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Les
Studios d’art de Shanghai : une petite histoire
par Brigitte Duzan,
29 septembre 2013
Les
Studios d’art de Shanghai (上海美术电影制片厂),
ou Studios d’animation de Shanghai, ont été fondés
en tant qu’institution indépendante en avril 1957,
pour produire les films d’animation
chinois.
S’ils s’appellent
« studios d’art », c’est à l’initiative de
Te Wei (特伟),
leur directeur qui voulait exprimer les liens du cinéma
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Le logo des studios |
chinois
d’animation avec
les arts traditionnels qui lui ont donné une esthétique
unique : arts du lettré, calligraphie et peinture, autant
qu’arts populaires comme les papiers
découpés, les papiers pliés,
les jouets de bois ou d’argile… ainsi que
le
théâtre de marionnettes ou d’ombre.
L’histoire de ces
Studios commence en fait bien avant celle de leur fondation
officielle, en 1957…
L’animation en
Chine avant 1957
Les précurseurs
Des films
d’animation ont commencé à être réalisés en Chine dès les
années 1920. Ils
sont alors influencés par les Américains d’où leur nom de
cartoons (卡通).
Les
frères Wan (万氏兄弟)
en sont considérés comme les pionniers. Leur premier court métrage, un dessin
animé d’une dizaine de minutes, en noir et blanc, date de
1926 : « Tumulte dans l’atelier » (《大闹画室》).
Par la suite, chacun des frères a développé sa technique
propre : Laiming 籁鸣, le dessin animé, Guchan 古蟾, les
découpages articulés, et Chaochen 超尘, les poupées.
La Princesse à
l’éventail de fer (1941) |
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La guerre
n’arrête pas leurs activités, et c’est en 1941, en
pleine occupation de Shanghai par les Japonais, que
sort leur premier long métrage : « La Princesse à
l’éventail de fer » (《铁扇公主》),
adapté d’un passage du « Voyage à l’Ouest » (《西游记》).
C’est le premier long métrage d’animation chinois,
et il est réalisé dans le département d’animation de
la compagnie Xinhua (新华影业公司),
l’un des principaux studios de cinéma de Shanghai à
l’époque. |
Après la
défaite japonaise, les structures du cinéma chinois se
développent dans le Nord-Est,
après avoir pris les installations
des
Studios du Mandchukuo.
Le Studio du Nord-Est
(东北电影制片厂) est ainsi fondé le 1er octobre 1946 à Changchun,
puis transféré à Xingshan, dans la
province de Nenjiang (嫩江省兴山),
aujourd’hui Hegang (鹤岗)
dans le Heilongjiang.
C’est là
que, en 1947,
sont réalisés deux
films : un film de poupées
« Le rêve de l’empereur » (《皇帝梦》),
dénonçant la corruption du Guomingdang et un
dessin animé dans le style de la caricature: « Attraper
la tortue dans la jarre » (《瓮中捉鳖》).
Le
département d’animation du Studio de Shanghai
En octobre 1949, les
studios du Nord-est reviennent à Changchun où est
établie une section d’animation de 22 personnes
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Le Rêve de l’Empereur
(1947) |
(dont
TE Wei (特伟) prend la tête). Début 1950, le groupe est envoyé à
Shanghai où un département animation est fondé au
sein des studios cinématographiques de Shanghai Le
nouveau régime favorise les films pour enfants et
sont alors recrutés de nombreux jeunes,
majoritairement formés dans les instituts d’art
chinois.
Pourquoi les corbeaux
sont noirs (1956) |
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Les films d’animation chinois connaissent alors une
période de développement sans précédent qui crée les
bases d’un style unique et personnel, en refusant
l’imitation des modèles américains, avec des
techniques basées sur les arts traditionnels
chinois.
Reflet des progrès accomplis, « Pourquoi les
corbeaux sont noirs » (《乌鸦为什么是黑的》),
réalisé par
Qian
Jiajun et Li Keruo en 1955, est
le premier dessin animé chinois en couleur.
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Les
Studios d’art de Shanghai
C’est en avril 1957 que le département
d’animation du Studio de Shanghai est institué en
studio d’animation indépendant, et devient les
Studios d’art de Shanghai, avec pour directeur
Te Wei (特伟),
peintre
et caricaturiste, qui restera à leur tête
jusqu’en 1986.
Un âge d’or
Les Studios sont divisés en trois départements
représentant les techniques de base : dessin
animé, poupées animées et découpages articulés (动画、木偶和剪纸).
Les années suivantes |
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Te Wei à 95 ans |
sont marquées par des réussites extrêmement
rapides. On est dans l’esprit du Grand Bond en avant….
A la fin des années 1960, les équipes comptent quelque 380
jeunes artistes.
