par Brigitte Duzan, 29 août 2014, actualisé 1er
octobre 2018
Xin Yukun est un jeune réalisateur né
en mars 1984 à Baotou, en Mongolie intérieure (内蒙古包头).
Il est diplômé du département de photographie de
l’Institut du cinéma de Pékin, et, à la fin de ses
études, a tourné un premier court métrage remarqué :
« Sept nuits » (《七夜》).
Premier long métrage :Binguan
Pendant trois ans, ensuite, il a tourné des films
publicitaires, tout en écrivant le scénario de son
premier long métrage : « Binguan » ou
« Le cercueil dans la montagne » (《殯棺》),
en compétition à la Semaine de la Critique à la
Biennale de Venise 2014.
Auparavant, au 8ème FIRST festival des
jeunes (第8届FIRST青年电影展),
« Binguan» a obtenu les prix
du meilleur film et du meilleur réalisateur,
décernés par un jury présidé par
Xie Fei (谢飞)
et comprenant, entre autres,
Ge You (葛优).
Xin Yukun recevant son
prix
au 8ème FIRST festival
des jeunes
Xin Yukun et son chef
opérateur sur le tournage de Binguan
Le film a d’abord un scénario original, co-écrit
avec le scénariste Feng Yuanliang (冯元良).
Il est construit sur la base de trois lignes
narratives apparemment distinctes, mais qui se
rejoignent à la fin. C’est la même technique
narrative que l’on retrouve dans deux films célèbres
de 1994, le Lion d’or du festival de Venise et la
Palme d’or du festival de Cannes, respectivement
« Before the Rain » de
Milcho Manchevski, et « Pulp Fiction » de Quentin
Tarantino. C’est efficace pour ménager le suspense
quand c’est bien fait, et c’est le cas de
« Binguan ».
L’histoire commence par celle d’un jeune homme qui
tente de se soustraire à l’emprise familiale, et
qui, se faisant, tue accidentellement un mafieux du
coin… Le film saute ensuite à l’histoire d’une femme
victime depuis des années de violence conjugale, qui
trouve son seul réconfort dans les bras d’un ancien
amant ; elle s’apprêtait à liquider son mari quand
arrive la nouvelle de sa mort… Le troisième
personnage est un chef de village sur le point de
prendre sa retraite ; mais un événement lié à son
fils va l’en empêcher…
On devine les liens entre les protagonistes, mais le
scénario fait des détours inattendus pour maintenir
le suspense, et la mise en scène accentue les hiatus
et les zones d’ombre de l’histoire.
« Binguan »
n’est cependant pas simplement un film noir
classique.
D’une part, Xin Yukun a expliqué avoir voulu tisser
une histoire simple, soulignant l’absurdité du
destin et l’impermanence des choses.
Bin Guan
Photo du tournage
D’autre part, et c’est peut-être là le plus
intéressant, et le plus original dans le genre du
film noir, le réalisateur a intégré dans son
scénario les problèmes sociaux de la campagne
chinoise tels qu’ils se sont développés depuis les
années 1990 : départ des jeunes en ville, question
du travail agricole et du statut des terres. Et,
pour accentuer le côté réaliste du film, il a choisi
des acteurs non professionnels et anonymes.
« Binguan » a ainsi été conçu comme un film noir à fort
contenu de peinture sociale, où l’intrigue est liée à la
logique même des mentalités. Il a été tourné sur un budget
de 2 millions de yuans, soit moins de 250 000 euros, ce qui
devrait en outre permettre de le rentabiliser assez
facilement.
« Binguan » n’a certainement pas terminé sa tournée des
festivals. C’est un bon départ pour Xin Yukun.
Le 6 avril 2015, le film a obtenu le prix du Jury à la 8ème
édition du festival CinemAsia d’Amsterdam.
Trailer 1
Trailer 2
Deuxième film :
Wrath of Silence
“Wrath of Silence” (《暴裂无声》)
est sorti en première mondiale au FIRST Film
Festival (FIRST青年影展)
de Xining en juillet 2017, puis au London Film
Festival. Sa sortie sur les écrans chinois, prévue
pour octobre 2018, a cependant été victime de la
censure et n’a toujours pas été autorisée. Les
droits internationaux ont néanmoins été acquis par
Fortissimo.
L’histoire poursuit dans la même veine de critique
sociale que le film précédent de Xin Yukun. Le
personnage principal est un jeune mineur muet, Zhang
Baomin (张保民)
qui a dans le passé été forcé d’aller travailler
dans une mine loin de chez lui où il a laissé sa
femme et son fils. Mais, quand il apprend que son
fils a disparu, il revient chez lui, à Baotou en
Mongolie intérieure (la ville natale du
réalisateur). Il y retrouve les mêmes protestations
contre les mines locales que quand il était plus
jeune. Or c’est justement sa participation dans des
émeutes contre la mine Hongchang où il travaillait
qui l’a forcé à partir.
Wrath of Silence
Mais la mine continue sa croissance, sous la direction du
riche Chang Wannian (昌万年).
Or Baomin est peu à peu convaincu que c’est lui qui est
responsable de la disparition de son fils… La suite de
l’histoire révèle une machination bien plus compliquée où
les enfants sont monnaies d’échange et sources de chantages.
Le film se présente comme un film noir hyperréaliste, avec
un message clair de critique de l’injustice sociale et de la
corruption qui sapent la société moderne chinoise. Il est
superbement interprété, par Song Yang (宋洋)
dans le rôle de Baomin, et par Jiang Wu (姜武)
dans celui du directeur de la mine Chang Wannian,
extravagant comme beaucoup de nouveaux riches. Jiang Wu a
d’ailleurs obtenu le prix Star Asia au New York Asian Film
Festival en juillet 2018.
Bande annonce 1
Bande annonce 2
Voir les interviews de Jiang Wu et de Xin Yukun au New York
Asian Film Festival :