Un mois plus tard, en avril,
il fut l’un des six cinéastes figurant sur une liste
noire établie par le gouvernement, aux côtés des figures
montantes de la sixième génération : les réalisateurs
Wang Xiaoshuai (王小帅),
He Jianjun (何建军)
et Zhang Yuan (张元),
son épouse, la scénariste Ning Dai (宁岱),
ainsi que le documentariste
Wu
Wenguang (吴文光).
3. L’interdiction
fut officiellement levée en 1996, mais
Tian Zhuangzhuang
dut encore attendre plusieurs années pour pouvoir
recommencer à tourner. Dans l’intervalle, il se tourna vers
la production, devenant le mentor de jeunes
réalisateurs auxquels il permit de finaliser leurs
projets. Il produisit « The Winner » (《赢家》), premier film de
Huo
Jianqi (霍建起)
qui avait été
son directeur artistique pour « September » et « Le voleur de chevaux »,
puis des œuvres marquantes de la sixième génération dont il
contribua à faire connaître les auteurs : « The Making of
Steel » (《长大成人》)
de Lu Xuechang (路学长)
et « So Close to Paradise » (《扁担·姑娘》)
de
Wang Xiaoshuai.
Il continue ce travail de parrain encore
aujourd’hui ; dans les années 2000, il a pris sous
son aile et fait découvrir, entre autres,
Ma Liwen (马俪文)
et
Ning Hao (宁浩).
Retour derrière la
caméra
C’est après un
hiatus de près de dix ans que
Tian Zhuangzhuang a
finalement repris la caméra, pour livrer en 2002 un
remake éponyme du chef d’œuvre de 1948 de
Fei Mu (费穆) :
« Printemps dans une petite ville » (《小城之春》).
Ce film est
une œuvre d’une beauté sereine et d’un grand
humanisme, un huis clos où affleure, sous une
méditation nostalgique sur le passé, toute une
symbolique critique plus profonde qu’il n’y paraît.
En 2004 ensuite, Tian Zhuangzhuang est revenu à l’un
de ses thèmes favoris avec « Delamu » (《茶马古道:德拉姆》),
un |
|

Printemps dans une
petite ville |
documentaire de toute beauté et injustement méconnu, réalisé
(en HD) au Yunnan, sur l’ancienne route des caravanes du
thé.

Delamu |
|
« Delamu » fut suivi
en 2006 par « The Go Master » (《吴清源》),
portrait d’un lyrisme retenu et d’une esthétique
sobre de Go Seigen : joueur de go légendaire
d’origine chinoise, qui s’appelait Wu Qingyuan (吴清源),
mais est
internationalement connu sous le nom japonais qu’il
prit après avoir été naturalisé. Le film retrace le
parcours de ce penseur révolutionnaire de la
stratégie du go, qui fut aussi un homme déchiré par
le conflit entre son pays natal et son pays
d’adoption.
Enfin, le dernier
film à cette heure de
Tian Zhuangzhuang est
un film épique sur fond d’histoire, sorti en 2009 :
« The Warrior and the Wolf » (《狼灾记》).
Filmé dans le Xinjiang et adapté d’une nouvelle d’Inoue
Yasushi il
reprend une ancienne légende locale. Mais il semble
une erreur de parcours dans la filmographie d’un
réalisateur qui n’en a guère d’autre à son actif…
oublions le. |
Gardons l’image d’un
cinéaste brillant, l’un des plus brillants de la
deuxième moitié du vingtième siècle en Chine, qui ne
s’est pas contenté de filmer lui-même, avec exigence
autant que talent, mais qui a contribué, quand
lui-même fut interdit, à aider d’autres jeunes
cinéastes autour de lui à réaliser leurs œuvres et à
se faire connaître.
En 2019, cependant,
il est revenu derrière la caméra, pour tourner un
film qu’il méditait depuis quinze ans.
2019 : adaptation du
« Roi des arbres »
Ce film est
l’adaptation du troisième volet de la célèbre
trilogie des Rois
d’A
Cheng (阿城) parue
en 1985 :
« Le Roi des arbres » (《树王》).
Les deux autres volets ont déjà fait l’objet
d’adaptations très réussies au cinéma :
« Le roi des enfants » (《孩子王》)
par
Chen Kaige (陈凯歌)
en 1987 et « Le
roi des échecs » (《棋王》)
par
Teng Wenji (滕文骥)
en 1988.
Le film a été
annoncé en octobre 2018, avec un titre différent,
« Cry of the Birds » (《鸟鸣嘤嘤》),
le titre chinois étant tiré du premier vers d’un
poème du Livre des Odes, le Shijing (《诗经》).
Le tournage
a débuté fin août 2019 et, achevé en 2020, le
film a été soumis
au Bureau du cinéma pour l’obtention du visa de
censure. En même temps est sortie une affiche
promotionnelle. Et puis… plus rien. En août 2022, à
l’occasion du prix Chaplin qui a été décerné au
réalisateur pour l’ensemble de sa carrière
, est
sorti un documentaire sur Tian Zhuangzhuang basé sur
une interview du cinéaste pour la revue Tatler :
« Le cinéma et moi » (《我和电影的关系》).
|
|

