Mei Jianchi :
la beauté des poupées animées des studios de Shanghai… en
1991 encore
par Brigitte Duzan, 03 septembre 2014, actualisé 06
septembre 2015
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Mei Jianchi |
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« Mei Jianchi » (《眉间尺》)
est un film de poupées animées sorti des
studios d’art de
Shanghai (上海美术电影制片厂)
en 1991. Adapté d’un conte célèbre dont les sources les plus
anciennes remontent à la dynastie des Han, ce film
d’animation représente l’apogée d’un art qui trouve son
origine dans la maîtrise des marionnettes du théâtre chinois
traditionnel.
Le conte
L’histoire remonte à l’époque des Royaumes
combattants et se retrouve sous diverses variantes
dans des anthologies et encyclopédies à partir de la
dynastie des Han. Sa version aujourd’hui la plus
connue est celle écrite par
Lu Xun (鲁迅)
en 1926 sous le titre « Forger les épées » (《铸剑》),
cinquième des « Contes anciens à notre manière » (《故事新编》)
(1).
Version usuelle du conte
Le roi de Chu voulant se faire forger une épée, il
s’adressa au spécialiste réputé qu’était Ganjiang
(干将),
assisté de son épouse Moxie (莫邪).
Il leur fallut trois ans pour achever leur travail,
et fabriquer un couple d’épées selon la tradition :
une « masculine » (雄剑)
et une « féminine » (雌剑).
Mais le roi était furieux qu’ils aient mis aussi
longtemps. En outre, quand Ganjiang lui livra leur
travail, il n’apporta que l’épée |
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Gravure illustrant le
conte |
« féminine » : il se doutait en effet que le roi le mettrait
à mort aussitôt après, pour éviter qu’il pût faire une épée
semblable pour quelqu’un d’autre. Il avait donc laissé
l’épée masculine à sa femme, pour que son fils pût un jour
le venger.

Le titre du générique
du film |
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L’enfant naquit peu après sa mort. Comme il avait un
visage étrange, avec des sourcils très écartés, sa
mère l’appela Mei Jianchi (眉间尺):
celui qui a les sourcils distants d’un chi
尺,
soit 30 cm.
Quand il eut quinze ans, Mei Jianchi apprit de la
bouche de sa mère les circonstances de la mort de
son père et se déclara prêt à le venger. Il trouva
l’épée que son père avait cachée, et partit d’un pas
résolu à la capitale. Mais il était plus difficile
qu’il ne pensait d’approcher le roi qui avait vu
l’enfant en songe cherchant à le tuer et était
protégé par une garde renforcée. Mei Jianchi
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s’étant fait remarquer, il fut dénoncé et un avis de
recherche lancé pour le retrouver, sur quoi Mei Jianchi
s’enfuit dans la montagne.
Il rencontra là un homme en noir qui lui offrit de
l’aider à se venger. Il fallait pour cela que Mei
Jianchi lui donne sa tête et son épée. Le garçon se
trancha illico la tête et l’homme en noir partit
apporter au roi son double trophée. Au roi qui se
réjouissait, il expliqua que,pour éviter de futurs
ennuis, la tête devait être cuite dans un chaudron
de bouillon.
Mais comme, au bout de trois jours et trois nuits,
elle n’était toujours pas cuite, l’homme en noir
suggéra au roi de |
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Mei Jianchi enfant et
son ami l’oiseau |
s’approcher du chaudron pour faire agir son autorité
naturelle. Lorsqu’il fut tout près, l’homme en noir trancha
la tête du roi et l’envoya voler dans le bouillon,
déclenchant une lutte féroce entre les deux

Xiaomei |
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têtes. Il se trancha alors la tête lui aussi, pour
que la sienne vienne en aide, dans le chaudron, à
celle de Mei Jianchi pour triompher de celle du roi.
Finalement, on retira du feu une masse carbonisée,
sans savoir où était la tête du roi. On fit trois
parts de ce qui restait, et on les enterra dans
trois tombes que l’on nomma « tombes des trois
rois » (“三王墓”).
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Version du film
Lu Xun, pour sa part, a ajouté un paragraphe
introductif pour souligner le caractère faible et
indécis de l’enfant, justifiant l’intervention de
l’homme en noir pour l’aider. Le scénariste du film
a choisi en revanche de présenter dans une séquence
introductive ce fameux « homme noir » qui est le
deus ex machina de l’histoire. Et il le fait en le
mettant en scène dans un combat rituel qui met
également en lumière le caractère despotique et
cruel du roi de Chu. On apprend au passage que cet
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La tête de Mei Jianchi
adolescent |
homme était un ancien élève du couple de forgerons, ce qui
explique ensuite son désir de vengeance, à l’égal de Mei
Jianchi.

