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“Our
Endless Story” : un film original et plein d’humour d’An
Zhanjun
par Brigitte
Duzan, 4 décembre 2008, révisé 10 janvier 2013
Sorti en 2008 et
vu au Panorama du cinéma chinois, à Paris, à la fin de
l’année, « Our Endless Story » (《咱俩没完》)
est un film original qui tranche dans la filmographie
d’An
Zhanjun (安战军).
Un film bien mené
« Our Endless
Story » commence dans un taxi qui emmène un client à
Sanlitun, le quartier branché de Pékin. Comme tous les
chauffeurs de taxi, celui-ci est curieux : vous allez à
Sanlitun, et vous allez faire quoi, dans ce quartier, hein ?
On apprend ainsi que le client en question est venu chercher
sa femme, qui est chanteuse dans un night-club, pour la
ramener avec lui dans son village, au Shaanxi.
La séquence
suivante nous la présente sur la scène, dans un tour de
chant qui |
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Our Endless Story |
enthousiasme
l’auditoire, debout, chantant, applaudissant… Le ton est donné : la musique va être un
leitmotiv accompagnant les diverses séquences du film,
tantôt enflammée, tantôt triste suivant le déroulement de
l’action.
Mais le scénario
ajoute un troisième personnage pour former un ménage à trois
des plus drolatiques : la chanteuse, LanLan (兰兰),
son compagnon musicien qui l’accompagne dans son tour de
chant, Qiu Kai (邱凯),
et le paysan débarqué de son Shaanxi ; il s’appelle Xie
Fushuang (谢福双),
nom ironique qui signifie
« merci double
bonheur », mais est toujours désigné par les appellations
péjoratives, mais amicales,
Séquence du night-club |
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données par les
deux autres :
« frère »
(老大哥
lǎodàgē),
comme l’appelle Lan Lan, ou « vieux rustre » (老冒
lǎomào)
comme le nomme Qiu Kai.
Il
s’avère cependant que LanLan et lui ne sont pas encore
mariés, mais que la cérémonie est préparée, là-bas dans le
Shaanxi, et qu’il ne manque plus que la jeune épouse : c’est
pour cela que notre brave paysan est venu chercher LanLan.
Il s’accroche et finit par rester.
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L’histoire se déroule ainsi en trois parties :
1.
L’arrivée du « vieux rustre » dans le petit loft
pékinois de LanLan et Qiu Kai. Il y a là des scènes très
drôles, car le film est plein d’humour. Les réparties vont
souvent trop vite pour que les sous-titres, même, arrivent à
suivre, comme quand Qiu Kai tente désespérément de faire
arrêter l’autre de ronfler ; quand finalement il le
réveille, il lui lance : tu crois faire quoi, là, tu pries
pour faire venir la pluie ? Evidemment, la vie à trois se
révèle difficile, mais sans pesanteur ; surtout, les trois
personnages sont traités sur un pied d’égalité, le
« paysan » avec une sorte de sympathie naturelle qui empêche
de tomber dans la caricature.
2. Le drame 1:
LanLan découvre Qiu Gai en train de se droguer. Comme ils
n’ont pas les moyens de se payer une cure de
désintoxication, LanLan cherche sur internet quelques
conseils, et la cure commence. Qiu Gai enfermé dans une
sorte de cage en bois fabriquée par
lǎodàgē
qui est menuisier. La situation, à nouveau, est traitée avec
humour, et entraîne un retournement des rôles, le « paysan »
devenant la cheville ouvrière du rétablissement du citadin
dévoyé (et faisant au passage coffrer le dealer).
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Le trio |
3.
Le drame 2 : Un soir, alors que Qiu Kai, quasiment
rétabli, et LanLan l’attendent,
lǎodàgē
arrive ivre mort : il est allé voir la Grande Muraille, car,
comme tout le monde sait, on n’est pas vraiment Chinois tant
qu’on ne l’a pas vue. Il en rapporte deux de ces T-shirts
que l’on vend aux touristes et qui portent, imprimée sur la
poitrine, la fameuse sentence : qui n’est pas allé voir la
Grande Muraille n’est pas un vrai Han
(不到长城非好汉).