The Go Master

Cry of the Birds |
Le
documentaire《我和电影的关系》
https://www.bilibili.com/video/BV1MG41187UH/
Dans
ce documentaire, Tian Zhuangzhuang parle du silence dans
lequel est tombé son film :
“电影拍完了两年了,送到电影局里到现在没有任何审查意见,作为同行的尊重来讲,我能接受任何的一个审查的结果。但是我确实不能接受一个我送给你两年多,你连一句话都没跟我说的结果,这个确实让我,再一次对电影,失望。我也不知道,应该怎么样才能够到找到一个结果”
Cela fait deux ans que j’ai fini le tournage du film et que,
l’ayant envoyé au Bureau de la censure, je n’en ai aucune
nouvelle. S’agissant de mes collègues, j’accepte volontiers
leurs critiques. Mais, dans le cas présent, ce silence total
de deux ans, sans le moindre mot, ne peut encore une fois
que me faire désespérer du cinéma. Je ne sais même pas que
penser.
En
fait, on lui a bien sûr demandé des modifications qu’il ne
pouvait faire :
“送到电影局备案的时候,电影局一处的处长给我说,我现在告诉你,你把这个天葬这地儿剪掉这地儿剪掉...,他全部要剪掉;我说这已经是标准拷贝了,再剪声音就接不上了,底片是不能还原的。他说这是必须,否则这部电影是不可以通过的。
最后走的时候,我撩了一句话:我怎么觉得你这儿挺像天葬台的”
Quand j’ai envoyé le film au Bureau du cinéma, le directeur
de la première division m’a dit : il faut que tu coupes la
séquence des funérailles célestes, la séquence entière. Je
lui ai dit que c’était déjà la copie finale, que si je
devais couper une séquence, le son ne serait plus synchrone
et que je ne pourrais pas revenir à la copie d’origine.
Mais il a dit que c’était nécessaire si je voulais que le
film sorte. Finalement en m’en allant, j’ai plaisanté : « Ce
bureau me donne l’impression d’un autel de funérailles
célestes, je me demande bien pourquoi ».
Pourra-t-on voir le film un jour ? Il est à craindre que,
même si cela arrive, Tian Zhuangzhuang, lui, ne soit plus là
pour s’en réjouir. C’est toute sa carrière qui a été
absurdement ruinée par une interdiction puis une autre. Que
de talent irrémédiablement gâché !
Filmographie
(hors
télévision)
1980 Our
Corner / Un coin à nous
《我们的角落》
court métrage coréalisé avec Xie Xiaojing
谢小静
et Cui Xiaoqiu
崔小芹
1980 The
Courtyard / Notre petite cour
《我们的小院》
court métrage coréalisé avec Yang Jianya
张建亚
et Xie Xiaojing
谢小静
1981 Red
Elephant
《红象》
coréalisé avec Yang Jianya
张建亚
/ Xie Xiaojing
谢小静
1984 September
《九月》
1985 On the
Hunting Ground
《猎场扎撒》
1986
Horse Thief /
Le
voleur de chevaux
《盗马贼》
1987 Folk
Artists / The Street Players
《鼓书艺人》
1988 Rock’n
Roll Kids
《摇滚青年》
1989
Illegal Lives / La sale d’opérations spéciales
《特别手术室》
1990 Imperial
Eunuch Li Lianying /
L’eunuque impérial Li Lianying » (《大太监李莲英》
1993 The Blue
Kite /
Le cerf-volant bleu 《蓝风筝》
2002
Spingtime in a Small Town /
Printemps dans une petite ville 《小城之春》
2004
Delamu
《茶马古道:德拉姆》
documentaire
2005 The Go
Master
《吴清源》
2009 The
Warrior and the Wolf 《狼灾记》
En attente
: Cry of the Birds
《鸟鸣嘤嘤》
Bibliographie
Tian
Zhuangzhuang : Stealing Horses and Flying Kites, in Speaking
in Images, Michael Berry, Columbia University Press 2004,
pp. 51-86.
|
|