Heizi apportant l’épée
et la tête de Mei Jianchi
au roi entourés de ses
gardes |
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Par ailleurs, le film diffère de la version
courante, et retenue par Lu Xun, en faisant mourir
Moxie la première, sacrifiée dans le brasier du
four, en victime expiatoire offerte aux esprits de
la forge. C’est donc la jeune élève du couple qui
recueille le bambin, le protège et l’élève après la
mort de son père, jusqu’à son quinzième
anniversaire.
Le film insiste ensuite sur les vaines tentatives
faites par Mei Jianchi pour tuer le roi, dans une
parfaite logique, l’enfant n’étant pas préparé à des
exploits martiaux. Le seul résultat est de le faire
apparaître comme une |
menace justifiant l’avis de recherche assorti d’une bonne
récompense pour qui le ramènerait au roi.
Le reste du scénario découle d’une manière
parfaitement logique de ces prémices. C’est d’ailleurs le
réalisme qui prévaut, le fantastique de la scène du chaudron
– accentué chez Lu Xun - étant ici, au contraire,
atténué. Il s’agit simplement d’une double vengeance par
autosacrifice, le meurtre du père étant vengé par le meurtre
du roi, mais celui-ci dépassant la seule vengeance
personnelle pour prendre valeur d’acte libératoire, de
rébellion héroïque contre un monarque despotique.
Comme le film ne fait que trente minutes, le récit est rendu
de la façon la plus concise possible, ce qui lui donne par
moments un petit côté ésotérique et symbolique de conte des
origines.
Un superbe film de poupées animées
Le scénario est intelligent, mais « Mei Jianchi » (《眉间尺》)
est surtout un superbe exemple de ce qu’était encore
l’art de l’animation des poupées aux studios d’art
de Shanghai au début des années 1990 en Chine, art
qui n’a malheureusement pas été apprécié à sa juste
valeur, et que l’on a laissé dépérir en prétextant
son incompatibilité avec les moyens modernes de
production. |
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La forêt la nuit |
Les poupées

Vision impressionniste
: Mei Jianchi sous la pluie |
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C’était un art né de celui du théâtre de
marionnettes, les poupées étant elles-mêmes
fabriquées avec le même soin du détail, surtout dans
l’expression des visages. Les poupées du film
reflètent bien cet art du détail et de la nuance :
les vêtements sont à l’instar des illustrations des
grands classiques, et les têtes sont d’une étonnante
expressivité, même avec des traits figés ; on peut
ainsi admirer l’évolution de ceux de Mei Jianchi,
d’enfant à adolescent, et la finesse de ceux de la
jeune Xiao Mei… |
Le mouvement est en stop motion, procédé qui
nécessite un travail long et minutieux dans la
reconstitution des mouvements, chaque infime
progression étant photographiée, et le total des
photos monté pour donner l’illusion du mouvement une
fois projeté. La scène initiale du combat dans
l’arène contre le taureau sacré est particulièrement
pour le réalisme de l’ensemble, tout en ménageant un
effet de rituel ésotérique, avec une image qui ne
dévoile pas totalement son objet, laisse plutôt
chacun le reconstituer mentalement.
Le décor

Estampe d’Hiroshige,
la pluie soudaine à Atake |
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Claude Monet, Pluie à
Belle-Ile |
Dès le début, on est frappé par la beauté des
décors, leur précision dans la reconstitution, mais
aussi par les quelques paysages aux couleurs
expressionnistes. En revanche c’est un effet
impressionniste que l’on observe dans certaines
scènes, comme celle de la fuite de MeiJianchi sous
la pluie : le dessin de la pluie masquant son
visage, abrité sous son grand chapeau, rappelle la
pluie, peinte à grands traits, des estampes
d’Hiroshige, et plus encore, la pluie de Monet,
directement influencée par Hiroshige, mais plus
floue, plus irréelle, en harmonie avec le conte.
Le réalisateur/scénariste
Le réalisateur et scénariste, Ling Shu (凌纾),
né en 1941, à Changsha, dans le Hunan (湖南长沙),
a d’abord étudié la sculpture à l’Institut des
Beaux-Arts de Canton. Quand il obtient son diplôme,
en 1964, il entre aux
studios d’art de
Shanghai, dans le département de l’animation des poupées de
bois. Après la coupure de la Révolution culturelle, en 1978,
il commence à travailler comme scénariste et écrivain et
publie sa première œuvre l’année suivante.