Les têtards à la
recherche de leur mère (1961) |
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En 1958,
Wan Guchan (万古蟾)
réalise le premier film de découpages articulés :
« Zhu Bajie mange la pastèque » (《猪八戒吃西瓜》).
En 1960, une équipe menée par
Te Wei (特伟)
et
Qian Jiajun (钱家骏)
réalise le premier film de lavis animé (水墨画搬上银幕) :
« Les
têtards à la recherche de leur maman » (《小蝌蚪找妈妈》),
qui anime la peinture de Qi Baishi.
Cette même année, Yu Zheguang (虞哲光)
met au
point tout seul à l’issue d’une année de travail
le premier film de papiers pliés animés (折纸片) :
« Les canetons intelligents » (《聪明的鸭子》).
Pour bien
marquer ces réussites, des festivals de films
d’animation sont organisés dans six villes
importantes, dont Shanghai et Pékin, suivis d’autres
à Hong Kong en 1962 et à Macau en 1963.
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Cet
âge d’or du
cinéma d’animation chinois est marqué par le chef
d’œuvre de Wan Laiming et (Mme) Tang Cheng,
dont les deux parties sortent respectivement en 1961
et 1964 :
« Le
Roi des Singes bouleverse le Palais céleste » (《大闹天宫》).
Les deux parties sont projetées ensemble en 1965 et
le film est présenté en compétition officielle au
festival de Locarno cette année-là.
C’est un
chef d’œuvre inégalé, auquel le remake récent en 3D
n’a rien apporté. C’est aussi la fin d’une époque.
Un élan
brisé
Les Studios
d’animation sont fermés au début de la Révolution
culturelle. Les cinéastes et les artistes sont
arrêtés, poursuivis, envoyés travailler dans des
fermes. L’animation n’a plus droit de cité : les
films d’animation sont considérés
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La flûte du bouvier
(Te Wei, 1963) |
comme
décadents et ceux déjà produits interdits, comme les autres
films, hors « œuvres modèles ».
Xiao Balu (1973 |
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Cependant,
à partir de 1972, au moment où se relâche quelque
peu le carcan imposé par Jiang Qing, la production
de films d’animation repart timidement, à des fins
de propagande patriotique. Trois films
caractéristiques de cette nouvelle production
sortent en 1973 : « Le petit clairon » (《小号手》)
et « Le petit 8ème route » (《小八路》),
deux histoires de jeunes garçons luttant
héroïquement pendant la guerre ; et « La petite
sentinelle de la mer de Chine orientale » (东海小哨兵)
qui a, lui,
une jeune héroïne pour personnage principal.
Ces
réalisations permettent aux techniques de se
perpétuer. Mais il faut attendre la fin des années
1970, et la période de réforme et d’ouverture, pour
retrouver un véritable souffle créatif.
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Nouvel essor du cinéma d’animation
La redécouverte de
vieux films que l'on croyait détruits participe à un
renouveau d'inspiration. Le cinéma chinois d’animation
recommence à développer les techniques traditionnelles mises
en place avant la Révolution culturelle et la renaissance est
très rapide.
Dès mai
1979 sort des Studios d’art de Shanghai le premier
film d'animation chinois en cinémascope, « Le
Prince Nezha triomphe du Roi Dragon »
(《哪吒闹海》).
Il est réalisé par
Wang
Shuchen (王树枕),
en collaboration avec Yan Dingxian
(严定宪)
et Xu
Jingda (徐景达),
un artiste original mieux connu sous le nom
de
Ah Da (阿达).
Le film
remporte un grand succès auprès du jeune public
comme des parents. Il s'agit encore d'une adaptation
d'un roman classique, « L'investiture
des Dieux » (《封神演义》).
Les Chinois retrouvent leur goût pour les œuvres
littéraires portées à l'écran. Cependant, par son
scénario, le film renvoie également aux événements
politiques encore récents : les « quatre dragons » à
vaincre rappellent à tout le monde les quatre
membres de la Bande des Quatre, tombés en 1976 après
le décès de Mao Zedong. Le succès du « Prince
Nezha » dépasse même les frontières de
la Chine : le film est
présenté
hors compétition au
Festival de Cannes en 1980. Le cinéma |
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Le prince Nezha (1979) |
d'animation chinois
fait son entrée sur la scène internationale où il remporte
de nombreux succès.
Impressions de
montagnes et d’eau (1986) |
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Les anciens
films ressortent, en particulier le « Roi des
Singes » qui passe au festival de Londres en 1978 et
hors compétition au festival de Cannes en 1981, dans
le cadre d’une rétrospective consacrée à la Chine.
En 1982, le
court métrage « Les
trois moines » (《三个和尚》)
de Ah Da,
sorti en 1980, est primé au Festival de Berlin. Les
années 1980 sont un nouvel âge d’or des Studios.
