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Metteurs en scène

 
 
 
     
 

Xu Bing 徐冰

Présentation

par Brigitte Duzan, 20 août 2017

 

Xu Bing est un artiste contemporain chinois qui a d’abord été célèbre pour son art de la gravure sur bois, mais a ensuite évolué vers des installations qui sont autant de réflexions sur le pouvoir du langage et ses ambiguïtés, les illusions du réel et l’inconstance du monde sensible.

 

Artiste d’une prodigieuse créativité, il s’est aussi essayé au roman, et même récemment au cinéma, dans un style qui reste dans la ligne de ses créations antérieures. Il est aujourd’hui l’un des artistes chinois qui marient avec succès les domaines artistiques les plus divers, en renouvelant en particulier la création cinématographique.

 

Eléments biographiques

 

Né à Chongqing en 1955, Xu Bing a grandi à Pékin où son père était professeur d'histoire à l’université. En 1975, vers la

 

Xu Bing

fin de la Révolution culturelle, il est envoyé à la campagne, mais rentre à Pékin deux ans plus tard, en 1977.  

 

C’est une période qui laissera bien sûr ses traces, en particulier dans son travail sur le langage qui forme le point de départ et le fond de sa démarche créatrice : quand il était enfant, son père lui faisait écrire une page de caractères par jour, en l’incitant non seulement à soigner la forme, mais aussi à en capter l’esprit, à tenter d’en saisir l’essence. Par la suite, il a fait l’expérience de l’évolution constante de la forme des caractères au fur et à mesure de l’avancement du projet de réforme des caractères traditionnels [1].

 

Il en est résulté un sentiment de l’impermanence des formes du langage, et du caractère malléable des mots eux-mêmes, qui se retrouve dans ses recherches et ses créations, l’expérience de la Révolution culturelle venant ajouter une dimension politique dès le départ.

 

Bateaux bâchés, gravure 1982

 

En 1977, à son retour à Pékin, Xu Bing est admis dans le département gravures de l’Institut central des Beaux-Arts (中央美术学院) où il termine sa licence en 1981. Il y reste comme assistant tout en continuant ses études, décrochant son master en 1987. C’est une période où il fait des séries de gravures sur bois, mais aussi commence « A Book from the Sky » (天书), une installation de rouleaux suspendus.

 

Après les événements de Tian’anmen, en juin 1989, son œuvre est soumise à critiques et lui subit des pressions ; aussi, en 1990, comme beaucoup d’autres, il part aux Etats-Unisoù il est invité par l’université du Wisconsin. Il reste aux Etats-Unis

jusqu’en 2008 et rentre alors en Chine où il est nommé vice-président de l’Institut central des Beaux-Arts, fonction qu’il occupe jusqu’en 2014. Il est toujours professeur à l’Institut et se partage entre la Chine et les Etats-Unis.

  

De la gravure sur bois aux installations

 

Le style et les thèmes des œuvres de Xu Bing ont évolué avec le temps, en partant de la gravure sur bois.

 

Gravures sur bois

 

Xu Bing a commencé dès son entrée à l’Institut des Beaux-Arts à réaliser de superbes gravures sur bois, dans le style, d’abord, de l’expressionnisme allemand. La première série qu’il a réalisée s’est étalée sur la période 1977-1982, mais la majeure

 

Landscript 2001

partie des blocs ont été perdus, et il ne reste surtout que ceux de 1982.

 

Il est revenu vers la gravure au début des années 2000, en traitant par ce biais aussi le thème du langage qu’il a développé entre-temps dans ses installations ; c’est ce qui représente le plus gros de son œuvre à ce jour, à partir de la fin des années 1980.

 

Installations

 

1. Initialement appelée “Nouveau miroir du monde” (《析世鉴》), « A Book from the Sky » (Tianshu 《天书》) reste l’une des installations les plus célèbres de Xu Bing. Elle a d’abord été exposée à Pékin en 1988, puis a fait l’objet, en 1990-91, de la première exposition Xu Bing au musée Elvehjem de l’université du Wisconsin (aujourd’hui Chazen Museum of Art). Pour cette œuvre, Xu Bing a inventé et dessiné quatre mille (faux) caractères, dans un style rappelant celui des anciennes éditions remontant aux Song et aux Ming ; il les a gravés à la main sur des blocs de bois, qu’il

 

Book from the Sky, page-titre

(les caractères Tianshu 天書

n’apparaissent jamais)

a utilisés comme caractères mobiles pour imprimer livres et rouleaux.