Devenu membre de l’association des écrivains en 1990, il est
l’auteur de nombreux scénarios de films d’animation, et de
récits de littérature pour enfant.
Son film
atteste de la beauté des réalisations des
Studios d’art de Shanghai
au début des années 1990, au moment où les autorités
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Ling Shu |
chinoises préparaient un programme pour « moderniser » les
films d’animation. « Mei Jianchi » représente l’apogée d’un
art qui a ensuite progressivement été relégué au rang des
antiquités, peu prisées en Chine, quelles qu’elles soient.
Note
(1) Sur le conte, ses origines et variantes, et sa
réécriture par Lu Xun, voir :
www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_LuXun_Les_Contes_anciens_sur_un_mode_nouveau.htm
Le film en deux parties :
Mei Jianchi (A)
Mei Jianchi (B)
Les dialogues et leur traduction :
« Mei Jianchi »《眉间尺》
Les personnages
Les parents
干将
Gānjiàng le père, le forgeron,
莫邪
Moxié la mère
Le roi et son ministre
奸臣
le ministre perfide
楚王
le roi de Chu (royaume de la période des Royaumes
combattants)
奸臣:该死的,你竟敢打死神牛!
楚王:来人,拉下去乱箭射死!
奸臣:大王大王,且慢且慢!大王不必心焦,这个奴隶乃是铸剑高手干将莫邪夫妇的徒弟,名
叫黑子。大王正好以他的性命来....
楚王:胁迫干将莫邪为我铸剑....
奸臣:对!为您大王铸造第一宝剑!
Le ministre :
Maudit ! Oserais-tu tuer le
bœuf sacré !
Le roi de Chu : soldats, faites flèche de tout bois.
Le ministre : grand roi, attendez ! pas de précipitation,
cet esclave est l’élève du maître forgeron Ganjiang et de
son épouse Moxie, il s’appelle Heizi. Vous devriez
l’épargner….
Le roi : que Ganjiang et Moxie me forgent une épée.
Le ministre : très bien, ô grand roi, ils vont vous forger
une épée sans égale.
奸臣:启奏大王,干将莫邪铸剑三年,大功即将告成。
楚王:好!
奸臣:大王,不过,为了防止他俩再替别人铸剑...
楚王:传我的旨意,开炉之前,以莫邪祭祀炉神!
Le ministre : grand roi, Ganjiang et Moxie ont travaillé
trois ans, l’épée va être prête
Le roi : Très bien
Le ministre : mais, grand roi, il faut les empêcher d’en
forger une pour quelqu’un d’autre
Le roi : j’ordonne, avant l'ouverture du four, de sacrifier
Moxie au dieu de la forge.
莫邪:眉儿!眉儿!
干将:莫邪!莫邪!
黑子/小妹:师傅!师傅!
干将:莫邪!
莫邪:眉儿!
奸臣:吉时到!
Moxie : Mon fils ! Mon fils !
Ganjiang : Moxie ! Moxie !
Heizi/Xiao Mei : Maître ! Maître !
Ganjiang : Moxie !
Moxie : Mon fils !
Le ministre : Exécution !
奸臣:摸得着看不见的隐形宝剑,真是千年难得!
哎呀,神剑,好好!
楚王:妙!过来!
奸臣:大大大大大...大王,饶命饶命!
好剑!大王有如此神剑,何愁不称霸天下呀!
楚王:来人!干将铸剑有功,赐御酒!
楚王:好,今后我这把宝剑世上无敌了!
奸臣:果然其中有诈!
Le ministre : une épée inestimable, invisible, rarissime !
une épée sacrée ! Très bien !
Le roi : Parfait ! Approchez !
Le ministre : grand grand grand….grand roi, grâce, grâce !
avec cette épée sacrée, vous pourrez dominer le
monde entier.
(devenir le
maître du monde)
Le roi : Approchez ! j’ordonne de boire au brillant mérite
de Ganjiang.
Le roi : Très bien, dorénavant, avec cette épée je serai
invincible.
Le ministre : effectivement.
奸臣:船翻了,统统把你们都淹死!
回去吧,反正另一把宝剑也沉入水底了。
Le ministre : le bateau a chaviré, vous serez tous noyés !
Rentrons, de toute façon, l'autre épée est déjà
engloutie.
眉间尺:妈妈,我已经长大了,你就给我买把真正的宝剑吧。
小妹:孩子,只有真正的勇士才有资格配剑,明白吗?