Sans doute le plus beau film réalisé pendant la
décennie est celui de Te Wei sorti en 1986, « Impresssions
de
montagnes et d’eau » (《山水情》), véritable poème pictural en lavis animé. |
Situation aujourd’hui fragile
A partir
des années 1990, malheureusement, les films
d’animation traditionnels sont menacés par
le recul du cinéma
d’animation (désormais privatisé) et le
développement fulgurant de la télévision où
l’importation massive de séries de mangas japonaises
les plus commerciales impose de nouveaux critères de
fabrication tandis que, dévalorisées, les valeurs
esthétiques sont de plus en plus négligées.
Les Studios d’art de Shanghai
avaient tenté dès les
années 1980
de résister
en réalisant des séries restées légendaires comme
Effenti (阿凡提) de Xu Jianfang ou Les Frères Callebasse
(葫芦兄弟) de Hu Jinqing. Dans les années 1990, la
dévalorisation des œuvres de l’époque précédente,
parallèlement à la commercialisation à outrance de
la télévision, ont été un frein puissant à toute
velléité de création d’œuvres originales.
Pour
lutter contre les influences américaines et
japonaises, le |
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La souris bleue et le
chat à la grosse tête (1995) |
Lotus Lantern (1999) |
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gouvernement chinois lance, en 1996, un projet
visant à créer des dessins animés chinois d'un style
nouveau, mais ancrés dans la tradition. « Lotus
Lantern »
(《宝莲灯》),
réalisé par
Chang
Guangxi (常光希),
est l’un des projets ambitieux alors conçus.
Sur un
scénario de Wang Dawei (王大为)
adapté d’une
vieille légende chinoise, « Lotus Lantern » a
demandé quatre ans de travail, 150 000 celluloïds,
plus de 2 000 décors peints. Les voix sont celles de
stars du cinéma chinois dont Xu Fan (徐帆),
l’épouse de
Feng Xiaogang,
et
Jiang Wen (姜文).
Le film
marque un effort pour moderniser non seulement les
techniques d'animation, mais aussi les modes
d'exploitation des films. Sorti en 1999, il a eu
du succès en Chine, mais son style
composite l’a défavorisé sur le marché
international, où on lui a souvent reproché d’avoir
copié les films japonais.
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En 2001,
les Studios sont intégrés dans le Shanghai Media Group. Ils
sont aujourd’hui dans une situation fragilisée,
malgré quelques tentatives de renouvellement des
thèmes. Mais « A Jewish Girl in Shanghai » (《猶太女孩在上海》),
par exemple, sorti
en 2010,
montre bien la perte d’une identité visuelle propre,
pour se ranger à des modèles importés,
essentiellement japonais.
Actuellement
l’activité est de plus en plus réduite aux studios
d’art de Shanghai du fait que la majorité du
personnel est partie enseigner dans les nombreux
instituts qui ont ouvert des formations de cinéma
d’animation à travers toute la Chine quand elle n’a
pas atteint l’âge de la retraite.
En juillet 2013 les studios ont quitté leurs anciens
locaux pour s’installer à Xujiahui, dans un immeuble
flambant neuf où il n’y a que des bureaux.
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A Jewish Girl in
Shanghai (2010) |
La
situation fragile des films d'animation est
également liée, plus globalement, à l’évolution même
du secteur cinématographique en Chine.
Face au coût élevé des
places de cinéma,
la télévision
a fini par s'imposer comme le média le
plus populaire, car le moins coûteux. Et aux films
d'animation chinois traditionnels, le jeune public préfère
les comédies et les films d'action américains…
Et pourtant….
Pourtant, comme
aime à le souligner Marie-Claire
Quiquemelle, ces films uniques au monde sont
méconnus en Chine, mais ils nous
fascinent toujours
par leur beauté et leur esthétique si particulières.
Ces prodiges des
lavis animés, des papiers pliés ou des lavis déchirés ont
été réalisés avec une main d'œuvre abondante
et hautement qualifiée, et grâce
au
statut particulier des Studios de Shanghai,
à l’époque où ils étaient financés par l’Etat.
Dans les
conditions actuelles, il serait impossible de refaire de
tels films, car leur coût serait démesuré. Paradoxallement le
contexte politique qui a permis l'éclosion de cet art met
maintenant un frein aux recherches créatives qui seraient
nécessaires.
Une fois perdue la fierté de
s’appuyer sur les arts traditionnels chinois, les
responsables préfèrent chercher leur salut dans l’emprunt de
techniques étrangères qui ruinent le patrimoine acquis en
essayant de lui subsister une autre identité visuelle. Les
remakes des grands films classiques des Studios leur
enlèvent leur âme sans leur donner plus de compétitivité sur
un marché très concurrentiel.
A lire en complément :
Kuo-Quiquemelle, Marie-Claire : Trésors méconnus des Studios
d'art de Shanghai
Trésors méconnus du cinéma chinois d’animation : catalogue
du CDCC
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