Mais il est alors pris d’un malaise et doit être emmené
d’urgence à l’hôpital. Le diagnostic est sombre : tumeur,
résultat dans huit jours…
Qiu Kai répétant |
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Epilogue :
Pour pouvoir payer les frais d’hospitalisation, Qiu Kai a
vendu la maison où ils habitaient, superbe petit îlot
préservé au milieu des immeubles de Pékin. Quand l’ancien
fiancé de LanLan l’apprend, par hasard, consterné, il finit
par décider de rentrer dans son village, laissant une note
laconique : « Il ne faut jamais vendre sa maison, c’est
ainsi que l’on perd ses racines. »
Cela pourrait être une fin dramatique, mais ce n’est
justement pas la fin : sans vouloir
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trop dévoiler, disons
que la dernière séquence a lieu à nouveau dans le night-club
de Sanlitun, avec une musique aussi déchaînée qu’au début,
et clôt le film dans l’allégresse, comme il avait commencé.
Une belle réalisation d’An Zhanjun
Excellents
interprètes
« Our Endless
Story » doit beaucoup à ses interprètes, et en particulier à
Tian Yuan (田原)
dans le rôle de LanLan. Chanteuse pop et romancière, auteur
de deux romans et un recueil de nouvelles, avant de devenir
actrice, elle a défrayé la chronique lors de ses débuts dans
le « Butterfly » (《蝴蝶》)
de Mak Yan Yan (ou Mai Wanxin
麦婉欣) ;
elle y interprète une chanteuse lesbienne, rôle pour lequel
elle a obtenu le prix de la meilleure actrice débutante aux
Hong Kong Film Awards en 2005.
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Tian Yuan en LanLan |
Les deux rôles
masculins sont cependant tout aussi finement joués, ce qui
était important étant donné que le scénario est justement
fondé sur l’équilibre entre les trois personnages. Les deux
acteurs ont la même formation : Chen Minghao (陈明昊)
dans
le rôle de Qiu Kai, comme Yu Zhen (于震)
dans celui du troisième comparse, sont des
acteurs de théâtre (et de télévision) formés à l’Institut
d’art dramatique de Pékin.
Heureuse surprise
Yu Zhen |
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An
Zhanjun est connu comme réalisateur de séries télévisées, en
particulier la série fleuve en trois parties, « Les années
ferventes » (《激情燃烧的岁月》),
vaste fresque de l’histoire de la Chine de 1949 à nos jours,
vue sous l’angle des mutations sociales ; il est non moins
célèbre pour ses peintures réalistes de la vie dans les
quartiers modestes de Pékin, dont le film de 2004, sorti en
2006 en France sous le titre « Un père à Pékin » (《看车人的七月》),
qui contait lui aussi les déboires d’un mari tentant de
garder sa femme et avait valu à l’acteur principal, Fan Wei
(范伟),
le prix
d’interprétation masculine au 28ème festival de Montréal.
Ses films avaient
jusque là un côté drame familial urbain assez traditionnel
et une légère tendance moralisatrice ; en 2006, lors de la
sortie de la troisième partie de sa série « Les années
ferventes », celle intitulée « Les forces vives de la
nation » (《国脉》),
An
Zhanjun se
disait « inquiet du sort de |
son pays et de son peuple » (忧国忧民).
Ce n’était pas un réalisateur dont on attendait un portrait
original des dérives de la société urbaine. « Our Endless
Story » est une heureuse surprise.
L’humour prodigué
à fines doses fait de ce film un petit bijou jubilatoire
mené sur un rythme aussi enlevé que la musique qui le
ponctue. On en sort en ayant envie de chanter.
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