眉间尺:嗯。
眉间尺:妈妈,我已经是勇士了。
小妹:不,只有敢杀暴君,为民除害的才是真正的勇士。你把水缸搬开,掀起下面的木板。
眉间尺:空的。
小妹:不,你用手摸一摸。
眉间尺:剑!
Mei Jianchi : Maman ! je suis grand, il est temps que tu
m’achètes une bonne épée.
Xiao Mei : Mon enfant, il n’y a que les braves qui peuvent
en avoir, tu comprends ?
Mei Jianchi : ah bon…
Mei Jianchi : Maman ! je suis un brave.
Xiao Mei : non, pour tuer un despote et en libérer le
peuple, il faut être un vrai brave.
déplace la jarre à eau et soulève la planche qui
est dessous.
Mei Jianchi : il n’y a rien
Xiao Mei : si, touche.
Mei Jianchi : une épée !
楚王:快把我的隐形宝剑拿来!
啊,该死的,宝剑掉了!
快放箭!
射中了,抓活的!
又跑了!
Le roi : apportez-moi vite mon épée invisible !
Ah ! elle est tombée !
Vite, tirez !
Touché, attrapez-le vivant !
Il s’est enfui !
民众:悬赏缉拿,凶犯眉间尺,男,年十五,身长六尺三寸,面色赤黑,眉间宽广,配隐形剑,凡有拿获者,赏黄金百两,铜百斤,绢百匹,珍珠五斗。
Avis à la population : recherché pour meurtre, Mei Jianchi,
quinze ans, 1m80, teint basané, large espace entre les
sourcils, porte épée invisible, récompense à qui le
capture : cent taels d’or, cent livres de cuivre, cent
pièces de soie, cinquante perles.
黑子:我等你好久了。
眉间尺:你是谁,到底要干什么?
黑子:我要你的头去向国王领赏。
眉间尺:你认错人了。
黑子:错不了,因为我就是你父当年的徒弟,黑子。
眉间尺:黑子?黑子叔叔!
黑子:眉间尺,那年我并没有被淹死,而是从水里逃走了。我知道,你总有一天会成为真正的
勇士,为父母报酬,为天下人除害的。
眉间尺:现在国王戒备森严,我根本没法接近他。
Heizi : cela fait longtemps que je t’attends
Mei Jianchi : qui es-tu ? que veux-tu ?
Heizi : je veux apporter ta tête au roi
Mei Jianchi : tu me prends pour quelqu’un d’autre
Heizi : non, je ne me trompe pas, j’étais l’élève de ton
père, Heizi
Mei Jianchi : Heizi ? oncle Heizi !
Heizi : Mei Jianchi, je ne me suis pas noyé, j’ai survécu.
Je sais que tu seras un jour un vrai brave, que tu vengeras
tes parents et libéreras le peuple.
Mei Jianchi : le roi est sur ses gardes, je ne peux pas
l’approcher.
侍卫:启奏大王,络腮胡子带着眉间尺的头和隐形宝剑前来领赏!
奸臣:这就叫重赏之下必有勇夫!
楚王:哈哈哈!
嗯,果然是眉间尺。
这是怎么回事?
奸臣:这也许是周围的卫兵太多,刀光剑影,勾起了它的杀气。
楚王:都下去,没有我的召唤,不许上殿!
总算除掉了心头之患。
空的!
Un garde : grand roi, un homme portant favoris apporte la
tête de Mei Jianchi et son épée invisible.
Le ministre : l’appât de l’or fait sortir le loup du bois
Le roi : ah ah ah !
Euh, c’est donc Mei Jianchi.
Comment cela se fait-il ?
Le ministre : il y a des gardes armés partout, cela a
décuplé son esprit belliqueux.
Le roi : Retirez-vous, interdit d’entrer au palais sans mon
ordre !
Mon ennemi juré est enfin éliminé.
C’est vide !
奸臣:大王是真命天子,当然能逢凶化吉,遇难成祥。
Le ministre : grand roi, vous êtes le fils du ciel, vous
renversez le destin et triomphez des obstacles.
A titre d’indication :
Face A
Début des dialogues en 2 :15
de 2 :30 (lai rén !) à 3 :05.
Et de 4 :08 à 5 :05
Puis de 5 :56 6 :49
Puis paroles du soldat 7 :10
Paroles du ministre 8 :13/25
Dialogue mère/enfant 9 :32/42
10 :56 mama…. A 11 :16
11 :26….
Face B
1 :24 (roi)
3 :09 /3 :47
5 :16 /5 :38 (proclamation de l’avis de recherche)
5 :51 (dans la forêt)
6 :07/ 6 :45
8 :37 (au palais)
Quelques dialogues … 9 :32 : kongde.
10 :45
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