 

Book from the Sky, exposition

à la National Gallery de Prague

 

Ces vastes surfaces de textes couvrant le sol ou tombant du plafond semblaient offrir des trésors de sagesse ancienne, mais ils étaient en fait inintelligibles. Le titre Tianshu signifie bien ‘livre céleste’ et désignait autrefois des livres religieux ; mais il a aujourd’hui un sens péjoratif : un texte illisible, des bêtises, en quelque sorte.

 

 

2. De la même époque date son autre magnum opus - « Ghosts Pounding the Wall » - projet monumental, débuté en mai-juin 1990 à Jinshanling, qui est constitué des frottages de différentes sections de la Grande Muraille, vingt-neuf au total. Comme pour beaucoup d’œuvres de Xu Bing, « Ghosts Pounding the Wall » a une connotation politique, la Grande Muraille représentant l’image étouffante d’une pensée nationale repliée sur elle-même, et le symbole d’une politique isolationniste.

 

La taille même de l’œuvre, qui se déploie des deux côtés du visiteur, induit en lui une

 

Ghosts Pounding the Wall

(Taipei, musée des Beaux-arts, 2014)

impression d’insignifiance devant ces murs massifs et écrasants. Le titre lui donne aussi une dimension

 

New English Calligraphy

 

historico-culturelle, en renvoyant aux âmes de tous ceux qui sont morts en édifiant la Muraille (ces « esprits frappant sur le mur »), en évoquant particulier la célèbre légende de Meng Jiangnü (孟姜女), celle qui fit s’écrouler la muraille en pleurant son mari,réquisitionné pour la construire, qui y avait été enseveli.

 

3. A partir de 1994, Xu Bing a commencé un autre projet basé sur des jeux de caractères : « New English Calligraphy” (新英文书法). Il s’agit ici de caractères incompréhensibles pour un Chinois, car ils sont formés de lettres prises de l’anglais, travaillées pour leur donner l’apparence formelle de caractères chinois traditionnels.

 

Parallèlement, à la même époque, il a conçu plusieurs œuvres basées sur des jeux semblables de caractères qui donnent l’impression d’une omniprésence du signe écrit, mais menant à un monde inintelligible : on a dit que l’œuvre de Xu Bing est une nouvelle tour de Babel.

 

4. En 1997, « The Net » traduit une évolution de ce concept : œuvre mouvante, puisque des étudiants d’une université américaine créaient des structures ressemblant à des séquences de mots avec des fils en aluminium. Ici l’impression est une autre sorte d’enfermement, dans un réseau serré de signes sans signification.

 

Il reprendra le jeu avec l’aluminium en 2004-2005, avec une installation exposée au musée Elvehjem, conçue

 

The Net

spécifiquement pour le site du musée : « The Glassy Surface of a Lake ». C’est un superbe hommage

 

The Living World

 

au Walden de Thoreau. Un réseau de lettres en aluminium formant un passage du célèbre récit de Thoreau se répandait à travers l’atrium du musée et venait se déverser en une pile de lettes inintelligibles sur le sol.

 

L’idée avait déjà été développée dans une œuvre de 2001 intitulée « The Living World » dont les caractères se déversant comme une ondée sur le sol étaient en acrylique.

 

 

On pourrait presque parler ici de déconstruction au sens de Derrida : déconstruction du récit, et déconstruction du langage.

 

5. Autre idée : celle de jouer avec des formes vivantes, en les couplant avec des formes végétales. « The Opening » est l’une des installations d’une série qui fait appel à des animaux vivants, en l’occurrence des vers à soie vivants placés sur des branches de muriers, qui les dévorent. L’idée des vers

 

The Silworm Book Series

à soie avait déjà donné une série de livres en 1994 (The Silworm Book Series).

 

 

Cultural Animal

 

 

A partir de 2004, Xu Bing joue surla matière plutôt que sur les mots pour montrer le caractère trompeur des apparences et l’illusion du réel. C’est l’idée développée dans « Background Story » (《背后的故事): cette série d’installations semble une suite de toiles de paysages traditionnels (shanshui), avec les images usuelles de montagnes, d’arbres et d’eau ; mais, si on le regarde à l’envers, le tableau apparaît comme des ombres deformes de divers débris végétaux.

 

 

Background Story, au dos

 
 

Art for the People

 

Background Story, endroit

 

6. En 2004, Xu Bing a obtenu le prix inaugural Artes Mundi au Pays de Galles pour une autre œuvre symbolique, au-delà des mots cette fois : « Where does the dust collect itself ? ». C’est une installation utilisant la poussière déposée au sol le lendemain de l’attentat contre le World Trade Center à New York, en 2001, pour tenter de recréer l’atmosphère qui régnait sur le site.

 

7. A partir de 2008, Xu Bing a ensuite commencé un vaste projet, le « Phoenix Project », qui reprend l’approche de l’utilisation de matériaux inhabituels, ici des matériaux de récupération ramassés sur un chantier, y compris des outils. En même temps, ses phénix sont des œuvres de pure imagination, revisitant les anciens mythes chinois sur cet oiseau, dans sa double apparence de mâle et de femelle.

 

Le projet a été conçu au départ pour répondre à une commande pour le World

 

Un phénix

Financial Centre de Pékin (环球金融中心) dont les deux phénix devaient orner l’atrium. Il a mis deux ans à réaliser ces oiseaux, faits des objets trouvés sur le chantier, mais qui, une fois la construction terminée, n’y ont plus trouvé leur place. Ils ont donc été exposés dans un musée à Pékin, à Shanghai lors de l’exposition universelle, puis aux Etats-Unis où ils ont été suspendus du plafond de la cathédrale de Saint John the Divine, à New York en 2014. On ne pouvait imaginer plus belle vision, sur fond de vitraux illuminés [2]. Les phénix ont fait l’objet d’un documentaire de Daniel Traub.

 

C’est donc une œuvre en constante évolution que celle de Xu Bing, dont émergent quelques lignes directrices autour des idées de confusion de langage et d’apparences trompeuses d’un monde difficilement intelligible, inséparables de considérations politiques.

 

C’est cette pensée créatrice foisonnante et en perpétuelle mutation qui sous-tend deux de ses récentes créations, débordant du domaine de la création purement artistique pour investir la littérature et le cinéma, dans un sens tout aussi « déconstructeur » que le reste de son œuvre : son roman « Une histoire sans mots », publié en France en 2013, et son film « Dragonfly Eyes » (《蜻蜓之眼》) présenté au festival de Locarno en août 2017.

 


 

Principales œuvres

 

Gravures sur bois 

 

1977-1982 Shattered Jade (jamais tiré, les blocs sont presque tous perdus sauf une série de 1982)

1980-81 Bustling Village on the Water 繁忙的水乡

2002 Série des Landscripts 语言风景

 

Installations

 

1987-1991 A Book From the Sky, installation de rouleaux suspendus. Première exposition octobre 1988 dans la China Art Gallery, puis au Ullens Center for Contemporary Art, à Pékin.

Mai-Juin 1990 Ghosts Pounding the Wall : frottages de la Grande Muraille

1993 Brailliterate : série de fausses couvertures de livres en braille

1994 Cultural Animal, mannequin et porc couverts de faux caractères chinois et anglais

1994-1995 A Case Study of Transference : deux porcs vivants, l’un couvert de faux caractères anglais, l’autre de faux caractères chinois, s’ébattant dans un enclos jonché de livres

1994-1998 Square Word Calligraphy/ New English Calligraphy

1997 The Net : "net" créé par des étudiants del’Eastern Illinois Art Department en utilisant des fils d’aluminium pour dessiner des mots.

1998 The Opening : un arrangement de branches de muriers dévorés par des vers à soie.

1998 Art for the People : immense bannière commissionnée par le musée d’Art moderne de la ville de New York et suspendue à l’extérieur du musée dans le cadre d’une exposition de november 1999 à mai 2000.

2000 Landscript : fausses calligraphies chinoises et anglaises sur dix panneaux vitrés.

2004 Where does the dust collect itself ? : prix

A partir de 2004 Background Story : projection d’ombres de plantes et de formes végétales donnant l’envers d’un tableau de paysage traditionnel.

A partir de 2008 Phoenix Project

 

Vidéo : Rencontre avec Xu Bing (Exposition Landscape Landscript, 2013)

 

Roman

Une histoire sans mots 

Voir : http://www.chinese-shortstories.com/Actualites_158.htm

 

Film

Dragonfly Eyes《蜻蜓之眼》

 


 


[1] Un premier Schéma de simplification des caractères a été promulgué en 1956 ; il a subi divers ajustements dans les années suivantes, aboutissant à une liste révisée publiée en 1964, puis à un Second schéma promulgué en 1975, mais aussitôt critiqué. En 1978, son utilisation était déjà rejetée dans l’édition et l’enseignement, et il a été officiellement rétracté en juin 1986. C’est la liste de 1964 qui a finalement été définitivement adoptée à la fin de l’année. C’est dire combien tout cela pouvait être déstabilisant.

[2] Voir la présentation du projet des phénix et de celui de Ground Zero à Manhattan :

http://tabsartwriting.weebly.com/xu-bing.html

 

 

 

     

 

 

 

 
     
     
     
     
     
     
     
     

 

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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